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December Chapitre 2

CH. 02 – Partie 01

Kijoon m’avait conseillé de sortir et de m’amuser, mais honnêtement, je n’avais pas grand-chose en tête. J’ai hésité à appeler un ami, mais je me suis souvenu de la bibliothèque que j’avais aperçue en prenant le bus pour le restaurant. Alors, je m’y suis dirigé.

Je me suis dit que ce serait une bonne idée d’explorer l’endroit, surtout si je prévoyais d’y étudier le matin avant de commencer mon travail.

En approchant de la bibliothèque, j’ai remarqué que son architecture imposante lui donnait des airs de temple grec ancien. En l’observant, je sentais une vieille flamme se rallumer en moi : mon amour pour l’apprentissage.

Mais cet élan passionné n’était pas suffisant pour me réchauffer—il faisait un froid glacial dehors. Détournant les yeux de la majestueuse façade, j’ai enfoncé mon visage dans mon écharpe et me suis précipité vers l’entrée pour échapper au vent hurlant.

Juste avant d’entrer, je me suis arrêté pour observer les environs. Il était difficile de croire qu’il y a seulement trois ans, je m’étais bourré d’herbes suppressives et avais passé une nuit dans un conteneur maritime, non loin d’ici. C’est également ici que j’avais rencontré cet adolescent en fuite. Le paysage avait changé, mais il restait suffisamment de repères pour me convaincre que c’était bien le même endroit.

Pourtant, lorsque je repensais au panorama dystopique de l’époque, avec ses bâtiments à moitié construits et ses débris de chantier, cela me paraissait appartenir à un autre monde. Et malgré tout, me voilà, presque inchangé. De toutes les choses qui existent dans cet univers, les humains sont sans doute les plus lents à changer.

Une fois entré dans la bibliothèque, je m’étais trouvé un livre à emprunter avant de m’installer dans une salle d’étude commune pour commencer à lire. Malheureusement, à peine avais-je commencé à me plonger dans mon travail qu’un léger gémissement me fit lever les yeux de la page que j’examinais.

La pièce, aménagée avec de grandes tables en bois et sans cloison, permettait de repérer rapidement l’origine du bruit. Celui-ci provenait d’un jeune garçon, probablement en classe de cinquième tout au plus.

Le visage rougi, les mains tremblantes et le dos voûté, il avait tout l’air d’un oméga en plein début de chaleur. Vu son jeune âge, il n’avait probablement pas beaucoup d’expérience dans la gestion de ses symptômes.

Sous mes yeux, le garçon se leva brusquement et quitta la pièce, suivi de près par celui qui semblait être son ami.

Si la situation s’était limitée à cela, je ne me serais pas trop inquiété. Mais les sourires narquois des deux lycéens assis en face des sièges maintenant vides des garçons attiraient mon attention. L’un d’eux, au moins, semblait être un alpha.

Je doutais qu’ils s’en prennent à un gamin aussi jeune, mais…

Par précaution, j’ai sorti un petit sachet en plastique de mon sac et suis sorti à mon tour.

Il m’a fallu chercher dans plusieurs toilettes avant de trouver celui où l’oméga s’était réfugié, au deuxième étage de la bibliothèque. Son ami était à l’intérieur, visiblement inquiet, fixant une cabine fermée.

« Hé, ça va ? Tu veux que j’appelle quelqu’un ? » lança-t-il à l’oméga.

« Oui, ce serait une bonne idée », intervins-je. Surpris, l’ami se tourna vers moi, les yeux écarquillés. Je l’ignorai et frappai à la porte de la cabine, un sachet d’herbes à la main. « Hé, gamin, tu n’as pas pris d’herbes suppressives aujourd’hui ? »

« J’ai pris des comprimés… Avant de venir à la bibliothèque », répondit le garçon, haletant.

« Les comprimés ne suffisent pas », dis-je sans détour. « Leur effet est faible et ne dure pas longtemps. Les herbes, en revanche, sont beaucoup plus efficaces pour contrôler les symptômes des chaleurs. Je vais t’en donner, alors ouvre la porte. »

Un silence hésitant suivit, mais la porte finit par s’ouvrir après quelques secondes.

Le collégien oméga était assis sur le couvercle fermé des toilettes, le dos toujours voûté. J’ouvris mon sachet et lui tendis quelques herbes séchées.

« Allez, mâche et avale. »

Le visage rougi du garçon se tordit, des larmes perlant au coin de ses yeux. « Mais… Les herbes ont un goût horrible. »

Mes lèvres frémirent face à cette plainte enfantine, mais je ravalai mon amusement pour lui donner un conseil sérieux. « Alors tu préfères aller coucher avec un alpha et tomber enceinte, c’est ça ? »

Le garçon sursauta, horrifié, avant de se précipiter pour attraper les herbes et les fourrer dans sa bouche. Je lui en donnai un peu plus pour être sûr, en lui rappelant de ne rien laisser.

Une fois qu’il eut obéi, j’ajoutai : « Contacte tes parents ou un adulte de confiance pour qu’ils viennent te chercher. »

Le garçon renifla, des larmes coulant sur son visage—il n’avait visiblement pas exagéré son dégoût pour les herbes. Mais il hocha la tête. « Je vais appeler mon oncle. »

Derrière moi, j’entendis un mouvement brusque alors que son ami réagissait avec surprise. « Hein ? Tu parles bien de qui je pense ? Trop bien. »

Qu’est-ce qui est si « impressionnant » chez l’oncle de ce gamin ? Serait-il un alpha surpuissant de trois mètres de haut ou quelque chose du genre ?

« Ne retourne pas dans la salle d’étude sans être accompagné d’un adulte,  » ai-je conseillé à l’ami de l’oméga, qui continuait à répéter à quel point c’était « super ». « Il y a un alpha. Je m’occuperai de vos sacs jusqu’à ce que son oncle arrive. »

L’ami hocha vigoureusement la tête. « Tu veux dire ces lycéens, hyung* ? Ils le suivaient depuis qu’on est arrivés. Ils disaient des trucs comme quoi, quand la deuxième nature de quelqu’un vient juste d’émerger, il est instable et les inhibiteurs ne marchent pas bien. L’un d’eux a dit qu’il serait ‘le jouet parfait*’ ou un truc comme ça, et ils se sont mis à rire… C’était écœurant. »

(N/T : Hyung (형) est un terme honorifique utilisé par les hommes pour s’adresser à un autre homme plus âgé. C’est souvent utilisé entre frères, mais aussi entre amis ou connaissances proches. Dans cette scène, le locuteur l’utilise comme un titre général pour désigner quelqu’un de plus âgé, sans implication de proximité personnelle.)

