01. Récupérer un chiot ⋄ Partie 01
Un sale gosse sans cœur.
C’est ce que Gyeon Heeseong avait pensé la première fois qu’il avait vu Yoon Chi-young.
Comment peut-il se promener en souriant comme ça après avoir appris la mort de son père ?
Heeseong jeta un regard dégoûté à Chi-young.
Il avait entendu dire que le père de Chi-young, chef du clan des loups, était décédé la veille au soir. Pourtant, Chi-young se tenait là, vêtu d’un costume élégant, riant et discutant joyeusement avec les gens autour de lui. Et cela dans une salle de jeu appartenant au clan des canidés.
Dans le monde où évoluait Heeseong, l’affection était une rareté. C’était un milieu où les hommes-bêtes se battaient et commettaient des crimes pour de l’argent presque tous les jours. Pourtant, il avait entendu dire que le clan des loups, en raison de leur nature monogame, attachait une grande importance à la famille. Mais en voyant Chi-young, il semblait plus proche d’un lion prêt à tuer ses propres petits que d’un loup protecteur.
Cependant, Heeseong ne pouvait pas se permettre d’exprimer ouvertement son dédain. Il n’était ni un lion, ni un loup, mais un simple chien dans cette maison de jeu.
« Bonne journée. »
Au passage de Chi-young, Heeseong s’inclina légèrement pour le saluer.
Mais Chi-young, qui le dépassait d’une tête, soit ne l’entendit pas, soit était trop absorbé par sa conversation avec un ami.
Le visage de Chi-young, aussi noble que celui d’un loup de race pure, affichait un sourire éclatant lorsqu’il riait. Pourtant, les mots qui sortaient de sa bouche étaient tout le contraire. Il se réjouissait apparemment d’avoir vu les oreilles d’un membre du clan bovin être coupées après qu’il ait perdu un pari.
Je ne veux surtout pas m’attacher à ce type.
Heeseong frissonna, observant le dos de Chi-young avec mépris.
Chi-young, avec ses traits parfaits, ne semblait pas à sa place dans cette salle de jeu miteuse. Mais son comportement, fait de rires et de bavardages malgré la tragédie récente, semblait encore plus déplacé.
Un peu plus loin, Chi-young murmura paresseusement :
« Ça ne sentirait pas le chiot par ici ? »
« … »
Le poing de Heeseong se serra par réflexe.
Ce commentaire semblait lui être destiné. En tant que membre d’une race de petits chiens, il était déjà complexé par sa taille. Il faisait d’ailleurs toujours attention à rester sous forme humaine pour éviter que quiconque ne détecte son odeur ou son apparence réelle. Comment ce loup aurait-il pu sentir quoi que ce soit ? À moins d’avoir un odorat exceptionnel, il était impossible pour quelqu’un de déceler une « odeur de chiot », un détail que même lui ignorait.
Sale gosse de loup.
Il devait s’agir d’une pique destinée au clan canin tout entier. L’homme à côté de Chi-young éclata de rire, lui demandant s’il était sérieux avec ses absurdités.
Heeseong lança un regard assassin au large dos de Chi-young. Il n’avait pas remarqué que ce dernier s’était retourné et lui adressait un léger sourire.
Contrairement aux espoirs de Heeseong, il finit par rencontrer à nouveau Yoon Chi-young.
La deuxième fois que Heeseong vit Chi-young, c’était alors qu’il se faisait gronder par son frère.
En tant que plus jeune membre de l’organisation du clan canin, Heeseong devait travailler dans la maison de jeu sans aucun jour de repos, ce qui l’amenait souvent à être impliqué dans des incidents et des accidents. En vérité, la plupart de ces incidents étaient dus à la nature intraitable de Heeseong.
« Heeseong… Tu dois atténuer ta personnalité si tu veux travailler ici, d’accord ? »
Son frère, Park Geon-tae, qui était assis avec lui sur un coin de table, lui dit cela avec une pointe de frustration. Heeseong avait l’air abattu, découragé, mais ne pouvait cacher son esprit rebelle. Il continua à fixer quelque chose sur la table.
Geon-tae n’était pas son frère de sang, mais c’était lui qui avait recueilli Heeseong lorsqu’il était sur le point de mourir de faim. C’est pourquoi Heeseong le considérait comme la seule famille qui lui restait et partageait avec lui ses problèmes et les histoires que personne d’autre n’écoutait.
« … Ce salaud n’arrêtait pas de me demander de le sucer en jouant au poker. »
« C’est parce que tu es joli et qu’ils se laissent emporter. Pourquoi as-tu directement jeté des jetons à la figure du client ? »
« Il a dit qu’il voulait les mettre sur ma poitrine… »
« Ah, bon sang… Il y avait aussi un loup à cette table. Ne peux-tu pas faire attention ? »
Geon-tae le réprimanda gentiment en lui versant un verre d’alcool.
Réconforté par son frère, Heeseong exprimait plus facilement ses émotions. Peut-être à cause de la tristesse et de la fatigue accumulées, des cheveux noirs doux avec des oreilles de chiot blanches à moitié repliées commencèrent à apparaître.
Après avoir avalé la moitié de sa boisson, Heeseong posa le verre avec défi et dit : « Frère, je ne veux plus travailler ici. »
« … »
Geon-tae détourna le regard avec une expression amère. Lié par des dettes à l’organisation, Geon-tae n’était pas en mesure de quitter facilement la maison de jeu. Bien qu’il le sache, Heeseong voulait s’échapper, même si cela signifiait s’enfuir. Sans son frère, il se serait enfui depuis longtemps.
C’est alors qu’une question inattendue lui fut posée.
« Pourquoi bois-tu de l’alcool ? Tu essaies de te tuer ? »
C’était Yoon Chi-young.
Même s’ils étaient étrangers, il avait facilement entamé la conversation avec Heeseong. Heeseong l’avait déjà salué en tant qu’employé d’une maison de jeu, mais c’était la première fois qu’ils se rencontraient.
Pourtant, Chi-young était là, assis naturellement à la table à côté de la table ronde, fixant son regard sur Heeseong. Heeseong, se sentant mal à l’aise et sous pression, se pencha en arrière et répliqua d’un ton défensif.
« On se connaît ? »
« Non, pas encore. »
« Alors occupe-toi de tes affaires… Aïe ! »
Soudain, le frère assis devant Heeseong lui marcha sur le pied. Son visage était trempé de sueur froide, manifestement troublé.
C’était un avertissement silencieux qui l’invitait à faire attention à ses paroles en présence d’un VIP.
« Les Ca-Canins peuvent très bien boire de l’alcool. »
« On vous force à boire ? »
Ce salaud écoute-t-il au moins ce que je dis ?
« Non. J’en ai envie. »
« Ah, envie… »
Chi-young esquissa un sourire, inclinant légèrement la tête en réponse à cette remarque anodine. Ce simple geste avait une élégance presque sculpturale. Ses traits impeccables et harmonieux dégageaient une beauté saisissante, amplifiée par un sourire doux qui semblait fait pour séduire. Pourtant, derrière cette façade charmante, ses yeux gris émettaient une froideur distante, presque inhumaine, qui ajoutait à son charisme une touche d’inaccessibilité. Cette combinaison d’attirance et de danger exerçait une fascination inexplicable sur Heeseong, l’obligeant malgré lui à ne pas détourner le regard.
