Chapitre 07
« Pourquoi ? »
Les mots empreints de doute lui remplissaient la gorge. Il avait tant de questions à lui poser, mais il redoutait les réponses qu’il pourrait obtenir. Si jamais il demandait, comme tout à l’heure, ce qu’il s’était passé lors de l’orientation, celui qui serait embarrassé ne serait autre que Wooyeon.
« Remplis tous les champs. Nom, numéro d’étudiant, département, date de naissance aussi. »
Alors qu’il remplissait les cases une à une, Wooyeon fronça légèrement les sourcils. Le fait qu’il ait fini par rejoindre le club malgré lui passait encore, mais il venait de réaliser quelque chose de bien plus choquant. C’était lui qui était dans une position inconfortable. Depuis quand voyait-il les choses ainsi ?
« Pour la motivation, écris trois classiques que tu aimes. En anglais, avec leur titre original. »
« Ça doit être du Shakespeare ? »
« … Non ? »
Si le professeur n’était pas entré en cours tout à l’heure, Wooyeon aurait fini par raconter son passé. Qu’il avait immédiatement reconnu Dohyun, qu’il s’était senti trahi en découvrant qu’il était un alpha, et que c’était avec un dernier espoir qu’il lui avait posé cette question. En disant cela, il aurait fatalement révélé la nature de leur relation.
« Pas besoin d’écrire ton e-mail. »
Mais en y réfléchissant, l’incertitude l’envahit. Si Dohyun l’avait reconnu et l’avait appelé « Yeon », alors il se souviendrait forcément de la confession qu’il lui avait faite. Cela les éloignerait-il ou les rapprocherait-il ? Une chose était sûre : Wooyeon était prêt à parier tout ce qu’il avait sur la première option.
Ne s’en était-il pas déjà inquiété ? Peut-être que Dohyun trouverait étrange que Wooyeon l’ait suivi jusqu’à l’université. Il était certain qu’une fois qu’il comprendrait qu’il était « Yeon », son expression deviendrait immédiatement gênée.
« Heu… Sunbae… »
« Oui ? »
« En quelle année es-tu ? »
Il est plus facile de remplir une page blanche que de rattraper un dessin raté. Alors, s’ils étaient simplement camarades du même département, cela ne poserait pas de problème, n’est-ce pas ? Ce n’était pas comme s’il comptait faire quoi que ce soit. Tout ce qu’il voulait, c’était pouvoir le saluer en passant. Il n’avait aucune intention de remuer le passé pour rouvrir des blessures.
« Troisième année. »
Wooyeon avait déjà pleuré toutes les larmes de son corps. Tout s’était terminé le jour où il avait fait sa confession. Dohyun avait arrêté de lui donner des cours particuliers et, presque immédiatement, avait changé de numéro de téléphone. L’absence de réponse sur l’application de messagerie, remplacée par un « inconnu », et le message vocal indiquant un numéro inexistant avaient scellé leur séparation.
« Donne-le moi dès que tu auras fini. »
Une rupture unilatérale suffit une fois dans une vie. Poser des questions comme « Pourquoi as-tu changé de numéro ? » ou « Pourquoi ne m’as-tu pas contacté ? » n’avait plus de sens. Son cœur avait déjà renoncé, et Dohyun n’était plus son professeur. Wooyeon voulait se contenter de ce qu’ils avaient maintenant.
(N/T : Une rupture unilatérale est lorsqu’une personne décide seule de mettre fin à une relation (amoureuse, amicale, professionnelle), sans l’accord de l’autre.)
Je ne devrais rien dire.
En un sens, Dohyun semblait penser la même chose. Tout comme il n’avait jamais révélé son second genre, Wooyeon n’avait pas non plus l’intention d’évoquer le passé. Il ne s’agissait pas de mentir, mais simplement de garder le silence. Ainsi, si un jour Dohyun lui posait des questions, il pourrait toujours se rattraper avec une excuse précaire.
« Tu écris bien. »
Ce sourire, devenu presque un réflexe, effleura quelque chose au creux de sa poitrine. Combien de fois, à seize ans, Wooyeon avait-il ressenti des papillons pour cette même expression ? Pris d’une mélancolie douce-amère, il se mit à jouer avec son lobe d’oreille de sa main gauche.
« T’as envie de manger quelque chose ? »
« Non, pas vraiment… »
Son cœur battait de manière irrégulière, martelant pour lui rappeler sa présence. Il ne souhaitait qu’une chose : que ce frisson disparaisse au plus vite.
Ils n’eurent pas l’occasion d’aller déjeuner. Peu après, Garam fit son apparition. Avec ses cheveux attachés en une haute queue-de-cheval et un épais cache-oreilles, elle s’écria avec enthousiasme dès qu’elle aperçut Wooyeon.
« Waouh, Wooyeon, quelle surprise ! »
Bien qu’ils n’aient jamais été proches, le parfum des phéromones alpha qu’elle dégageait était bien présent. Contrairement à Dohyun, l’odeur typique des alphas rendait Wooyeon particulièrement mal à l’aise.
« C’est moi qui l’ai amené. Il voulait déposer son formulaire d’inscription au club. »
« Oh, montre-moi ça ! »
Garam s’empara du formulaire que Wooyeon avait rempli et le lut attentivement. Elle faisait défiler les lignes avec un air curieux, mais au bout d’un moment, ses lèvres se tordirent en un sourire moqueur. Elle pouffa doucement, un éclat de malice brillant dans ses yeux.