(Note de Ruyi : Je suis choquée… )

J’ai voulu dire : « Dans ce cas, vous auriez dû rentrer chez vous immédiatement,  » mais je me suis retenu. Ce n’étaient que des enfants, après tout. Les bousculer trop risquait de les braquer, surtout à cet âge sensible.

« Il a dit qu’il avait pris ses inhibiteurs, donc il allait bien, c’est pour ça que…  » L’ami de l’oméga marmonnait une excuse tout en regardant le sol, avant de lever les yeux vers moi. « Est-ce que toi aussi, tu es un oméga ? » demanda-t-il.

Je n’ai pas répondu, me contentant de lui adresser un sourire avant de quitter les toilettes. Ensuite, je suis allé voir un membre du personnel de la bibliothèque, lui ai expliqué la situation et demandé de garder un œil sur les enfants. Enfin, je suis retourné dans la salle d’étude.

Quand j’ai pris les sacs des collégiens, les deux lycéens ont tout de suite remarqué. Ils ont froncé les sourcils, mais ont vite détourné les yeux en commençant à chuchoter quand je leur ai lancé un regard appuyé.

J’ai continué à surveiller les lycéens après m’être rassis, mais heureusement, ils n’ont pas cherché à retrouver le jeune oméga. Ce petit soulagement s’est cependant transformé en frustration lorsque, deux heures plus tard, personne n’était encore venu récupérer les sacs des enfants. J’étais affamé, et il ne semblait pas que j’aurais la chance d’aller manger de sitôt.

Je n’ai eu d’autre choix que de remplir mon estomac vide avec quelques gobelets de café provenant d’un distributeur, mais cela n’a fait qu’aggraver ma faim. Chaque gorgée représentait des calories sans satisfaction.

Alors que je me disais que si personne ne venait dans les trente prochaines minutes, je descendrais au premier étage pour me chercher à manger, j’ai senti une tape sur mon bras.

En me retournant, j’ai aperçu le jeune oméga qui se tenait derrière moi. Je lui ai fait un signe de tête, pris son sac et celui de son ami, puis l’ai suivi hors de la salle.

« Merci de m’avoir aidé,  » dit-il avec sincérité en reprenant les sacs de mes mains.

« Pas de souci. Tes parents sont là ? »

À ce stade, ce n’était plus si important, puisque les lycéens étaient partis depuis un moment. Mais il valait mieux qu’un adulte soit avec lui, juste au cas où.

Le jeune oméga secoua la tête avant de m’offrir un sourire confiant. « Non, juste mon oncle. Je lui ai parlé de ces hyungs qui m’ont harcelé. Il est en train de les chercher pour les gronder. »

Un sourire effleura mes lèvres. « On dirait qu’il tient beaucoup à toi. »

Le gamin bomba fièrement le torse à ce commentaire, mais fronça vite les sourcils. « Mais on n’e’arrive pas à les trouver. »

Je hochai la tête. « Oui, ils ont quitté la salle d’étude avec leurs sacs il y a un moment déjà. »

Le garçon sembla déçu, avant de se redresser et de déclarer : « Eh bien, je suis sûr que je les recroiserai. La prochaine fois, j’appellerai directement mon oncle. »

Mon cœur se réchauffa en voyant à quel point le garçon était confiant dans l’amour et la protection de son oncle.

Rassuré de savoir qu’il serait en sécurité, je lui fis un dernier signe de tête et retournai vers la salle d’étude. Mais le garçon me rattrapa par le bras. « Oh, attendez un peu ! » dit-il précipitamment.

Il regarda autour de lui, comme s’il cherchait quelqu’un. Puis, il cria : « Tonton ! Par ici ! »

Un homme qui montait les escaliers ouverts au centre de la bibliothèque se tourna vers nous, avant de gravir les dernières marches et de s’avancer dans notre direction.

Ce qui me frappa d’abord, c’était sa taille imposante. Une fois cette première impression digérée, ce fut ses yeux froids et perçants qui m’immobilisèrent. Sans m’en rendre compte, je retins mon souffle. Et, d’une manière étrange, il me semblait familier.

Une aura puissante et tourbillonnante émanait de lui, imposante, mais sans phéromones – une aura brute, caractéristique d’un alpha puissant. Attends, est-ce que c’est le même type qui a sauvé cet oméga à Pohang l’année dernière ?

Je clignai des yeux, surpris, avant de remarquer que l’homme s’était figé sur place. Son regard était fixé sur moi, sans la moindre hésitation.

J’aurais dû me demander pourquoi il s’était arrêté soudainement ou pourquoi il semblait si troublé en me voyant, mais je n’y arrivais pas. Le simple fait de poser les yeux sur lui avait plongé mon esprit dans une surcharge totale.

Drapé dans une veste en shearling d’un gris charbon profond et un jean sombre, l’oncle de l’oméga semblait dépourvu de toute touche de couleur. Sa silhouette élancée se démarquait avec éclat dans le calme de la bibliothèque, réduisant le reste du décor à une toile floue. C’était comme si son aura avait une forme propre, émanant une lueur vive.

Soudain, je repris mes esprits et détournai précipitamment le regard. J’avais perdu la tête. Qu’est-ce que je faisais à le dévisager ainsi  ? Je refusai de lever les yeux à nouveau, craignant qu’il ait remarqué ma contemplation.

Ma peau frissonnait, mes sens en alerte maximale. Je n’avais pas besoin de le regarder pour savoir que l’oncle de l’oméga — qui semblait mesurer une tête de plus que moi — s’était approché et s’était arrêté tout près.

Je devais me calmer. Ce n’était qu’un alpha. Certes, un alpha très, très puissant.

«  Voici mon oncle », déclara l’oméga d’un ton joyeux.

Je relevai légèrement les yeux et adressai un bref hochement de tête à l’alpha. Il ne répondit pas et continua de me fixer sans sourciller. Cette attitude me mettait mal à l’aise. Avait-il deviné que j’étais un oméga  ? Ce n’était pas si improbable — après tout, il m’avait suffi d’un seul regard pour comprendre qu’il était un alpha.

