Chapitre 14
Un silence pesant tomba sur le salon. L’atmosphère était si tendue que le moindre mouvement semblait résonner. Comme si ça ne suffisait pas, Wooyeon ajouta d’une voix posée, articulant chaque mot avec soin :
« Les phéromones, même en faible quantité, quand elles sont imposées de force, tu trouves ça agréable… »
« … Quoi ? Qu’est-ce que tu racontes ? »
L’étudiant réintégré mit un moment à réagir. Les yeux écarquillés, il semblait pris au dépourvu, comme s’il ne s’attendait pas à ce genre de propos. Wooyeon balaya la pièce du regard avant de cligner des paupières, frottant vaguement son visage du dos de la main.
« Arrête de faire des histoires pour rien. Pense au moins à ta réputation. Pourquoi est-ce que tu répètes sans cesse mon nom dès que tu me vois ? »
« Hé… T’as fini ? »
« Et si ce n’est pas le cas ? Que vas-tu faire ? »
Le ton de Wooyeon était provocateur. Il était plus petit que l’autre, mais sa présence, elle, écrasait tout. Le visage de l’étudiant réintégré vira au rouge—autant sous l’effet de la colère que de l’humiliation.
« Tu racontes quoi, bordel ? ! Hé, répète un peu pour voir ! »
« Jinsang, arrête ton cirque. Même offrir un verre, c’est déjà pitoyable, alors pourquoi t’insistes à verser des phéromones dedans ? »
Le ton était tranchant, sans appel. Agacé, les yeux de Wooyeon brillaient d’un éclat contrarié. À cause de l’alcool ou de la rage, difficile à dire, mais pour les autres, il paraissait au bord de l’explosion.
Dohyun intervint d’un ton neutre :
« Tu as senti les phéromones aussi ? »
« J’ai du mal à y croire… »
L’étudiant réintégré perdit contenance. Il ne pouvait pas nier qu’il avait utilisé ses phéromones, mais il avait procédé par étapes, augmentant la dose progressivement, car Wooyeon ne réagissait pas. Et pourtant, ce dernier l’avait su dès le départ.
« Ouais, je l’ai un peu taquiné, et alors ? S’il est si sensible en tant qu’Oméga dominant, pourquoi… ? »
« Sensible ? Tu viens de dire que j’étais sensible ? »
Wooyeon se leva brusquement, furieux. Comme par réflexe, les autres se redressèrent aussi, prêts à intervenir. Dohyun, resté debout à proximité, observa la scène sans bouger.
« Qu’est-ce que tu crois faire en te levant, hein ? »
« Sunbae, c’est exactement pour ça que tout le monde te déteste. Si tu sais que t’as merdé, la moindre des choses, c’est de t’excuser. »
« Regardez-moi ce con… Hé, les gars, vous voyez ça ? C’est lui qui commence ! »
L’étudiant réintégré se leva à son tour, le visage déformé par la colère. Il était plus grand, plus imposant que Wooyeon, mais ce dernier ne recula pas d’un pouce.
Dohyun poussa un soupir las et s’interposa, bloquant Wooyeon d’un bras.
« Stop. »
Wooyeon trébucha en heurtant son torse. Il grogna :
« Dégage de là. »
Mais Dohyun ne bougea pas. Derrière eux, un sunbae s’approcha en tentant de désamorcer la situation.
« Jinsang, sérieux… Tu t’énerves pour un gosse qui a un coup dans le nez ? C’est pas la première fois que tu vois un nouveau déraper. »
« Bordel, il est bourré, là ? Il a l’air parfaitement sobre ! Et en plus, il se planque derrière… »
« Ouais, je suis pas ivre. »
La voix de Wooyeon coupa court à la discussion. À l’instant où l’étudiant réintégré ouvrait la bouche pour répliquer, il le repoussa brutalement. Il secoua la tête et, les yeux brûlants d’une rage froide, écarta même Dohyun d’un geste brusque.
Dohyun, toujours impassible, attrapa son poignet.
« Wooyeon. »
Un souffle rauque s’échappa des lèvres de ce dernier. L’air se chargea immédiatement de phéromones d’Oméga, puissantes et furieuses. Tous les Alphas présents, et même quelques Omégas, frémirent sous cette pression écrasante. Tous, sauf Dohyun.
« Wooyeon. »
Dohyun l’appela une seconde fois, plus doucement. Il hésita une seconde à le retenir de force, mais à cet instant, Wooyeon eut un léger sourire en coin.
[Et puis merde.]
