Chapitre 27 – Marcher vers l’oasis
Le bassin était gigantesque, en regardant du haut de la falaise, nous ne pouvions voir qu’une brume épaisse, et à travers celle-ci, une canopée de cimes d’arbres.
― Le col où Dingzhu-Zhuoma et Wen-Jin se sont séparés semble avoir disparu, mais il y a l’oasis où Wen-Jin nous attend. Nous devons la retrouver maintenant et n’avons pas le temps d’attendre Maître San, annonça Grande-Gueule.
Nous sortîmes de la Land Rover, prîmes nos affaires et cherchâmes un sentier pour descendre la falaise. Nous tombâmes sur un canyon qui menait au bassin et nous commençâmes notre descente. Je sortis le carnet de notes de Wen-Jin et commençai à ressentir de l’appréhension en lisant ses mots. C’était un endroit dangereux, prévenait-elle, si humide que la brume était presque une vapeur mortelle. Dans le bassin lui-même se trouvait un immense marécage qui était devenu une forêt tropicale. C’est là que se trouvait le décor de l’Empire de la Reine de l’Ouest.
Grande-Gueule avait combattu au Vietnam dans sa jeunesse et était le seul d’entre nous à s’être jamais trouvé dans un environnement tropical, c’est pourquoi il serait notre chef dans cette expédition :
― Nous devons être très prudents, prévint-il, il y aura des moustiques paludéens, des insectes venimeux et des sangsues. Les arbres seront si épais que le soleil ne percera pas à travers leurs feuilles. Nous marcherons dans l’obscurité. Il fera une chaleur étouffante, mais nous devrons quand même porter des chemises à manches longues, des pantalons et des bottes pour éloigner les insectes. Les insectifuges ne sont d’aucune utilité, car leur odeur attire les animaux sauvages, et nous n’avons qu’un seul fusil avec nous. Le plus important est de ne pas marcher dans l’eau des marais ou dans la boue, si vous pouvez l’éviter. Il y a des insectes mangeurs de chair et même des piranhas.
Grande-Gueule avait raison, nous n’avions parcouru que quelques kilomètres lorsque le ciel s’assombrit à l’entrée de la forêt. Autour de nous, des rangées et des rangées de rochers déchiquetés, dont les formes semblaient avoir été façonnées par un sculpteur fou. Les racines enchevêtrées sous nos pieds rendaient la marche difficile et bientôt nous transpirions tous comme si nous étions dans un bain de vapeur ou dans une jungle de l’Amazonie.
Gros-Lard s’arrêta en soufflant bruyamment. Fixant les arbres, il demanda :
― Pensez-vous qu’il y ait vraiment des animaux sauvages par ici ? Nous aurions bien besoin de viande fraîche pour compléter nos rations.
― Probablement rien de très gros, à part des serpents, répondit Grande-Gueule.
― J’ai déjà mangé de la soupe de serpent et c’était plutôt bon, répondit le Gros.
― Wen-Jin a dit dans son carnet qu’il y a beaucoup de serpents ici et qu’ils n’ont pas peur des gens. Je me demande quelle taille ils atteignent dans cet endroit bizarre. C’est presque une version chinoise des Galapagos, une petite île à part entière. Qui sait quelles espèces inconnues pourraient se montrer, supposai-je.
En y réfléchissant un peu plus, je réalisai que je n’avais pas envie de découvrir une nouvelle flore ou une nouvelle faune dans ce marais. La légende disait que la Reine de l’Ouest était gardée par une bande d’oiseaux à visage humain et au plumage bleu. S’ils ressemblaient aux oiseaux qui nous avaient attaqués près du Palais dans les nuages, il valait mieux pour nous qu’ils aient disparu.
Nous avancions lentement car nous devions tailler dans les lianes et autres végétaux pour nous frayer un chemin. C’était épuisant et nous nous taisions tous. Un ruban de ciel bleu traçait le sommet des falaises environnantes et de temps en temps, nous passions devant une cascade, qui se déversait rapidement après la forte pluie d’orage. Puis, une percée dans les arbres révéla au moins une centaine de grottes sur les parois de la falaise devant nous. Cela faisait-il partie des fortifications qui gardaient la cité des fantômes du vent ? Je frissonnai, incertain de ce qui nous attendait.
― Voyons cela de plus près, dit Grande-Gueule, et nous nous dirigeâmes vers les ouvertures les plus proches.
Je sortis mon couteau et commençai à gratter la mousse qui recouvrait la grotte à proximité immédiate. Une étrange gravure apparut sur la pierre : c’était un oiseau à visage humain, taillé dans la falaise. Il était debout sur cinq crânes, avait deux paires d’yeux et une expression cruelle sur le visage.
― C’est le même genre d’oiseau qui a failli nous tuer tous les deux, dit le Gros, Regarde en bas.
Nous examinâmes les autres grottes. Chacune d’elle avait des gravures similaires aux oiseaux qui gardaient le Palace of Doom. Nous avions tous vu à quel point ces oiseaux pouvaient être terribles et nous n’étions pas ravis de découvrir qu’ils pouvaient être ici dans les parages.
Ning prit une grande inspiration :
― Il semblerait que les oiseaux de proie que nous avons trouvés dans la vallée de Changbai soient les mêmes que les gardiens de la Reine de l’Ouest, probablement de la même espèce. La porte de bronze et le cercueil porté par neuf dragons dans cette autre vallée sont peut-être liés à l’Empire de la Reine de l’Ouest, et ces oiseaux ont peut-être été amenés ici depuis le site de notre dernière expédition. En tout cas, le bassin ressemble beaucoup à celui de la région de Changbai.
― Peut-être qu’il s’agissait d’un prototype et de notre répétition générale. Celui-ci pourrait bien être le vrai et notre test suprême, dis-je.
Gros-Lard secoua la tête et la sueur s’échappa de lui comme l’eau d’un chien mouillé :
― Putain de merde. Tu crois que c’est le véritables habitat de ces satanés oiseaux ? Dans ce cas, n’est-ce pas suicidaire d’aller plus loin ?
― Pas nécessairement. Tant de siècles ont passé, et le climat ici a changé de façon spectaculaire. Il y a si peu de nourriture que ces oiseaux se sont peut-être éteints, expliqua Ning, Ceux que nous avons vus dans les monts de Changbai sont peut-être les seuls qui restent. Toutefois, ces oiseaux sculptés ici étaient les gardiens de la Reine de l’Ouest et les trouver prouve que nous sommes entrés dans son empire. Les sculptures sont à la fois des panneaux indicateurs et des signaux d’avertissement. Nous devons être très prudents à partir de maintenant.
― Cela suffit, Qilin rompit le silence, Allons-y.
Nous quittâmes les grottes et nous enfonçâmes dans les profondeurs du canyon. Ces maudites statues nous inquiétaient tous. A mesure que nous nous progressions dans la forêt, nous savions que nous entrions dans un monde qu’aucun d’entre nous ne comprenait.