«  Et, tonton, c’est lui qui m’a donné les herbes suppressives », ajouta le jeune oméga, avec un enthousiasme innocent qui trahissait sans détour ma nature secondaire.

Je forçai un sourire maladroit. «  J’en ai toujours plein sur moi.  »

Silence. L’expression de l’oncle de l’oméga restait figée et impassible.

Pourquoi agissait-il ainsi  ? Pensait-il que j’étais l’alpha qui avait harcelé son neveu  ?

Alors que je commençais sérieusement à m’emballer, l’oncle brisa enfin le silence  :

«  Pourquoi porter autant d’herbes sur soi  ?*  » demanda-t-il d’un ton neutre.

(Note de Ruyi : Sérieusement…  ? À ton avis ? ? ? )

La question soudaine me prit de court. «  Oh, pour aucune raison particulière », répondis-je, esquivant soigneusement de confirmer ma nature d’oméga, bien que la simple présence de ces herbes en disait déjà long.

Étrangement, il continua de me fixer, son regard pesant. Avait-il un problème avec le fait que je sois un oméga  ?

Je soutins son regard sans flancher. Juste au moment où je crus apercevoir une infime hésitation dans ses pupilles sombres, il détourna enfin les yeux et passa une main dans ses cheveux.

«  Merci d’avoir aidé mon neveu », dit-il d’une voix grave. Son regard se posa à nouveau sur moi.

À en juger par son apparence, j’aurais estimé que l’homme était à peu près de mon âge. Pourtant, quelque chose chez lui—peut-être la douceur de son timbre de voix ?—me donnait l’impression qu’il était plus vieux que moi.

« Ce n’était rien,  » répondis-je en lui offrant un sourire gêné, puis je me tournai immédiatement vers son neveu. « Rentre bien,  » lui dis-je, avant de me précipiter pour quitter la bibliothèque.

Je n’avais fait qu’un pas quand le « D’accord, merci ! » du garçon fut immédiatement couvert par un plus ferme « S’il vous plaît, attendez. »

« Oui ? »

« Puis-je vous parler un instant ? »

J’ouvris la bouche pour lui demander pourquoi, mais il s’était déjà tourné vers son neveu. « Rentre immédiatement,  » ordonna-t-il.

Le gamin me regarda, puis son oncle. Il semblait trouver étrange que son parent alpha veuille me parler, une sensation avec laquelle j’étais totalement d’accord. Peu importait ce qu’il voulait me dire, je n’étais pas vraiment enclin à l’écouter. Être près d’alphas dominants me mettait toujours mal à l’aise.

« Vous devriez l’accompagner chez lui », suggérai-je à l’oncle de l’oméga. « Cet alpha du lycée qui l’embêtait pourrait être dans les parages. »

Il tourna son regard vers son neveu. « Où est ton téléphone ? » demanda-t-il.

Le garçon releva sa manche et montra à son oncle la montre intelligente qu’il portait au poignet. « Ici. »

« Si quelque chose arrive, appelle-moi immédiatement. »

« D’accord. »

« Tu as assez de suppressifs ? »

« Les herbes sont vraiment efficaces, donc je devrais être tranquille jusqu’au moins ce soir,  » répondit le gamin. Il se tourna vers moi pour chercher une confirmation. « C’est bien ça ? »

Pris au dépourvu, je hochai la tête. « Oui,  » répondis-je.

Cela sembla suffire pour l’oncle, qui fit un geste en direction de la sortie. « Tu penses pouvoir rentrer seul, alors ? »

« Bien sûr ! » répondit le garçon avec enthousiasme.

À ce moment, il était impossible de soulever d’autres préoccupations sur la sécurité du jeune oméga. Je pensais qu’en mentionnant la possibilité que l’alpha rôde encore dans les parages, cela aurait pu rendre le gamin nerveux et l’amener à s’accrocher à son oncle, mais je m’étais trompé.

L’oncle vérifia quelques derniers détails avec le garçon avant de le renvoyer sans souci. Le gamin semblait déjà avoir effacé l’incident de son esprit, descendant les escaliers de la bibliothèque avec plus d’assurance qu’auparavant.

Je me sentis un peu étrange. J’enviais un peu la facilité avec laquelle le garçon avait surmonté cette situation et retrouvé sa confiance, ainsi que la tranquillité avec laquelle son oncle l’avait soutenu.

C’est à ce moment-là que je réalisai que j’étais désormais seul avec l’oncle du garçon. Je tournai la tête, et je le vis encore, ses yeux noirs fixés sur moi. Leur intensité me transperça, comme s’ils cherchaient à pénétrer mon esprit. Avait-il un problème avec moi ?

Tentant de garder mon calme, je lui demandai d’un ton ferme : « Vous aviez quelque chose à me dire ? »

Il ouvrit la bouche pour répondre, mais soudainement détourna le regard, comme perdu dans ses pensées. « Étiez-vous en train de réviser ? » finit-il par demander.

« Oui, et je compte bien y retourner rapidement,  » répondis-je d’une voix sèche. C’était clair : s’il avait quelque chose à dire, qu’il le fasse maintenant.

Je n’étais normalement pas aussi direct, mais après avoir été contraint de fuir à cause d’un alpha dominant, ce genre de réaction était devenu une sorte de défense. Je n’avais pas de regrets à ce sujet, mais l’expérience m’avait profondément marqué, me rendant méfiant. Du coup, face à un alpha, ma première réaction était de me fermer.

L’oncle de l’omega sembla capter ma méfiance et alla droit au but. « Pourriez-vous me donner votre numéro de téléphone ? » demanda-t-il.

« Pourquoi ? »

« Vous avez vu cet alpha du lycée et son ami. Si vous pouviez m’aider à les identifier, ce serait utile. »

Je le regardai un instant, interloqué. Il était vraiment si déterminé à les retrouver ? Certes, ils avaient harcelé son neveu, mais…

« Votre numéro, s’il vous plaît », insista-t-il, les yeux rivés sur son téléphone.

Je finis par céder et lui donnai mon numéro. Il ne réagit pas tout de suite, restant figé sur son téléphone. Juste au moment où je commençais à me demander ce qui se passait, mon téléphone se mit à vibrer dans ma poche. Il avait dû appuyer sur le bouton pour appeler.