Une voix claire brisa le silence. Dohyun cligna des yeux, surpris par ce qu’il venait d’entendre. Les autres aussi. C’était une phrase simple en anglais, basique au point que tout le monde comprenne…
« … Il vient vraiment de l’insulter là ? »
Wooyeon passa une main dans ses cheveux, agacé. On aurait dit qu’il voulait encore parler, mais il serra les lèvres, visiblement frustré. Puis, au lieu de répondre en coréen, il enchaîna en anglais, son débit fluide et naturel.
Un silence glacé s’abattit sur la pièce.
Les mots tombaient avec une aisance presque insolente. La moitié étaient des jurons, l’autre moitié des insultes à peine voilées. Sa prononciation était si impeccable qu’on aurait dit un natif en train de donner une conférence… Sauf qu’au lieu d’un discours, c’était une avalanche de grossièretés.
« Q-qu’est-ce que tu racontes… ? »
L’étudiant réintégré balbutia, complètement perdu. Il n’était pas mauvais en anglais, mais il ne pigeait rien. D’une part parce que Wooyeon parlait trop vite, d’autre part parce qu’il utilisait des expressions qu’il n’avait jamais entendues.
Pendant ce temps, Wooyeon acheva son monologue et afficha un sourire satisfait. Toujours imperturbable, toujours d’une sobriété déroutante. Il jeta un dernier regard dédaigneux à l’étudiant et quitta la pièce avec assurance.
« … »
Un ouragan. Il venait de passer, et tout le monde était sous le choc.
Dohyun, lui, n’avait pas bougé. Il repassait dans sa tête les phrases que Wooyeon avait balancées avec tant de fluidité. Chaque mot, chaque insulte. Un vrai festival.
« … Ah. »
Malheureusement, il avait tout compris. Les insultes coulaient avec une aisance déconcertante, son anglais était si fluide qu’on aurait dit un natif. Une traduction littérale donnerait quelque chose comme :
[Putain, espèce de sale connard. Va bouffer de la merde et crève en enfer. T’as vraiment une sale gueule… ]
Accroupi contre un mur de pierre, Wooyeon leva les yeux vers le ciel. L’air était limpide, et une multitude d’étoiles scintillait comme prêtes à déverser leur éclat. Waouh, la lune brille vraiment… Songea-t-il en frottant légèrement ses cils.
« Ne te frotte pas les yeux. »
Une voix familière interrompit son geste. Soudain, deux mains agrippèrent ses bras, et il se retrouva soulevé. Déstabilisé, Wooyeon chancela et heurta du front l’épaule devant lui.
« Aïe… »
« Comme prévu, tu es ivre. »
Dohyun laissa échapper un rire ironique en le redressant. Il attrapa ses bras pour le stabiliser, le maintenant fermement tandis que Wooyeon vacillait. Mais ce dernier ne parvint pas à rester debout plus de trois secondes.
« J’ai la tête qui tourne… »
Dans un grognement, il appuya sa tête contre la poitrine de Dohyun. Celui-ci, figé un instant, finit par laisser échapper un rire incrédule. Il tenta de le repousser, mais stabiliser ce corps chancelant s’avéra plus difficile que prévu.
« Tu sais seulement sur quoi tu es en train de te reposer ? »
« Je sais. »
« On dirait que non. »
« Si. »
Dans le silence ambiant, leur respiration résonna légèrement. Dohyun abandonna l’idée de l’éloigner et fourra les mains dans les poches de son manteau. Même sans soutien, Wooyeon continua obstinément à se pencher contre lui.
Le temps s’étira dans un silence pesant. Étonnamment, ce fut Dohyun qui le brisa en premier.
« Tu n’es pas obligé de boire si tu n’en as pas envie. »
Il avait soupiré ces mots, sa voix teintée d’un reproche à peine dissimulé. Wooyeon, laissant de côté toutes les excuses possibles, répondit d’un ton hésitant :
« C’est la première fois que je joue à un jeu d’alcool… »
« T’as vraiment beaucoup de premières fois, toi. »
Dohyun détourna la tête, lâchant un léger soupir. Contre sa poitrine, le battement régulier de son cœur résonnait faiblement. Puis, dans un murmure presque inaudible, il lâcha :
« Tes phéromones s’échappent. »
Wooyeon ne réagit pas immédiatement. Il fallut quelques secondes avant qu’il ne se redresse brusquement, mais, encore chancelant, il perdit l’équilibre et heurta le mur. Juste avant qu’il ne se cogne la tête, Dohyun intervint, amortissant le choc d’une main ferme.