« Bois avec modération. Sinon, tu vas te ruiner la santé. »
Chi-young, en passant près de Heeseong, ébouriffa ses cheveux d’un geste simple mais tendre, presque affectueux, comme on pourrait le faire avec un amant.
Et pour couronner le tout, il redressa l’une des oreilles mi-pliées de Heeseong, comme on le ferait à un chiot, avant de s’éloigner.
Il a perdu la tête, ou quoi ?
Heeseong, incapable de cacher son mécontentement, redressa soigneusement ses oreilles blanches et retroussa ses lèvres pour montrer les crocs. Il avait envie de l’insulter, mais Chi-young avait déjà disparu, accompagné de ses compagnons de meute.
« Tu connais Yoon Chi-young… ? »
Son frère posa la question d’un ton hésitant, brisant le silence. Heeseong, le visage aussi sombre qu’un ciel d’orage, secoua la tête.
« Non, bordel. »
« Alors pourquoi fait-il comme s’il te connaissait ? »
Ça, c’était une question que Heeseong se posait aussi.
Voyant l’agacement de son frère, l’autre insista avec sérieux :
« Fais gaffe à Yoon Chi-young du clan des loups. On dit qu’il est tellement vicieux qu’il attaque même les siens. »
« … »
… Gyeon Heeseong n’aimait pas Yoon Chi-young.
Quand une info venait de son frère, qui gérait un tripot clandestin*, elle était généralement fiable. On disait de Chi-young qu’il était impitoyable, qu’il n’avait pas versé une larme à la mort de ses proches, et qu’il pouvait même s’en prendre à ceux de son propre clan.
(N/T : Un tripot clandestin est un lieu secret où se pratiquent illégalement des jeux d’argent, comme le poker ou la roulette, souvent dans des endroits discrets pour échapper à la loi.)
Heeseong ne comprenait pas comment quelqu’un avec un visage aussi séduisant pouvait se comporter de cette manière.
Puis, à leur troisième rencontre, un incident survint.
Heeseong subit ce qu’il considérait comme un harcèlement de la part de ce type — bien qu’il détestât utiliser ce mot, étant lui-même un chien. Mais, ironie du sort, l’autre aussi en était un.
« Hé, mec. En quoi c’est du harcèlement ? J’ai juste dit que t’étais mignon. »
« T’as mis mon corps dans ta bouche ! »
(Note de Ruyi : Pardon ? ? Σ(O_O) )
Même son frère avait éclaté de rire en entendant ça, mais Heeseong persistait à dire que c’était du harcèlement.
Voici ce qui s’était passé :
La veille, épuisé, Heeseong avait nettoyé une chambre laissée sens dessus dessous par un client, avant de s’effondrer de fatigue sur un canapé, reprenant inconsciemment sa forme animale.
Petit chien blanc, il pouvait se rouler en boule dans une veste et passer pour une pile de linge, souvent oublié par ceux qui passaient à proximité. C’était l’un des rares avantages d’être un chien de petite taille.
Mais Yoon Chi-young était différent.
Heeseong ne savait pas depuis combien de temps cet homme était à ses côtés, mais à son réveil, il le découvrit, penché au-dessus de lui, ses yeux sombres fixant intensément sa petite silhouette endormie.
Et ce cinglé était en train de mordre sa patte avant !
(Note de Ruyi : Je suis morte mdrrrr)
Cela peut paraître anodin, mais c’est terrifiant quand on le vit soi-même. Chez les hommes-bêtes, les émotions incontrôlées révèlent leur vraie nature. Imaginez-vous réveillé pour trouver une créature à oreilles de loup noires et crocs acérés en train de mâchouiller votre patte.
Argh !
Paniqué, Heeseong se débattit. Mais Chi-young éclata d’un rire joyeux et, avant que le chiot ne puisse s’échapper, l’attrapa d’une seule main et frotta ses lèvres contre son dos duveteux.
Heeseong hurla de le lâcher et planta ses petites dents dans les doigts de Chi-young, jusqu’à en faire perler du sang.
Cependant, impassible, Chi-young retourna le petit paquet blanc sur le dos et enfouit son visage contre son ventre rose.
« Oh, ça a l’air vraiment délicieux. »
Tout en lâchant cette phrase proprement canine.
Humilié, Heeseong finit par perdre connaissance, bavant de stress. C’était inévitable. Comme dans la nature, lorsqu’une proie est mordue par un prédateur beaucoup plus grand, elle s’évanouit par réflexe.
Depuis ce jour, la haine de Heeseong pour Yoon Chi-young s’était solidifiée.
(Note de Ruyi : En vrai qui peut lui en vouloir („¬ᴗ¬„) )
Il était effrayé par les rumeurs concernant Chi-young, bien qu’il ne l’avouerait jamais. Pas plus qu’il n’admettrait que, sous son masque de dur à cuire, il n’était qu’un petit chien fragile.
02. Récupérer un chiot ⋄ Partie 02
Heeseong fit un cauchemar.
Dans son rêve, il était redevenu un chiot et se faisait pourchasser par Yoon Chi-young. Il courait désespérément, jetant des regards affolés derrière lui, mais finit par être acculé dans un cul-de-sac, incapable d’échapper à son poursuivant.
« Ha… Ça va être délicieux… »
Oon Chi-young fixait le chiot couvert de boue avec un regard vorace, semblable à celui qu’on réserve à un fruit mûr. Heeseong se débattait, grattant frénétiquement le sol avec ses petites pattes, mais ses efforts étaient vains.
Alors que le beau visage de Yoon Chi-young se rapprochait dangereusement, un sourire carnassier dévoila ses crocs acérés. Leur éclat glaça le sang de Heeseong.
Et lorsque le nez proéminent de Yoon Chi-young effleura son museau humide, Heeseong se réveilla en sursaut, un cri étranglé dans la gorge.
Put… Putain de merde, quel rêve merdique !
Sous sa forme de chiot, Heeseong bondit hors du lit, la tête encore embrouillée par son sommeil agité. Un côté de sa petite caboche, à peine plus grosse qu’une pomme de terre, portait les traces écrasées de l’oreiller. Il cligna des yeux, essayant de dissiper la torpeur, et observa la pièce autour de lui.
C’était toujours le même motel miteux adjacent à une maison de jeu, un endroit qu’il connaissait par cœur, mais qui lui semblait soudain étranger, comme si un filtre s’était superposé à ses souvenirs.
La porte s’ouvrit, laissant entrer son frère, un sourire moqueur aux lèvres.
« Oh, t’es réveillé ? Yoon Chi-young a dit qu’il était désolé et a laissé une compensation. »
Heeseong plissa les yeux. « Une compensation ? Quel genre de compensation ? »
« Il s’excuse d’avoir manipulé le « chien de la maison de jeu » par erreur. Il a donné ça. » Il désigna une boîte posée à côté du lit. « Et il a dit de te reposer aujourd’hui. »
Qu’il se repose vraiment ? Comme si Heeseong savait ce que « se reposer » voulait dire. Avec ses 6,5 jours de travail hebdomadaires, il avait oublié ce qu’était un jour de congé.