Je sortis mon téléphone pour vérifier, et j’entendis l’oncle de l’omega marmonner.

« Les quatre derniers chiffres sont les mêmes…  » murmura-t-il. Il connaissait peut-être quelqu’un avec un numéro similaire ?

Comme beaucoup en Corée, mes quatre derniers chiffres étaient celles de mon anniversaire. J’avais modifié le reste de mon numéro quand j’avais quitté Séoul il y a trois ans, mais je n’avais jamais pu me défaire de cette séquence. À l’époque, ces chiffres étaient devenus un symbole de ma fierté, quelque chose que je tenais à garder, malgré tout. Peut-être que certains jugeraient cela ridicule, mais abandonner ce numéro m’aurait donné l’impression de m’effacer de l’existence.

Le flot de souvenirs me ramena à l’essentiel : l’homme devant moi était un alpha dominant. « Bonne chance pour retrouver ces lycéens », lui dis-je, avant de reculer d’un pas.

Je me retournai rapidement, marchant d’un pas précipité pour quitter les lieux, tout en sentant son regard lourd sur moi, jusqu’à ce que je sois hors de vue.

 

 

 

CH. 02 – Partie 02

Bien que je sois retourné à ma place dans la salle d’étude, aucune information du livre ouvert devant moi ne parvenait à mon esprit. L’image du jeune oméga, si sûr de lui en affirmant qu’il pouvait rentrer seul, restait gravée dans ma mémoire, tout comme celle de son oncle, impossible à oublier. Même ma faim semblait s’être évanouie.

Abandonnant l’idée de lire, je me suis levé, j’ai enfilé ma doudoune épaisse et j’ai passé mon sac sur mon épaule. Il valait mieux que je rentre.

Après avoir quitté la salle d’étude et être descendu par l’escalier de secours, j’ai retourné mon livre avant de rejoindre le premier étage, où se trouvait le hall de la bibliothèque. La pièce, avec ses hauts plafonds, était glaciale à cause de l’air froid qui s’infiltrait de l’extérieur.

Je me suis arrêté un instant avant de sortir et j’ai enroulé mon écharpe autour de mon cou. Ce n’était encore que le début décembre, les températures ne descendaient pas sous les -1 °C, mais j’ai toujours été particulièrement sensible au froid à cause de mes bronches fragiles. Dès que l’air hivernal s’est engouffré dans mes narines, j’ai su que mon nez n’allait pas tarder à couler.

Je me suis réfugié dans mon écharpe et j’ai tendu la main pour ouvrir la porte de la bibliothèque. Mais avant que je ne puisse la pousser, quelqu’un a attrapé mon bras par derrière.

J’ai reculé brusquement, secoué par le contact, et je me suis retourné d’un coup.

C’était l’oncle de l’oméga.

L’oncle de l’oméga me regarda de haut, sa poitrine haletant comme s’il avait couru pour arriver ici.

Hein ? Mais je croyais qu’il était déjà parti. Mon cœur battait fort, non pas de manière négative, mais plutôt sous l’effet d’une excitation qui me traversait. Mais… Pourquoi est-il ici ? Qu’est-ce qui se passe ?

Reprenant rapidement mes esprits, j’avalai ma salive. L’expression de l’oncle de l’oméga était aussi rigide que d’habitude, et soudain, je commençai à suspecter que j’avais fait quelque chose de mal. Je sentis mes yeux s’écarquiller en levant le regard vers lui.

Son expression sérieuse ne faiblit pas tandis qu’il essayait de reprendre son souffle. « Votre nom,  » haleta-t-il. « S’il vous plaît. Dites-moi votre nom. »

Est-ce qu’il a couru jusqu’ici juste pour me demander ça ? Me sentant un peu perdu, je ne répondis pas tout de suite. Ce n’est que lorsque je réalisai qu’il attendait une réponse que j’ouvris la bouche.

« Oh. C’est Song Yeonwoo. »

« Song Yeonwoo,  » murmura-t-il doucement en me regardant. Il continua à chuchoter mon nom d’une voix basse, et je n’arrivais pas à m’habituer à la façon dont il le prononçait.

Étrangement, mon cœur fit un bond. Qu’est-ce qui m’arrive ? Pourquoi suis-je si troublé ? Tentant de repousser cette vague d’émotion, je fis un pas en arrière, mais je n’allai pas bien loin — il tenait toujours mon bras. J’essayai de me libérer, mais il ne relâcha pas sa prise, même un peu. Au lieu de ça, il tendit sa main libre et pressa quelque chose dans ma paume ouverte.

« Ceci est pour vous. »

Il m’avait tendu une bouteille de café en verre. Était-il allé dans la salle d’étude pour me la donner ? Mais non, il n’y avait aucune chance qu’il ait couru juste pour ça. Je laissai tomber mes illusions en même temps que ma salive.

« Merci,  » dis-je en enroulant mes doigts autour de la bouteille. Elle était chaude, tout comme la main de l’oncle de l’oméga l’avait été lorsqu’elle avait effleuré la mienne. Mes paumes étaient froides, comme d’habitude, mais la chaleur persistait sous la surface de ma peau, une marque invisible.

Cependant, mon attention se porta ailleurs : sur les phéromones légères émanant du corps de l’oncle de l’oméga.

Les phéromones de chaque alpha ont leur propre parfum unique. Certains dégagent une odeur moite et presque collante, comme de la sueur, tandis que d’autres sentent tellement les produits chimiques qu’être près d’eux donne l’impression de respirer du détergent. Mais l’oncle de l’oméga ? Son parfum était totalement différent, presque envoûtant. Ses phéromones étaient légères, mais assez puissantes pour me submerger instantanément.

Il sent les arbres… Une forêt infinie, qui s’étend sur une chaîne de montagnes qui monte vers le ciel. Peut-être était-ce l’air froid, mais en respirant, j’eus l’impression, pendant un instant, de me tenir au cœur de cette forêt enneigée.

Je n’étais ni en chaleur ni particulièrement sensible aux phéromones, mais une étrange fièvre monta en moi. Jamais je n’ai ressenti une telle attraction pour un alpha, même pas pour les dominants. Une énergie nerveuse m’envahit, allant jusqu’au bout de mes doigts.