Fronçant légèrement les sourcils, il l’observa de près.
« Combien t’as bu ? »
Après une brève hésitation, il appuya Wooyeon contre le mur pour l’aider à tenir debout, puis sortit une cigarette de la poche de son manteau et la porta à ses lèvres.
Avec un clic, clic, la flamme du briquet s’alluma, libérant un parfum artificiel de phéromones dans l’air.
« Sunbae Kim Jinsang doit sûrement être colère. »
« … »
« Comme son nom l’indique, c’est un vrai connard.* »
(N/T : Le nom de Jinsang en coréen est 김진상 (Kim Jinsang). 김 (Kim) est un nom de famille très courant en Corée, et 진상 (Jinsang) est son prénom. En coréen, « 진상 » peut aussi avoir une connotation négative, signifiant « personne difficile » ou « fauteur de troubles », ce qui correspond bien à son comportement dans l’histoire.)
« … »
« Tu m’écoutes ? »
À chaque mot de Dohyun, Wooyeon sentait des vibrations lui parcourir la nuque. Il soupira en guise de réponse et glissa ses bras sous le manteau de Dohyun, l’enroulant autour de sa taille. Dohyun ne le repoussa pas, mais ne l’attira pas non plus contre lui.
« Il fait froid. »
Wooyeon bouda d’une petite voix avant de lever les yeux vers lui. Son regard se posa sur la cigarette coincée entre ses lèvres. Dohyun, toujours tourné, continuait à expirer la fumée en silence.
« Et alors ? »
Waouh, il est ridiculement sexy…
Sa mâchoire ciselée captait toute son attention. Chaque inspiration faisait bouger subtilement la ligne de son cou, et la fumée qui s’échappait de ses lèvres bien dessinées avait quelque chose de terriblement séduisant.
« Tu pourrais partager ton manteau au lieu de le garder pour toi tout seul… »
Murmurant son mécontentement, Wooyeon enfouit son visage dans la nuque chaude de Dohyun. Celui-ci tira une dernière fois sur sa cigarette avant de lâcher, d’un ton presque amusé :
« Tu ne pourras pas te plaindre demain. »
D’un geste fluide, il laissa tomber la cigarette et l’écrasa du bout du pied. Puis, sans un mot, il glissa une main dans la poche de son manteau et attira Wooyeon contre lui, l’enveloppant dans sa chaleur.
« … »
Un subtil mélange de chaleur et de phéromones flottait dans l’air. L’odeur sèche et caractéristique de Dohyun s’accrochait à ses vêtements et à sa peau. Blotti contre lui, Wooyeon sentit les bras de Dohyun se refermer un peu plus sur lui.
« Tu te sens mieux ? » murmura-t-il.
Pas vraiment. Son visage rougissait sans qu’il sache pourquoi, son cœur battait fort et ses phéromones s’échappaient à un rythme inquiétant.
D’une voix basse, teintée d’un souffle chaud, Dohyun ajouta :
« Tu ne devrais pas boire. »
« Pourquoi ? »
« Il y a des raisons. »
Il n’approfondit pas, et Wooyeon ne chercha pas à en savoir plus. Ses paupières s’alourdissaient. Chaque battement de cils le plongeait un peu plus dans la somnolence. Professeur, j’ai sommeil… Il voulait le dire, mais son esprit embrumé refusait de suivre.
« Sunbae… »
Le mot lui échappa à la place. Il était familier maintenant, un peu embarrassant, mais réconfortant. Dohyun, légèrement secoué, eut un frémissement amusé.
« Sunbae, t’es un playboy ? »
« Quoi ? »
Dohyun baissa les yeux vers lui, un rire surpris au bord des lèvres. Wooyeon, toujours niché contre sa nuque, releva la tête et fixa son regard sur son œil gauche.
« Si t’as une paupière double que d’un seul côté, ça veut dire que t’es un playboy. »
Dohyun resta un instant silencieux avant de le fixer intensément. Puis, sans hésiter, il répondit :
« C’est injuste. J’ai même pas encore eu l’occasion d’être un playboy. »
Son regard effleura son visage, glissant des yeux à son nez, de son nez à sa bouche… Puis retourna se plonger dans ses prunelles. Wooyeon, toujours agrippé à sa taille, frissonna légèrement sous cette attention.
« T’as sommeil ? » murmura Dohyun.
Plutôt que de répondre, Wooyeon ferma lentement les yeux. Ce n’est que lorsqu’il sombra complètement, son souffle devenant paisible, que Dohyun se pencha et posa un baiser direct sur ses lèvres.