Il assomme un innocent homme-bête et pense qu’une compensation peut tout régler.
Pourtant, un jour de congé, c’était sacré. Heeseong décida d’en profiter pleinement. Il s’allongea à nouveau, fermant les yeux sur les bruits douteux qui s’échappaient de la pièce voisine. Peu importaient les gémissements – il dormait comme une pierre. Ce n’est qu’après une journée entière de sommeil que son corps commença à se sentir un peu moins lourd.
En se réveillant, il remarqua une boisson et une boîte volumineuse posées près de son lit.
En-cas à base de patates douces.
Sur le carton, une note écrite de la main de son frère attirait son attention : « Yoon Chi-young t’a acheté ça. »
Heeseong fronça les sourcils. « Ce type me prend vraiment pour un chien ? »
Le choix d’en-cas de Yoon Chi-young laissait à désirer, mais la curiosité l’emporta. Plutôt que de jeter la boîte – plus grande que lui sous sa forme de chiot – il se transforma en humain et en goûta un. À sa grande surprise, la douceur lui plaisait. Le goût sucré réveilla une pointe d’énergie en lui. Repassant en chiot, Heeseong dévora deux sachets supplémentaires, son ventre désormais bien rempli.
Sautant du lit avec une vigueur renouvelée, il grogna doucement. Il était temps de retourner à sa réalité, celle où son gagne-pain n’attendait pas.
03. Récupérer un chiot ⋄ Partie 03
Le soir venu, Heeseong descendit dans la salle de jeu clandestine.
« Heeseong est là ? »
« Hmm. »
En se dirigeant vers le bureau, il fut accueilli par son frère.
Le manageur Park Geontae
Le titre gravé sur la plaque noire posée sur le bureau lui semblait étrangement méconnu.
Cela faisait pourtant près de six mois que son frère dirigeait la salle de jeu, mais Heeseong n’acceptait toujours pas sa position. À ses yeux, ce rôle ne faisait que l’éloigner davantage de toute chance d’échapper à cette vie, qu’il exécrait.
Cependant, se plaindre n’aurait rien changé. Frustré, Heeseong s’affala sur le canapé et se mit à grignoter les snacks de patate douce qu’il avait apportés. Peut-être était-ce parce qu’il avait passé la journée à se reposer, mais son esprit semblait un peu plus clair.
Cependant, une question persistante flottait dans son esprit.
« Pourquoi Yoon Chi-young agit-il comme s’il me connaissait ? »
Heeseong tenta de se rappeler s’ils s’étaient déjà croisés auparavant, mais rien de précis ne lui venait à l’esprit. Après tout, il avait travaillé d’arrache-pied, enchaînant les clients sans relâche.
Ah, il y avait bien une fois où il avait supervisé une table de jeu à laquelle Yoon Chi-young participait.
« Ugh… Il y avait un loup à cette table aussi. Tu ne crois pas que tu devrais être plus prudent ? »
Comme son frère l’avait mentionné, Yoon Chi-young était bel et bien présent ce jour-là, alors qu’Heeseong distribuait des jetons à un client, un homme-bête connu pour ses tricheries. Malgré son sourire immuable, le regard de Yoon Chi-young était resté rivé sur lui.
En repensant à ce détail, un frisson parcourut l’échine de Heeseong.
Se pouvait-il que, comme le suggéraient les rumeurs de cannibalisme, Yoon Chi-young ait l’intention de le manger ? Après tout, il faisait partie d’une tribu canine sans grande influence, et sa véritable forme n’était qu’un petit chien, une proie facile.
Tout à coup, les remarques de Yoon Chi-young sur son apparence « appétissante » et ses étranges allusions à une odeur de chiot prirent une tournure bien plus sinistre.
Avec une expression plus sérieuse, Heeseong prit la parole.
« … Hyung. * »
(N/T : Hyung (형) est un terme honorifique utilisé par les hommes pour s’adresser à un autre homme plus âgé. C’est souvent utilisé entre frères, mais aussi entre amis ou connaissances proches. Dans cette scène, le locuteur l’utilise comme un titre général pour désigner quelqu’un de plus âgé, sans implication de proximité personnelle.)
« Hmm ? »
« Est-ce que Yoon Chi-young… S’en prend à moi parce que je suis, euh, un chien de petite race ? »
« Comment le saurait-il ? Tu l’as toujours bien caché. »
Son frère éclata de rire, secouant la tête comme si l’idée était absurde. Heeseong était toujours très prudent pour ne pas révéler sa véritable forme, et très peu de personnes l’avaient vu se transformer. Les rares fois où il avait dormi sous sa forme réelle, c’était dans des pièces où personne ne pouvait entrer sans réservation.
Cependant, quelque chose continuait de le troubler.
« Quand on buvait, Yoon Chi-young a aussi retourné mes oreilles blanches. Il ne sait pas que je suis ce petit chien, pas vrai ? »
« Tu te fais des idées bizarres. Combien de chiens blancs travaillent ici, hein ? »
C’était vrai. Il était peu probable qu’il soit reconnu. La moitié des membres de la tribu canine en Corée avaient des oreilles blanches, et reconnaître quelqu’un uniquement à partir de ses oreilles, surtout sous sa forme véritable, relevait presque de l’impossible. C’était comme essayer d’identifier quelqu’un en forme humaine rien qu’à ses oreilles.
Yoon Chi-young n’était probablement qu’un autre client de la salle de jeu, un habitué qui aimait embêter les gens. Bien que cette pensée ait un peu rassuré Heeseong, son frère jeta un coup d’œil prudent autour de lui avant de lâcher un indice.
« Heeseong, tu as juste une livraison à faire aujourd’hui. »
« Pourquoi si soudainement ? »
Heeseong leva les yeux, surpris, même si ça ne le dérangeait pas vraiment. Faire des livraisons était bien mieux que de devoir gérer les clients de la salle de jeu.
« Tu dois juste aller récupérer un truc ici. Tiens. »
Son frère lui tendit un bout de papier. Heeseong, tout en continuant à mâcher son snack de patate douce, regarda la note.
La destination était un bâtiment d’une entreprise de construction, le bastion de la tribu des loups.
« … Ce n’est pas là où travaille Yoon Chi-young ? »
« Hmm. C’est exacte… »
Son frère observa attentivement la réaction de Heeseong avant de s’approcher prudemment de lui. Avec sa carrure imposante et son air de dur, on aurait pu croire qu’un gangster venait chercher à extorquer de l’argent à l’innocent Heeseong. Pourtant, en réalité, il ne faisait que jauger avec précaution l’état d’esprit de Heeseong.
« Yoon Chi-young semble avoir un certain intérêt pour toi. Alors, si tu y vas, ça pourrait… »
« Tu es en train de me dire que tu m’envoies chez ce salaud de loup cannibale ? »
Heeseong grogna, serrant les dents. Ses yeux noirs se firent aussi tranchants que ceux d’un prédateur. Son frère, plus grand de presque une tête, lui tapota doucement le dos pour tenter de le calmer.