Je tirai à nouveau mon bras vers moi, et cette fois, l’oncle de l’oméga me lâcha sans résistance. Pourtant, ce n’était pas grâce à la force de mes efforts — ses longs doigts fins s’étaient simplement déplacés vers une nouvelle cible : les extrémités tombantes de mon écharpe.

« Euh, p-pourquoi faites-vous ça ? » demandai-je, baissant les yeux avant même d’y penser. Avait-il vu une tache ou quelque chose ?

« Juste comme ça,  » murmura-t-il, les yeux rivés sur mon écharpe. « C’est joli. »

Je jetai un rapide coup d’œil à ce que je pouvais voir de mon écharpe sous cet angle. Elle avait presque cinq ans à ce stade ; ma mère me l’avait achetée en solde dans un grand magasin. Est-ce que… C’est en fait une marque de luxe ?

Je commençais à réaliser que j’avais peut-être maltraité un article de luxe pendant tout ce temps, quand l’oncle de l’oméga lâcha mon écharpe et recula.

« Je vous contacterai,  » déclara-t-il avec détermination.

«  Yeonwoo, pourquoi continues-tu à regarder ton téléphone en mangeant  ?  » demanda ma mère d’un ton exigeant. «  Tu attends un appel  ?  »

Je reposai aussitôt l’objet incriminé sur la table. «  Non,   » marmonnai-je en secouant la tête avant d’enfourner une nouvelle cuillerée de riz.

«  Ta mère et moi avons toujours prévu de descendre à la campagne ce week-end,   » déclara mon père, assis de l’autre côté de la table. Il me regardait manger et semblait avoir décidé de reprendre la discussion que nous avions eue plus tôt. «  Nous commencerons à réparer la maison une fois sur place. Comme c’est l’hiver, il n’y aura pas trop à faire, mais nous finirons sans doute par nous déplacer un peu. Ça prendra du temps avant que tout soit terminé.  »

Je hochai la tête pour montrer que j’avais compris. «  D’accord.  »

Il y a environ un an, mon père s’était fait escroquer par un ami proche. Il le considérait presque comme un frère, et la trahison avait été un véritable coup dur.

Récemment, il avait pris la décision de quitter Séoul pour retourner dans sa ville natale. Il se battait encore pour rembourser ses dettes, et ils devaient faire attention à chaque dépense, mais je n’avais aucun argument valable pour l’en dissuader.

Cet incident m’avait fait comprendre qu’il était bien plus facile de réunir l’argent nécessaire pour rembourser une dette que de recoller un cœur brisé. En grandissant, j’avais rarement vu mon père ébranlé par quoi que ce soit, mais la trahison de son ami l’avait anéanti. Il lui avait fallu près d’un an pour retrouver un semblant de sérénité.

Il se sentait probablement plus coupable que quiconque d’avoir été dupé. Se pardonner et se relever avaient sans doute été les épreuves les plus difficiles de sa vie.

Je pouvais comprendre. Moi aussi, après ce qui s’était passé il y a trois ans, je m’étais sentie pathétique et impuissante. Même en sachant que ce n’était pas ma faute, j’avais encore du mal à ne pas m’en vouloir d’avoir sombré dans le pire scénario possible.

Allongée sur mon lit ce soir-là, je repensai à ma rencontre avec l’oncle de l’oméga, à ma première réaction  : me mettre immédiatement sur la défensive. Pourtant, aujourd’hui, j’avais trouvé un nouveau travail à temps partiel dans un quartier inconnu, rencontré mes collègues, reçu des instructions, exploré une bibliothèque avant de passer des heures à étudier… Et malgré tout, la seule chose qui me restait en tête, c’était cet homme que j’avais croisé à peine cinq minutes.

Je soulevai mon téléphone et fis glisser mon pouce sur l’écran. Aucun nouveau message. Soupirant, je le laissai tomber sur le lit à côté de moi. Oublie ce type. Non seulement il avait l’air de te détester au premier regard, mais en plus, c’est un alpha dominant. Vous n’avez absolument rien en commun.

Le lendemain matin, il faisait un peu plus chaud qu’hier, mais en me dirigeant pour la deuxième fois vers la bibliothèque, des rafales d’air glacial me frappèrent, sans pitié, tout comme les autres passants. Ce n’est qu’en entrant dans la salle d’étude que j’avais utilisée la veille que mon corps commença à se réchauffer. Me sentant aussi lourd et amorphe qu’un gâteau de riz, je me penchai en avant et ouvris le livre que j’avais choisi pour aujourd’hui.

Comme c’était un matin de semaine, la bibliothèque était relativement calme, bien que plus de la moitié des places dans la salle d’étude étaient occupées. La plupart des gens ici devaient probablement être des étudiants préparant leurs examens à venir. Les seuls bruits qui se faisaient entendre étaient ceux des stylos grattant le papier et des pages qui se tournaient. De nombreuses mains avaient dû effleurer la large table en bois devant moi, mais—probablement parce que la bibliothèque était récente—elle était encore brillante, presque comme neuve.

Je n’avais jamais vraiment pensé à l’importance d’un bon environnement pour étudier—honnêtement, cela ne me semblait pas si crucial—mais j’ai été surpris de constater à quel point l’atmosphère ici me stimulait. Me concentrer sur la lecture après trois ans sans toucher un livre n’était pas facile, mais l’enthousiasme palpable autour de moi m’aidait vraiment.

Bien que déterminé à avancer, seulement cinq minutes passèrent avant que ma première distraction n’apparaisse : un message s’affichant sur l’écran de mon téléphone. C’était un camarade de classe avec qui j’avais été ami lors de ma première année à l’université.

[ Yo, ] disait-il, [ tu devrais avoir assez de respect pour tes aînés (c’est-à-dire moi) pour me prévenir quand tu rentres chez toi. ]

[ Mec, tu vas bien ? ] répondis-je. [ On dirait que t’as des engelures au cerveau. ]

[ J’aimerais bien, ] répondit-il. [ Si je devenais un bloc de glace, je pourrais repousser mon diplôme. Je resterais étudiant pour toujours si je pouvais… J’en peux plus de chercher un job. ]

[ Il n’est pas trop tard,  » écrivis-je, lui offrant la solution la plus réaliste qui me vint à l’esprit. [ Ne te présente pas à tes examens finaux. »

[ J’y ai pensé, pour être honnête. Mais ça ruinerait mes notes et ils me feraient quand même passer mon diplôme. ]

Je ris, mais son message suivant fit disparaître mon sourire.