« Hé, calme-toi… Tu sais comment ces loups ne remettent pas toujours la marchandise correctement et embêtent nos gars. »
« Et tu m’envoies quand même, tout en sachant cela ? »
« Je t’envoie parce que je te fais confiance ! Mon frère ne me fait pas ça. »
« … … »
Heeseong avait envie de détester son frère. Mais il ne parvenait pas à détester la seule figure familiale qu’il lui restait. Ayant été abandonné par sa famille une fois, Heeseong ne voulait pas être exclu de la meute à nouveau.
Cependant, il ne pouvait s’empêcher de détester cette tâche.
Heeseong avait entendu de nombreuses rumeurs en travaillant dans la salle de jeu. Une augmentation des affaires avec la tribu des loups signifiait que la salle de jeu recevait des marchandises illégales.
Par exemple, des objets de contrebande ou des drogues.
Ainsi, les livreurs se retrouvaient souvent dans des situations dangereuses, disparaissant ou prenant la fuite avec des objets précieux. Pour cette raison, les tâches de messagerie étaient généralement confiées aux membres fiables de l’organisation.
« … Hyung, est-ce que je dois vraiment aller faire cette livraison ? » Lui demanda Heeseong tout en fixant un point au sol.
Il avait toujours dit cela à son frère, mais il ne voulait plus être impliqué dans ce genre d’activités. Il voulait mener une vie normale, comme tout le monde.
À ce moment-là, son frère enroula fermement son bras tatoué autour de l’épaule de Heeseong, l’attirant contre lui dans une étreinte et lui donnant une tape sur le dos.
« Alors, faisons-le juste une dernière fois. D’accord ? »
« … … »
« Après tout ce que hyung a fait pour toi, fais juste ça une dernière fois pour moi, d’accord ? »
Heeseong fixa silencieusement le sol pendant un moment. Il pensait qu’il serait heureux de ne plus travailler à la salle de jeu. Mais il se rendit compte que faire des livraisons était encore plus dangereux et dégradant.
Cependant, il ne pouvait se permettre de se plaindre devant le frère qui l’avait accueilli après qu’il ait été abandonné.
« J’y vais… Je reviendrai. »
La résignation venait désormais naturellement. Heeseong rassembla ses forces, saisit son casque noir et enfila sa veste.
Le silence s’installa dans le bureau pendant un moment. Heeseong finit de se préparer sans dire un mot et se dirigea vers la porte.
Puis, une voix douce s’éleva derrière lui.
« Heeseong. »
« … »
« Après ce travail, on se débarrasse de tout ça, ensemble. »
À ces mots, Heeseong tourna son regard vers son frère, ses yeux noirs animés d’une lueur de vie. En relâchant la tension de son visage, ses yeux ronds et ses traits juvéniles devinrent encore plus marqués.
« Vraiment ? »
Son frère resta silencieux un moment. Puis, un sourire lent se dessina sur son visage, et il parla avec sérieux.
« Ouais. J’ai presque terminé de rembourser ma dette. C’est la dernière fois. »
Heeseong sourit largement à son frère. C’était un sourire sincère, celui qu’il n’avait pas montré depuis qu’il avait commencé à travailler ici.
« Je reviendrai. »
Avec un air bien plus lumineux, Heeseong quitta la salle de jeu, qui lui apparaissait comme un véritable repaire de rats. En sortant de l’obscurité souterraine, il fut accueilli par la vue des rues animées sous la lumière du crépuscule. Il observa un instant les étudiants universitaires de son âge, avant de mettre son casque noir et de monter sur son vélo.
Il était temps de faire face à Yoon Chi-young, le loup cannibale.
04. Récupérer un chiot ⋄ Partie 04
Heeseong descendit de sa moto et pénétra dans le bâtiment situé en plein cœur de la ville, le fief de la tribu des loups.
(N/T : Le mot fief ou QG (quartier général) est utilisé de manière figurative pour désigner un territoire ou un endroit contrôlé et dominé par un groupe particulier, ici la tribu des loups.)
Les loups, fervents défenseurs de la pureté du sang, dominaient les industries du divertissement et du sport, sans oublier les milieux souterrains, grâce à leurs capacités physiques hors normes et leur solidarité inébranlable. Leurs immeubles imposants s’élevaient fièrement au-dessus de la ville, en contraste flagrant avec la tribu des chiens, qui préférait creuser des salles de jeu clandestines, tels des fourmis industrielles.
Guidé par les indications de la réception, Heeseong prit la direction des étages supérieurs. La structure lisse et impeccable du bâtiment lui semblait presque irréelle, comme étrangère à son monde. Tandis qu’il avançait dans le couloir, vêtu de vêtements décontractés, un individu croisa son chemin et laissa échapper un ricanement méprisant.
« Ah, ça sent le chien, on dirait. »
« Ça doit être ton odeur. »
Heeseong répliqua sèchement, montrant ses dents. Des rires et des insultes s’élevèrent derrière lui, mais personne n’osa l’attaquer ouvertement. Après tout, Heeseong avait été invité ici pour une transaction.
Malgré cela, il ressentait un profond malaise dans cet endroit. En tant que benjamin de son organisation, Heeseong se chargeait parfois de petites livraisons, mais jamais encore il n’avait eu à traiter directement avec une organisation de cette envergure.
Exploiter l’intérêt que semblait lui porter Yoon Chi-young comme levier faisait partie de leur stratégie, mais Heeseong se sentait totalement incapable de jouer ce rôle. Son tempérament impulsif lui avait déjà valu de nombreux ennuis dans leur salle de jeu. Et puis, il n’était pas de ceux qui savent flatter ou se montrer serviles : ces attitudes hypocrites allaient à l’encontre de tout ce qu’il était.
« Haa… »
Arrivé devant la porte, Heeseong poussa un soupir discret. Son casque noir de moto dissimulait peut-être son trouble, mais un garde imposant, posté près de l’entrée, perçut le bruit et posa sur lui un regard perçant.
Sous le poids du regard, Heeseong lança, provocateur :
« Qu’est-ce que tu regardes ? Ouvre la porte. »
« … »
Il ne se souciait pas que l’autre soit bien plus imposant que lui. Peut-être parce qu’il était, au fond, un petit chien, Heeseong avait tendance à en rajouter lorsqu’il était sous sa forme humaine.
Le portier, impassible, le fixa un moment avant de laisser échapper un léger rictus.
Toc, toc.
Alors que l’attente agaçait Heeseong, le colosse frappa à la porte, lui laissant peu de temps pour se préparer. Il hésita à retirer son casque, mais, conscient de sa tendance nerveuse à laisser apparaître ses oreilles et sa queue blanches, il s’obstina à le garder sur la tête.
Clic.
La porte s’ouvrit sur un bureau soigneusement agencé, occupé par plusieurs membres de l’organisation. L’endroit, avec ses meubles élégants et son atmosphère feutrée, avait tout d’un bureau d’entreprise respectable. Pourtant, il demeurait un territoire de loups, ce qui suffisait à le rendre intimidant.
Malgré le fait qu’il faisait jour, les stores étaient tirés, plongeant la pièce dans une pénombre oppressante. Une demi-douzaine d’hommes robustes étaient présents, et parmi eux, un grand homme vêtu d’une chemise blanche était adossé à une table, un sourire narquois accroché à ses lèvres.
J’ai vraiment une chance de chien.
Celui qui l’accueillait n’était autre que Yoon Chi-young.
Un silence glacial régnait dans la pièce. Yoon Chi-young, visiblement de mauvaise humeur, affichait un sourire figé, mais ses yeux gris luisaient d’une froideur menaçante. Les manches de sa chemise retroussées révélaient des avant-bras tachés de sang, et ses cheveux noirs, en désordre et plaqués en arrière, donnaient l’impression qu’il revenait tout juste d’une confrontation violente. L’atmosphère pesante semblait clouer Heeseong sur place, chaque détail accentuant l’aura dangereuse de l’homme.
Tentant de garder son calme, il lança : « Je suis venu pour… La marchandise… »
Mais il s’interrompit en apercevant quelque chose près des pieds de Yoon Chi-young.
À peine visible sur le marbre noir gisait un homme-bête, couvert de sang, immobile. Les yeux de Heeseong passèrent nerveusement du corps à la chemise maculée de sang de Yoon Chi-young.
« On se retrouve enfin. »
Yoon Chi-young brisa le silence, visiblement ravi. Son ton, léger et presque joyeux, contrastait cruellement avec la scène.
« Tu n’es pas content de me voir ? »
« … »
Il esquissa un sourire, comme pour se vanter. Même sous son casque, Yoon Chi-young l’avait reconnu. La dernière fois, il avait mis en pièces un petit chiot, et maintenant, il exhibait sans gêne un homme-bête qu’il a failli tuer. Face à son sourire éclatant, Heeseong resta sans voix.
« Et le casque ? » poursuivit Yoon Chi-young, feignant l’amertume. « Tu ne veux pas me montrer ton visage ? »
Il voulait voir le visage de Heeseong. Hésitant, ce dernier retira lentement son casque, dévoilant un visage pâle, encadré de mèches légèrement humides de sueur. Ses yeux noirs étaient empreints de tension alors que ses sourcils étaient froncés avec sérieux.
En voyant son visage, Yoon Chi-young sourit sincèrement pour la première fois. Il ne put s’empêcher de rire en découvrant ce visage doux, si mal assorti à l’univers périlleux des tripots. Heeseong avait une beauté qui aurait mieux convenu à un idol, mais il était dommage qu’il arbore constamment une expression sévère, comme s’il défiait le monde entier. Malgré son air agressif, il ressemblait davantage à un petit animal effrayé, ce qui le rendait étrangement attendrissant.
Pendant tout ce temps, Heeseong resta silencieux et figé. Yoon Chi-young poussa un profond soupir, comme s’il était réellement déçu, avant de déclarer :
« On est des connaissances, et pourtant, tu refuses de me montrer ton visage ou même de répondre. »
Il saisit le verre posé sur la table et le vida d’un trait. Chaque mouvement dévoilait subtilement les muscles finement dessinés sous sa chemise blanche.
Après avoir terminé son verre, Yoon Chi-young poursuivit :
« Je suis vraiment déçu… »
« Je… »
Même si Yoon Chi-young s’exprimait avec un sourire, Heeseong ressentit une gravité inquiétante dans son ton.
Mais Heeseong n’était pas là pour discuter. Il était venu récupérer un objet, et son frère lui avait demandé d’utiliser toute affection existante pour faciliter la transaction. Rassemblant tout son courage, Heeseong tenta maladroitement de répondre :
« M-Moi aussi… Je suis content de te revoir. »
« Content ? »
Yoon Chi-young éclata de rire en voyant l’expression rigide de Heeseong, comme si celle-ci lui était absurde. Son visage trahissait clairement son mensonge. D’un geste désinvolte, il repoussa ses mèches noires qui retombaient sur son front, laissant échapper un rire léger et insouciant. Son sourire, doux et irrésistiblement séduisant, contrastait violemment avec l’image d’un homme qui venait tout juste de malmener un homme-bête.
D’un ton chaleureux, il déclara :
« Tu es venu pour la marchandise, pas vrai ? Je vais te la donner. »
« Ah, oui. »
Yoon Chi-young reçut un objet des mains de l’un de ses hommes : un sac rempli d’une poudre suspecte, suffisamment imposant pour occuper toute la largeur de sa main. D’un coup d’œil, Heeseong estima que la valeur de son contenu devait avoisiner plusieurs dizaines de millions de wons.
Yoon Chi-young fit un geste avec le sac, comme pour l’exhiber. Malgré la rigidité de son corps, Heeseong s’avança à contrecœur.
Fais juste ce que Yoon Chi-young veut, récupère la marchandise et pars.
Il se répétait ce mantra comme pour s’en convaincre. Son frère avait juré que cette mission serait la dernière, leur ultime coup avant de tourner la page sur ce monde dangereux. Heeseong voulait à tout prix que tout se déroule sans incident, juste une fois.
En s’approchant, son odorat d’homme-bête, aiguisé comme une lame, détecta un mélange complexe de senteurs : la fraîcheur propre du savon de Yoon Chi-young, une trace à peine perceptible de drogue, et l’odeur métallique et tenace du sang, impossible à masquer.
« Tiens, prends-la », dit Yoon Chi-young en tendant le sac comme on tend un piège déguisé en cadeau.
Le regard de Heeseong oscilla entre Yoon Chi-young et le sac, empreint de méfiance. Tout cela semblait trop simple, trop fluide pour être honnête. Il jeta un rapide coup d’œil autour de lui, scrutant les ombres à la recherche d’un piège.
Lentement, il tendit la main, prêt à attraper la marchandise. Mais il s’en doutait : Yoon Chi-young n’avait aucune intention de la lui céder aussi facilement.
Il tira la main de Heeseong vers lui et y planta violemment ses crocs, mordant profondément. Le souvenir d’avoir failli être dévoré en une seule bouchée fit sursauter Heeseong, qui laissa échapper une bordée d’injures.
« Mais c’est quoi ce taré… ! »
Cela aurait pu être gérable si ça s’était arrêté là.
Clac !
Un coup de poing puissant fit tourner la tête de Yoon Chi-young brusquement sur le côté. Ses cheveux noirs se dispersèrent en mèches désordonnées sur son visage pourtant impeccable, et l’atmosphère devint immédiatement lourde et oppressante.
(Note de Ruyi : Mérité, mais ça va pas (ง •̀_•́) ง )
À cet instant, le temps sembla se figer dans la pièce. Tout le monde se raidit, pris dans un silence étrange, étouffé par la tension mortelle qu’Heeseong redoutait tant.
Sous le choc de son propre geste, Heeseong recula maladroitement.
Il baissa les yeux sur sa main, marquée par les crocs de Yoon Chi-young, puis regarda son visage et enfin la scène sanglante à ses pieds. Un frisson glacé lui parcourut l’échine lorsqu’il réalisa l’ampleur de ce qu’il venait de faire.