[ Ils ont même laissé ce connard qui t’a harcelé obtenir son diplôme, et ses notes étaient nulles. Et en plus, ils lui ont donné une sorte de récompense ! Les alphas dominants s’en sortent toujours. ]

Cette information n’était pas nouvelle pour moi, mais ce n’était jamais agréable à entendre. Ne voulant pas en parler, je changeai de sujet.

[ T’es un bêta, alors dis-leur de pas te ménager et de t’expulser à la place. ]

[ Mon petit Yeonwoo… Regarde comme tu deviens impitoyable. ]

Je gloussai et me replongeai dans mon livre. Pendant que je continuais à étudier, quelques autres messages arrivèrent. Je leur répondis de temps en temps, lorsque je faisais des pauses pour prendre des notes sur des points que je ne comprenais pas totalement.

Lors de l’une de ces pauses, je vis un message apparaître sur l’écran de mon téléphone, du coin de l’œil. Je regardai, pensant que c’était encore mon ami, mais quand je vis le message, mon cœur s’arrêta.

[ Où es-tu ? ]

La personne qui m’avait envoyé ce message n’avait pas jugé utile de préciser qui elle était, mais ces trois mots suffirent à ce que je comprenne immédiatement. Mon cœur s’emballa—ou peut-être que « frémit » serait plus juste.

Je fixai cette simple question pendant un long moment avant d’avoir le courage de vérifier le numéro. Lorsque je le fis, je vis que mon intuition était correcte—c’était bien l’oncle de l’oméga. Il m’avait vraiment contacté.

À moitié surpris et à moitié déconcerté, je répondis : [ Je suis à la bibliothèque. ]

Je fixai l’écran de mon téléphone, attendant une réponse, jusqu’à ce qu’il s’éteigne. Finalement, après un moment, je me forçai à retourner à mon livre, mais je continuais à jeter des coups d’œil pour vérifier si une notification était arrivée.

Beaucoup de temps passa, mais aucune réponse. Avait-il envoyé ce message sans raison particulière ? Peut-être voulait-il juste savoir si le lycéen alpha était dans les parages… ?

Mes pensées se firent de plus en plus folles jusqu’à ce que je ne puisse plus les supporter et que je retourne mon téléphone face contre la table. Puis, environ vingt minutes après m’être replongé dans ma lecture, quelqu’un tira la chaise en face de moi et s’assit. Je n’aurais même pas pris la peine de regarder si ce n’était pas pour une chose : la personne sentait très légèrement une forêt hivernale.

Hein ? !

Je levai brusquement la tête et croisai le regard de l’homme qui venait de s’asseoir, choqué. En me fixant, il me salua d’un léger hochement de tête. Je lui rendis rapidement son geste.

Pourquoi était-il là ? Je ne pouvais pas lui poser la question à voix haute, nous étions à la bibliothèque.

C’est alors que mon téléphone vibra, me signalant un message.

« Vous aimez le café ? »

 

 

 

CH. 02 – Partie 03

Je serrai la tasse en papier, remplie de café que j’avais pris à la machine, entre mes doigts tout en attendant qu’elle refroidisse un peu. C’était la seule façon pour moi de mettre mon plan à exécution : avaler le café d’un trait, puis partir.

Même si j’essayais de ne pas y prêter attention, je ne pouvais m’empêcher d’être perturbé par l’alpha dominant en face de moi. Ses phéromones étaient à peine perceptibles — je devais vraiment faire un effort pour les sentir — mais j’aimais tellement leur parfum que ça me mettait mal à l’aise. J’avais déjà rencontré des alphas dominants auparavant, mais aucun d’eux n’avait des phéromones aussi attirantes que celles de cet homme.

Essayant de ne pas le montrer, je reculais discrètement ma chaise. « Vous êtes ici pour attraper le lycéen alpha ? » demandai-je.

L’oncle de l’oméga, les yeux toujours fixés sur sa tasse, releva le regard à ma question et sourit. « Non. »

La veille, il avait donné l’impression d’être froid et inflexible — sans doute à cause de son regard perçant — mais lorsqu’il souriait, c’était comme s’il devenait une autre personne. Cette vision me fit le rajeunir de plusieurs années dans mon esprit, mais je n’arrivais toujours pas à deviner son âge. Je scrutai son visage à la recherche de nouveaux indices, mais il évita mon regard en repoussant ses mèches de cheveux d’un geste rapide.

En y repensant, il portait aujourd’hui une nouvelle coiffure. La veille, ses mèches tombaient librement sur son front, mais ce matin, il les avait soigneusement coiffées en une raie sur le côté avec un peu de gel. C’était un look soigné et professionnel, surtout avec le manteau court qu’il portait. Peut-être qu’il a une réunion importante après ?

De mon côté, j’étais toujours dans la même doudoune d’hiver que la veille, avec un pull ample. Cette pensée me fit me sentir tout petit. C’était la première fois que j’étais aussi gêné par ma tenue en présence de quelqu’un, et cela n’arrangeait en rien mon malaise.

« Je suis venu étudier », finit-il par expliquer.

Ah, oui. Après tout, c’est une bibliothèque. Ça semblait une raison valable, alors je m’apprêtais à lui faire un signe de tête, c’est alors qu’une question surgit soudainement dans mon esprit.

« Pourquoi m’avez-vous demandé de vous rencontrer, alors ? » demandai-je.

« Parce que je dois aussi trouver ce lycéen, d’une manière ou d’une autre. »

« Mais il ne serait pas en train de somnoler à l’école en ce moment ? »

Les lèvres de l’oncle de l’oméga s’étirèrent en un léger sourire, et il laissa échapper un petit rire. Je n’avais rien dit de drôle — du moins, à ma connaissance — mais ses yeux pétillants semblaient en dire autrement.

Déconcerté par ce changement d’attitude par rapport à la veille, je lui offris un sourire un peu forcé.