« Ugh… ! »
Les membres du gang réagirent immédiatement. Trois d’entre eux attrapèrent Heeseong par l’arrière de la tête et le forcèrent à s’agenouiller sur le sol.
Les cheveux tirés violemment en arrière, Heeseong inspira profondément sous l’effet de la tension, levant les yeux vers Yoon Chi-young. Vu d’en bas, ce dernier paraissait encore plus grand et imposant. La gravité d’avoir frappé une figure importante de la tribu des loups et un VIP du casino clandestin s’abattit sur lui comme une vague glaciale.
Yoon Chi-young porta une main à sa joue endolorie, la caressant lentement, comme intrigué par la sensation. Puis il cracha sur le sol en marbre. Le crachat, teinté de rouge, montrait qu’il s’était coupé l’intérieur de la bouche.
« Ton coup de poing est plus corsé que je ne l’aurais imaginé. »
Pourtant, Yoon Chi-young ne semblait pas affecté par le coup d’Heeseong.
Au lieu de cela, il se mit à rire doucement, comme si la situation l’amusait. Mais personne d’autre dans la pièce ne partagea son rire, rendant l’ambiance encore plus sinistre.
« Espèce de cinglé. »
Heeseong leva les yeux vers lui, la peur au ventre, les dents serrées. Malgré leur récente altercation, la vue des crocs de Yoon Chi-young lorsqu’il riait lui inspirait une profonde aversion.
Après un long éclat de rire, Yoon Chi-young finit par soupirer profondément et déclara :
« Lâchez-le. »
Pour la première fois, Yoon Chi-young fixa Heeseong sans le moindre sourire. Ses yeux gris, d’ordinaire énigmatiques, étaient glacials. Heeseong n’aurait jamais cru qu’un visage habituellement éclairé par un sourire chaleureux puisse devenir si effrayant lorsqu’il était dénué d’expression.
« Tu es venu en tant qu’invité. On se doit de te laisser repartir sans blessures. »
Sur l’ordre de Yoon Chi-young, les membres du gang relâchèrent brusquement Heeseong, qui s’effondra lourdement au sol. Du sang maculait sa main alors qu’il tentait de se relever. L’odeur âcre du sang lui tournait la tête, et une légère effluve de chair brûlée persistait dans l’air, le rendant encore plus nauséeux.
Le visage de Heeseong pâlit. Il était habitué aux scènes brutales des tripots, mais isolé de sa meute, la peur prenait une tout autre dimension, plus oppressante.
« Prends soin de toi… On se reverra. »
La voix de Yoon Chi-young était dépourvue de chaleur. Pour la première fois, une simple phrase d’adieu terrifia Heeseong.
Récupérant discrètement l’objet, Heeseong s’échappa du bâtiment en panique. Bien qu’il n’y ait aucune raison pour que Yoon Chi-young le poursuive, il courait comme s’il était pourchassé, tout comme dans ses cauchemars. Il ne pouvait pas rester là une seconde de plus.
Une fois dehors, Heeseong rejoignit sa moto, garée dans une ruelle.
« Haa… Ha… »
Le simple fait de respirer l’air frais semblait être un soulagement. Ce n’est qu’à cet instant que la gravité de ses actions commença à le frapper.
Il venait de causer un sérieux incident. Cette fois, il avait frappé Yoon Chi-young, le chef de la tribu des loups.
Son frère lui avait demandé d’utiliser l’affection de Yoon Chi-young pour sécuriser les biens, mais il avait fini par utiliser ses poings à la place. Levant les yeux vers l’imposant bâtiment en béton appartenant à la tribu des loups, Heeseong mordilla nerveusement sa lèvre en pensant à son frère. Il savait que ce dernier subirait les conséquences de cette affaire.
« Comment vais-je expliquer ça à mon frère ? »
Avec des doigts tremblants, Heeseong essaya de reprendre son calme en chargeant l’objet sur sa moto et en s’apprêtant à enfiler son casque. Maintenant qu’il avait ce qu’il était venu chercher, il devait retourner sain et sauf auprès de sa meute.
Mais ses réflexions furent brutalement interrompues.
Bam !
Un coup sourd à l’arrière de sa tête, et le corps de Heeseong s’effondra, inerte.
05. Récupérer un chiot ⋄ Partie 05
Après avoir été frappé à la tête, mes souvenirs furent flous et fragmentés.
Heeseong, qui se faisait attaquer, se débattait avec acharnement. Il avait promis à son frère de tenir bon jusqu’à la fin du mois, et il ne pouvait pas tout gâcher maintenant.
Malgré la douleur lancinante causée par le coup qu’il avait reçu à la tête, Heeseong brandissait son casque avec frénésie, l’utilisant comme une arme pour repousser quiconque tentait de s’approcher. Ses assaillants étaient au moins quatre ou cinq, probablement là pour lui voler la marchandise. Tant bien que mal, il parvint à les tenir à distance, cherchant désespérément une ouverture pour s’enfuir.
« Aaargh ! »
Un cri de douleur lui échappa lorsqu’une douleur vive lui traversa la jambe. En s’effondrant au sol, Heeseong réalisa qu’on lui avait enfoncé un couteau dans la cuisse. La douleur était insupportable et le paralysait sur place, l’empêchant de se relever. Son corps tomba lourdement, et il se recroquevilla sur lui-même, vaincu par la souffrance.
« Espèce de merde inutile. Et avec un sale caractère, en plus. »
L’un des assaillants donna un violent coup de pied dans l’estomac de Heeseong tout en lui lançant ces insultes. Incapable de crier, Heeseong se tordit de douleur au sol, cherchant désespérément à reprendre son souffle. Pendant ce temps, les agresseurs fouillaient sa moto et son corps, s’emparant de la drogue que les loups lui avaient confiée.
Non… C’est ce que mon frère m’avait demandé de récupérer…
Serrant les dents, Heeseong arracha d’un geste tremblant le couteau planté dans sa cuisse. Dans un dernier élan de désespoir, il tenta de ramper, traînant sa jambe ensanglantée pour tenter de rattraper ses agresseurs. Mais leurs rires moqueurs résonnaient déjà au loin, s’éloignant dans la nuit, le laissant seul dans l’allée crasseuse et sombre.
Abandonné et blessé, Heeseong comprit instinctivement que s’il s’effondrait maintenant, c’en serait fini de lui.
Je ne dois pas reprendre ma vraie forme maintenant…
Mais son corps, affaibli et à bout de forces, commençait déjà à se transformer malgré sa volonté. Son apparence humaine s’évanouit peu à peu, laissant place à celle d’un petit chiot fragile, une réponse instinctive de l’homme-bête pour permettre à son corps de récupérer.
Le chiot, faible et diminué, se traîna jusqu’à un recoin de l’allée. Chaque mouvement était un supplice, mais il continuait, obstiné, luttant pour survivre malgré son petit corps meurtri.
Mon frère a dit… Que ce serait la dernière fois…
Le corps meurtri de Heeseong souffrait trop, et l’injustice de la situation était insupportable. Il voulait pleurer, mais même cela lui était impossible à cause de la douleur.
Le chiot réussit tant bien que mal à se traîner le long du mur de béton, contournant le bâtiment à demi-conscient. Il pensait que s’effondrer dans un endroit où des gens pourraient passer augmenterait ses chances de retourner auprès de son frère.
Mais le bâtiment, d’une taille exaspérante, semblait interminable, peu importe combien il avançait. Saignant et laissant derrière lui une traînée rougeâtre, Heeseong finit par s’écrouler, épuisé.
Alors que sa conscience vacillait, une voix familière, accompagnée de l’odeur de cigarettes, lui parvint d’en haut.
« C’est quoi, ce chiot miteux ? »
Lâche-moi… Enfoiré !
Heeseong jura intérieurement avec rage, priant pour que ce ne soient pas les agresseurs qui l’avaient attaqué.
Cependant, les seuls sons qui s’échappaient de lui étaient de faibles gémissements. Toute tentative de fuir s’avéra vaine : ses petites pattes blanches ne faisaient que trembler, dépourvues de toute force.
« Ah… »
Après un léger soupir, Heeseong sentit quelqu’un le soulever délicatement dans ses bras.
« Je t’ai épargné parce que tu es mignon. »
Il ne parvint pas à distinguer clairement les mots qui suivirent. Pourtant, une vague de peur le submergea, convaincu d’avoir reconnu la voix de Yoon Chi-young tout près.
Mais, cédant à la chaleur de l’étreinte, Heeseong s’y blottit instinctivement avant de perdre connaissance.
Heeseong reprit faiblement conscience à plusieurs reprises.
À chaque fois, une odeur légère de produits chimiques et de désinfectant l’accueillait.
Non…
Pensant se trouver à l’hôpital, Heeseong tenta de s’éveiller complètement. Mais son corps, trop faible, ne lui obéissait pas, et seuls de faibles gémissements franchissaient ses lèvres.
Les frais de vétérinaire coûtent une fortune…
Les hommes-bêtes n’étaient souvent pas couverts par les assurances, rendant les soins médicaux exorbitants, qu’ils soient sous forme humaine ou animale. Heeseong n’avait pas un sou, surtout après s’être fait voler la marchandise qu’il transportait. Rien qu’à l’idée de demander à son frère de payer les frais, une profonde culpabilité l’envahissait.
Alors qu’il grognait intérieurement, ses paupières s’ouvrirent doucement, dévoilant une scène inattendue.
Où suis-je… ?
Ce n’était pas l’hôpital qu’il avait imaginé. Heeseong se retrouvait dans un lit aussi grand que sa chambre entière, recouvert de draps noirs. Les murs et l’intérieur moderne environnant affichaient un noir élégant, créant un contraste saisissant avec la seule touche de blanc dans la pièce : lui, sous sa forme de chiot.
Dans sa vision encore floue, Heeseong distingua deux silhouettes : un homme-bête maigre vêtu d’une blouse blanche de médecin et un homme grand, assis sur le bord du lit. L’homme-bête semblait si décharné, presque maladif, que Heeseong se demanda s’il pouvait réellement être un médecin.
« Pourquoi t’es-tu réveillé ? Dors encore un peu. »
La voix familière le ramena à la réalité. Son destin semblait bel et bien scellé : il était un chien.
Luttant pour tourner la tête sur le côté, Heeseong croisa le regard de Yoon Chi-young. Ce dernier parlait d’un ton sucré, comme s’il essayait de calmer un amant. Une vague de frustration monta en lui. Il voulait le maudire, mais sous sa forme actuelle, tout ce qu’il parvint à faire fut de retrousser légèrement ses babines, dévoilant des dents minuscules, pareilles à des grains de riz.
Le médecin s’éclaircit la gorge avant de prendre la parole, d’un ton précautionneux :
« Vu la petite taille du patient, la chirurgie était très risquée. Heureusement, les organes n’ont pas été touchés. La récupération devrait être rapide. »
Tout en parlant, il effleura la zone près de la cuisse de Heeseong, là où il avait été poignardé. La douleur, fulgurante, le fit se recroqueviller et trembler. Il voulait repousser cette main intrusive, mais les médicaments qui envahissaient son système rendaient même les gestes les plus simples impossibles.
« De plus, encore une fois, nous avons à peine pu détecter de phéromones chez le patient… Enfin, le chiot, ce qui rend difficile de confirmer s’il s’agit bien d’un homme-bête. »
Yoon Chi-young, visiblement peu concerné, se contenta de hocher la tête, ses yeux fixant toujours le chiot.
Pour Heeseong, c’était une révélation. Il avait toujours évité les hôpitaux à cause de ses problèmes financiers et n’avait jamais su que ses phéromones étaient presque indétectables.
Pourquoi je n’ai pas de phéromones ?
Les hommes-bêtes émettent normalement des phéromones des centaines de fois plus puissantes que celles des animaux ordinaires, un trait souvent utilisé pour les distinguer des non-hommes-bêtes. Mais Heeseong ne savait pas si ce manque de phéromones détectables était un avantage ou une malédiction.
Est-ce une bonne chose… Pour l’instant ?
Quoi qu’il en soit, une certitude s’imposait : il valait mieux que Yoon Chi-young ne découvre pas qu’il était Heeseong, l’homme-bête.
Parce que moi…
Son esprit était trop embrouillé pour compléter cette pensée. Alors qu’il tentait désespérément de réfléchir, sa force le quitta peu à peu. Yoon Chi-young avait commencé à caresser doucement son cou.
Bien qu’il ne veuille pas l’admettre, ce contact était incroyablement apaisant, presque réconfortant.
Finalement, bercé par cette douceur inattendue, Heeseong s’endormit profondément une fois de plus.
06. Récupérer un chiot ⋄ Partie 06
À l’aube, Heeseong se réveilla sous sa forme de chiot.
Il était naturel pour les hommes-bêtes de revenir à leur forme originelle lorsqu’ils étaient gravement blessés. Apparemment, il allait devoir rester dans cet état pendant quelques jours, compte tenu de la gravité de ses blessures.
Pourquoi est-ce que type dort avec moi ?
Heeseong lança un regard noir à Yoon Chi-young, endormi, puis examina sa patte arrière. Elle était enveloppée dans un bandage rigide, et des traces de cathéter* étaient visibles sur sa patte avant, qu’il reconnut grâce à ses rares visites à l’hôpital durant son enfance.
(N/T : Un cathéter est un petit tube médical inséré dans une veine pour administrer des médicaments, des liquides ou prélever du sang. On en voit souvent dans les hôpitaux, attachés à une perfusion.)
Il semblait que Yoon Chi-young l’avait ramassé et soigné. Bien que surpris, Heeseong inspecta prudemment les alentours, conscient qu’il se trouvait littéralement dans la tanière des loups.
Le chiot, scrutant l’obscurité, boitilla jusqu’au bout du lit où reposait le smartphone de Yoon Chi-young.
Parvenant à l’atteindre, Heeseong appuya sur l’écran d’accueil avec sa patte avant, révélant un selfie stylé de Yoon Chi-young devant un paysage marin — visiblement plein d’autosatisfaction — ainsi que la date.
Mercredi, 3 novembre…
Ça fait trois jours que je dors ?