« Pourquoi « somnoler » et pas « étudier » ? » demanda-t-il d’un ton léger. « C’est parce que c’est un alpha ? »

Le sourire s’effaça de mes lèvres. « Je… Ce n’était pas une insulte. »

« Même si ça l’avait été, ça aurait été très léger. »

Je me sentis gêné par cette réponse bienveillante. Certes, je l’avais dit sur le ton de la plaisanterie, mais mes mots trahissaient clairement un préjugé. En plus, mes biais étaient tellement ancrés que je n’avais même pas hésité avant de faire un commentaire comme celui-ci à un alpha.

Je voulais m’excuser, mais j’avais trop hésité, et le moment était déjà passé. Du coup, je me contentai de tripoter la tasse en papier dans mes mains.

L’oncle de l’oméga tenait également sa tasse de café entre ses doigts, mais ses mains étaient tellement grandes qu’elle semblait de la taille d’un petit verre à shot en comparaison. Fasciné, je fixai ses longs doigts élégants, qui menaient à des paumes massives.

Soudainement gêné, je tournai mon attention vers mon propre café — désormais tiède — et me mis à le boire aussi vite que possible.

« À quelle heure êtes-vous arrivé ici ? » demanda l’oncle de l’oméga.

Sa voix me surprit, et je m’étouffai. Avec la grâce d’un enfant de trois ans, je renversai du café sur mes lèvres et sur mon pull.

J’ai vite pris le mouchoir que j’avais glissé dans ma poche et l’appliquai sur la tache, mais le café avait déjà imprégné le tissu épais de mon pull. Mince, je dois porter ça pour aller travailler tout à l’heure…

« Désolé,  » dis-je, gêné. « Je suis arrivé… Il y a trente minutes, je crois ? »

Je continuai à essayer d’enlever les taches de café avec mon mouchoir quand l’oncle de l’oméga se joignit à moi, faisant de son mieux pour m’aider en appuyant un morceau de papier absorbant contre ma poitrine.

« C’est bon,  » dis-je rapidement. « Je peux m’en occuper. »

Embarrassé, je levai les mains pour le repousser, mais il continua à presser fermement le papier absorbant contre mon pull. C’était déjà assez gênant d’avoir renversé mon café et de mettre du désordre, mais sa main sur ma poitrine — même à travers mon pull — me fit me figer sur place.

« Vraiment, ça va,  » lui dis-je une nouvelle fois.

Pourtant, il ne bougea pas. N’ayant d’autre choix, je tendis la main et attrapai le poignet de l’oncle de l’oméga avant de m’éloigner autant que possible.

Évidemment, les choses ne firent qu’empirer à partir de ce moment-là. L’homme se figea, son regard glissant de ma main agrippée à son bras jusqu’à mon visage. Légèrement intimidée, je le lâchai aussitôt.

Il leva les yeux vers moi. « Est-ce parce que je suis un alpha que vous êtes mal à l’aise ? » Sa voix grave portait un parfum boisé, celui d’une forêt en hiver.

« Euh… Oui. »

Je n’étais pas du genre à dire des choses blessantes, sauf si je détestais vraiment quelqu’un, mais cet homme faisait figure d’exception. Je ne le détestais pas, pourtant tout en lui me criait de garder mes distances. La chaleur diffuse que son parfum éveillait en moi était bien trop dangereuse.

Reprends-toi, Yeonwoo.

Je poussai ma chaise en arrière et me levai. Quand je croisai à nouveau son regard, je savais que mon visage s’était durci.

Un instant s’écoula alors qu’il me fixait, son expression impénétrable. Puis, d’une voix mesurée, il demanda : « Êtes-vous attirée par moi ? » Il repoussa les mèches qui retombaient sur son front.

« Non. »

C’était la vérité. Enfin… Probablement.

« Alors nous ne devrions pas avoir de problème. Prenons notre temps. »

Je plissai légèrement les yeux. « Prendre notre temps pour quoi ? »

Il haussa les épaules, d’un geste aussi décontracté que captivant, presque comme s’il sortait d’un film. « Pour nous habituer l’un à l’autre. »

Je clignai des yeux, serrant involontairement mon mouchoir. « C’est vraiment nécessaire…  ? »

Il acquiesça. « Tant que je n’aurai pas attrapé ce lycéen alpha, nous serons amenés à nous croiser régulièrement. Comme je l’ai dit hier, vous êtes le seul à savoir à quoi il ressemble, lui et ses amis. J’aimerais que nous travaillions ensemble. »

« Vous comptez vraiment l’attraper ? »

« Oui. »

Son regard s’embrasa d’une intensité troublante. Un frisson me parcourut, et l’espace d’un instant, j’eus l’impression qu’il pourrait littéralement prendre feu.

Cette détermination était… Inquiétante pour la sécurité du lycéen. Mais je n’avais pas de temps à perdre à m’inquiéter pour quelqu’un d’autre. L’oncle de l’oméga m’avait déjà demandé mon aide deux fois. Le refuser ne ferait que compliquer les choses. Si je voulais continuer à fréquenter cette bibliothèque sans être mêlée à des problèmes, il me fallait une solution alternative.

« Et si je vous appelais simplement si je le vois ? » proposai-je. « Je reste généralement jusqu’à dix-huit heures. Ça vous convient ? »

« Vous comptez venir ici tous les jours ? »

« Euh… Oui. »

« Moi aussi. »

« D’accord…  » soufflai-je, commençant à envisager sérieusement de chercher une autre bibliothèque.

Comme s’il avait lu mes pensées, il ajouta sèchement : « Je ne vous dérangerai pas dans vos études. »

« Ce n’est pas la question…  » répliquai-je faiblement. Je cherchais désespérément une excuse plus convaincante, mais aucun mot ne vint, et un silence pesant s’installa entre nous.

Comment lui avouer la vérité ?

Comment lui dire : J’ai peur de l’attirance que je ressens pour vous. Juste l’odeur légère de vos phéromones fait battre mon cœur, mais vous êtes un alpha bien au-dessus de ma ligue.

Même si j’en avais le courage, je n’étais pas certaine que ces mots puissent franchir mes lèvres.

« Bien. » Il hocha la tête. « Alors, à la bibliothèque, tous les jours. »

Ses paroles me frappèrent en plein cœur, comme une flèche. Tous les jours…  ? !

Dans une dernière tentative désespérée de m’échapper, je demandai : « Vous n’avez pas cours ? »

« J’ai pris un congé. Et vous, M. Yeonwoo ? »

Entendre mon nom dans sa bouche me fit l’effet d’un coup porté à mes défenses. Soudain, je me sentis vulnérable.

« J’ai fait de même,  » répondis-je en tentant de garder un visage impassible. « Je retourne à l’université l’année prochaine. »

Je voulais lui dire de se concentrer sur ses études, mais tout ce que j’avais réussi à faire, c’était découvrir une nouvelle chose que nous avions en commun. Mauvaise idée…

« Laquelle ? »

« W.U.,  » répondis-je sans réfléchir.

L’expression impénétrable de l’oncle de l’oméga se fissura légèrement, une lueur de surprise traversant son regard.

Un mauvais pressentiment me saisit.

Sa voix, basse et maîtrisée, trahissait une émotion contenue.

« Alors… Cela fait de vous mon sunbae. »

Lorsqu’ils atteignent leur maturité, les omégas entrent en chaleur environ six fois par an. Certains estiment qu’ils devraient s’estimer heureux, puisqu’ils n’y sont confrontés que tous les deux mois, contrairement aux bêtas femelles qui ont leurs règles chaque mois. Mais en réalité, ce n’est en rien une partie de plaisir.

Pendant ces périodes, leurs cinq sens deviennent hypersensibles, même lorsqu’ils prennent des herbes suppressives. L’odorat est le plus touché : un oméga en proie à des symptômes tardifs perçoit toutes sortes de phéromones, y compris celles qu’il ne pourrait normalement pas détecter. Bien sûr, elles ne provoquent pas toutes une excitation sexuelle, mais lorsqu’un alpha dominant est dans les parages, la probabilité qu’une réaction se déclenche augmente exponentiellement. De plus, le risque qu’un oméga croise quelqu’un dont les phéromones correspondent à son « type »—un phénomène propre à chaque oméga, où certaines phéromones précises déclenchent une attirance accrue—devient également plus élevé.

Certains bêtas parlent de « destin », mais employer un mot aussi romantique pour décrire un simple instinct animal semble un peu exagéré. Seuls ceux qui se laissent gouverner par leurs pulsions pensent ainsi. Ceux qui ont un minimum de bon sens savent qu’une relation saine repose sur un lien émotionnel, et que l’attirance physique seule mène bien souvent à une impasse.

J’avais tout mis en œuvre pour éviter ce genre de piège après mon premier cycle de chaleur, au collège. Depuis, je ne relâchais jamais ma vigilance. Toujours sur mes gardes, toujours préparé. À tel point qu’à ce jour, je ne sortais jamais sans un sachet d’herbes suppressives dans ma poche, même si mon prochain cycle n’était prévu que dans plusieurs semaines.

Alors pourquoi, face à cet alpha dominant que je ne connaissais que depuis une journée, avais-je tant de mal à conserver les honorifiques ?

« H-Hubaenim*, alors comme ça, tu as pris une année sabbatique ? »

(N/T : « Nim » (님) est un honorifique coréen qui exprime un haut degré de respect et de politesse. Il est souvent ajouté à des titres ou des noms, comme seonsaengnim (선생님) pour « professeur ». Dans « hubaenim » (후배님), Yeonwoo ajoute « nim » à « hubae » (후배, qui signifie « junior » ou « élève plus jeune ») afin de maintenir une distance formelle et respectueuse.)

« Oui. » Il hocha la tête avant d’ajouter : « Mais tu n’es pas obligé d’être aussi formel avec moi, Yeonwoo-sunbae. Tu peux me tutoyer. »

Ouais… Je ne pense pas que ce soit si simple. Je ravalai ces mots avant qu’ils ne franchissent mes lèvres. Plus important encore, comment avait-il deviné que j’étais plus âgé que lui juste en apprenant que j’avais interrompu mes études ? On me disait souvent que j’avais l’air plus jeune que mon âge. Ce n’était donc pas mon apparence qui l’avait mis sur la piste.

« Comment tu as su— »

« Est-ce que tu retournes à— »

Nous nous figeâmes en même temps et nous échangeâmes un regard gêné. Ne sachant plus où poser les yeux, je détournai la tête. Lui aussi… Mais j’aurais juré l’avoir vu esquisser un sourire.

D’ordinaire, il avait l’air froid et menaçant. Son regard perçant et son expression impassible lui donnaient une aura intimidante. Pourtant, quand il souriait… C’était comme si son visage s’illuminait. Il devenait presque… Mignon.

Cette pensée me fit l’effet d’un électrochoc. Je me ressaisis aussitôt. Allez, tout le monde est mignon quand il sourit ! Même les mamies !

« Yeonwoo-sunbae, je t’en prie, vas-y en premier. »

« E-Eh bien, je…  » Je m’interrompis, incapable de retrouver le fil de ma pensée. Légèrement paniqué, je détournai à nouveau les yeux, puis me rappelai ce qu’il avait tenté de demander. Je saisis l’occasion pour répondre à sa place. « Oh ! Oui, je retourne à l’université l’année prochaine. Et toi ? »

« C’était mon plan aussi. »

Oh… Ce qui signifiait que nous serions en cours en même temps. Mon cœur fit un bond. Machinalement, je passai ma langue sur mes lèvres avant de les mordiller, tentant d’ignorer la sensation étrange qui montait en moi.

« Dans ce cas, faisons en sorte que cette année académique soit une réussite et retournons à nos études, » lançai-je après un bref silence. Je me levai, attendant qu’il en fasse de même. Mais il se contenta de baisser lentement les yeux vers mes lèvres avant de remonter vers mon regard. Avait-il fixé ma bouche ?

« Ce sera ma deuxième année,  » intervint soudain l’alpha, comme si je n’avais rien dit. « Et toi, Yeonwoo-sunbae ? »

Décontenancé, je me rassis. Pas le choix, il fallait répondre. « J’ai pris trois ans de pause, donc ce sera aussi ma deuxième année,  » admis-je à contrecœur. L’idée que nous soyons au même niveau avait quelque chose de troublant.

« On dirait presque qu’on était destinés à se rencontrer,  » remarqua-t-il avec un sourire en coin.

C’était vrai… Mais je refusais de m’y attarder. Après tout, prendre une année sabbatique était assez courant.

« Si c’est le cas, alors tous les étudiants de deuxième année de notre université le sont aussi,  » rétorquai-je en haussant les épaules. « Ça nous fait environ quatre mille personnes liées par le même « destin ». »

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