Il se souvenait être allé chez Yoon Chi-young pour récupérer quelque chose le dernier jour d’octobre. Heeseong poussa un profond soupir, conscient que son frère devait être inquiet. Il ne s’était pas rendu compte que tant de temps avait passé.
Les drogues qu’il transportait avaient été volées, et il avait disparu sans laisser de trace.
Les membres du cercle de jeux de la tribu canine penseraient sans doute que le plus jeune avait pris la fuite avec des drogues valant des dizaines de millions de wons. Mais Heeseong était certain que son frère, lui, croirait en lui et attendrait.
Je dois contacter mon frère.
Heeseong établit rapidement ses priorités : il devait informer son frère de la situation et rentrer au plus vite.
Déterminé, le chiot tenta tant bien que mal d’utiliser le smartphone, qui faisait la moitié de sa taille. Heureusement, l’appareil n’était pas verrouillé, mais le manipuler avec ses pattes molles comme de la gelée relevait de l’impossible—un peu comme essayer d’utiliser un téléphone avec ses orteils.
Après avoir appuyé par erreur sur divers boutons, Heeseong tomba sur une galerie nommée « Furry Friends », remplie de photos de lui endormi. Grognant de frustration, il jeta le smartphone sous le lit. La journée commençait bien mal.
Le lendemain, Yoon Chi-young, au physique finement sculpté, s’éveilla et marmonna quelque chose d’étrange en enfouissant son nez dans le ventre rose du chiot.
« Dormir avec ce petit être est plutôt agréable… »
Quelle sorte de sottises est-ce qu’il raconte ?
Heeseong fronça profondément les sourcils et lança un regard noir à Yoon Chi-young, qui semblait plus détendu que d’habitude, probablement à cause du matin. Le chiot lui offrit sa propre salutation matinale en contemplant son visage séduisant et légèrement ébouriffé.
Atchoum !
D’un éternuement puissant, le chef du clan des loups fut comiquement projeté hors du lit. Yoon Chi-young, qui venait de s’écraser au sol, éclata d’un long rire incrédule. Devant lui, le chiot le regardait triomphalement, se léchant le museau avec suffisance.
Dès son réveil, Heeseong était en état d’alerte maximale. Il commença par analyser la disposition de cette maison bien trop grande, nourrissant déjà des rêves d’évasion.
Mais Yoon Chi-young, ce fou, l’avait même emmené à son bureau.
De retour en plein territoire ennemi, Heeseong se retrouva perché sur les genoux de Yoon Chi-young. Le chiot, assis maladroitement sur ces jambes inconfortables, affichait un mécontentement évident.
Cependant, une bonne nouvelle arriva.
« Monsieur. On a reçu un appel du repaire de jeux qui cherche Heeseong. »
Moi ?
Heeseong dressa les oreilles, redressant son corps pour écouter plus attentivement. Le chiot adopta une posture de sphinx sur l’une des cuisses de Yoon Chi-young.
Mon frère me cherche.
La queue de Heeseong remua rapidement, remplie à la fois de joie d’être recherché et de culpabilité d’avoir inquiété son frère. Son anxiété grandissait.
Comment est-ce que je m’échappe d’ici ?
Cette préoccupation occupa entièrement son petit esprit.
Puis, Yoon Chi-young demanda, comme s’il entendait cela pour la première fois, perplexe.
« Heeseong ? »
« Le gars de la tribu canine qui est venu chercher la marchandise cette fois-ci. »
« Ah… »
Yoon Chi-young soupira doucement, réfléchissant à cette information inattendue.
« Celui qui m’a frappé au visage ? »
En disant cela, Yoon Chi-young caressa doucement le petit paquet blanc assis sur sa cuisse.
Heeseong voulait jauger l’expression de Yoon Chi-young, mais il ne pouvait pas se le permettre. Il sentait le regard perçant de Yoon Chi-young derrière lui. Se retourner et croiser son regard ne manquerait pas d’éveiller des soupçons.
« Laissez la tribu canine continuer les recherches. »
Bien sûr ! Voici ton texte corrigé en respectant ta mise en page et l’italique pour les pensées :
Yoon Chi-young déclara sur un ton joyeux et décontracté, comme s’il regardait un incendie dans la ville voisine. Pendant ce temps, Heeseong, membre de la maison en feu, réfléchissait profondément à la manière de s’échapper et d’éteindre les flammes.
Yoon Chi-young ajouta doucement :
« S’ils le trouvent… Amenez-le-moi d’abord. »
« … »
« Les dettes doivent être remboursées. »
Yoon Chi-young souriait tout en jouant avec le corps du petit chiot blanc. Chaque fois que ses mains inhabituellement grandes touchaient son dos, les oreilles repliées de Heeseong tressaillaient nerveusement.
La rancune de ce loup…
Pensa Heeseong timidement. Cependant, Yoon Chi-young portait encore la blessure déchirée au coin de sa bouche, infligée par le coup de poing violent de Heeseong.
Un fragment de souvenir vif traversa alors l’esprit de Heeseong.
Un homme-bête gisant, battu et ensanglanté, devant Yoon Chi-young.
Si sa véritable identité était révélée, il pourrait être le prochain. Ou pire, il pourrait finir comme un repas pour ce loup cannibale. Étant un petit chien sans aucun lien significatif, Heeseong serait une proie facile à éliminer.
« Pourquoi as-tu rangé ta queue ? »
Yoon Chi-young demanda en caressant doucement la base de la queue du chiot. Surpris, Heeseong regarda en arrière et réalisa que sa queue s’était involontairement repliée entre ses pattes.
Yoon Chi-young joua avec la queue qui se rétractait, un sourire au coin des lèvres et une lueur amusée dans les yeux, tout en tendant à Heeseong un morceau de patate douce séchée.
« Tiens. Prends une friandise. »
« … … »
Face à la gourmandise, Heeseong plongea dans une profonde réflexion.
Yoon Chi-young ne savait pas qu’il était Heeseong. Même le médecin ne l’avait pas identifié comme un homme-bête.
Peut-être que je peux continuer à faire semblant d’être un chiot jusqu’à ma guérison… Puis, je me transformerai de nouveau en humain pour m’échapper et retrouver mon frère.
C’était un plan plausible, et franchement, il n’avait pas d’autres options. Se transformer maintenant exercerait une pression énorme sur son corps. Et si Yoon Chi-young découvrait son identité… Il était impossible de prévoir la vengeance qu’il pourrait chercher.
Finalement, Heeseong choisit la survie temporaire.
Avec une dignité feinte, il accepta la patate douce séchée, continuant à jouer son rôle de chiot. Ses yeux noirs fixèrent Yoon Chi-young, formant des triangles acérés.
S’incliner au bon moment est sage, comme l’a dit mon frère.
Avalant son humiliation, Heeseong se raccrocha aux enseignements de son aîné.
Il était déterminé à ne pas se laisser dévorer par Yoon Chi-young et à retrouver son frère. Et si possible… Il volerait quelques informations précieuses, voire un peu d’argent, en chemin.
S’accrochant à ce grand rêve, il accepta un autre morceau de friandise.
C’était délicieux.