« Ce type… Il t’a aussi demandé de faire ça. »
« Quoi »
Garam se pencha rapidement à côté de Wooyeon, brandissant le formulaire devant lui. La proximité de ses phéromones devenait insupportable, mais Wooyeon était tout de même curieux de savoir de quoi elle voulait parler.
« La section des motivations. Honnêtement, même si quelqu’un aime les classiques anglais, la plupart des gens n’arrivent pas à en citer trois correctement. »
D’un geste, elle pointa du doigt la partie « motivation » que Wooyeon avait soigneusement remplie en belle écriture cursive anglaise. Contrairement à ses caractères coréens maladroits et irréguliers, son écriture anglaise était nette et élégante.
« Y a pas grand-chose que les gens savent écrire en anglais : Roméo et Juliette, Hamlet, ou… Les Misérables, peut-être ? »
« Les Misérables n’est pas en anglais. »
« Tant que c’est écrit avec l’alphabet anglais, ça passe ! »
Dohyun, qui écoutait en silence, laissa échapper un rire ironique.
« Dis quelque chose de sensé, pour une fois. »
Mais Garam ne semblait pas se soucier de ses remarques.
« Tu sais, il y a des gens qui viennent ici juste pour voir son visage, sans aucune intention de participer au club. Alors, on teste au moins leur sincérité. »
Le visage de Wooyeon se crispa légèrement. Il fronça les sourcils et mordilla sa lèvre, ce qui fit pétiller encore plus les yeux de Garam. Elle se pencha vers lui, murmurant avec un ton rempli d’attente :
« Pas vrai que c’est énervant ? »
« Oui. »
« … »
Cette fois, Dohyun non plus ne trouva rien à dire. Il détourna discrètement le regard, semblant légèrement mal à l’aise. Après un court moment de pause, une excuse maladroite lui échappa.
« Ce n’est pas moi qui l’ai mis en place. C’était déjà là quand j’ai fini mon service militaire. »
« Qui a commencé alors ? »
Si c’était apparu durant le service militaire de Dohyun, cela signifiait que ce n’avait pas été mis en place spécifiquement pour lui. Ce n’était sûrement pas ses aînés qui avaient prévu cela à l’avance, donc quelqu’un d’autre avant lui devait en être la cause.
« Très bonne question. »
Garam changea immédiatement de position, adoptant une posture dramatique, prêt à raconter quelque chose. Elle commença à retirer ses cache-oreilles pour les poser sur la table, mais s’interrompit en regardant alternativement Wooyeon et ses cache-oreilles. Avec un sourire malicieux, elle réduisit la distance entre eux.
« Wooyeon, c’est mignon, hein ? Regarde, si je les plie, ça ressemble à un macaron. »
« Ah, euh… Oui… »
Wooyeon répondit avec hésitation, l’air méfiant. Son instinct lui envoyait un avertissement, comme si quelque chose de mauvais était sur le point d’arriver. Et comme il s’en doutait, Garam profita d’une ouverture pour lui mettre les cache-oreilles sur la tête.
« … »
Le visage de Wooyeon se crispa immédiatement. Il voulut les retirer sur-le-champ, mais croisa le regard de Dohyun, ce qui le fit hésiter. Pendant ce temps, Garam éclata de rire, frappant dans ses mains avec entrain.
« Incroyable, c’est trop mignon ! Hé, même toi, tu trouves ça mignon, pas vrai ? »
Dohyun observa Wooyeon en silence avant de sourire doucement. Ce sourire fit instantanément rougir Wooyeon jusqu’aux oreilles.
« Oui, c’est vrai. »
« … »
Rouge comme une tomate, Wooyeon arracha les cache-oreilles de sa tête et les lança sur la table avant de couvrir ses oreilles avec ses mains. Il tentait désespérément de garder un visage impassible, mais son expression le trahissait. Garam rattrapa les cache-oreilles en plein vol, toujours hilare.
« Pourquoi tu les enlèves ? Ça te va trop bien ! »
« … Je ne veux plus rejoindre ce club. »
« Oh, arrête, c’était une blague ! »
Même si c’était vrai, Wooyeon ne le dit pas à voix haute. Son cœur battait si fort qu’il sentait la chaleur se diffuser dans tout son corps. Garam, voyant qu’il était peut-être allé trop loin, ravala son rire et agita la main pour apaiser la tension.
« Quoi qu’il en soit, il y a une légende dans notre club. »
« … Quelle légende ? »
Wooyeon réarrangea distraitement ses cheveux tout en répétant la question d’un ton boudeur. Soudain, il remarqua que le chauffage de la pièce était particulièrement fort, se demandant si la chaleur ambiante ne contribuait pas à sa montée en température intérieure.
« C’était il y a quatre ans… »
Garam commença son récit d’une voix grave et solennelle, comme si elle racontait une légende ancienne. Quatre ans. C’était aussi à cette époque que Wooyeon avait rencontré Dohyun. Une coïncidence troublante. Était-ce une année maudite ?
« À l’époque, notre club « Classiques anglais » comptait moins de dix membres. »
Garam, visiblement très sérieux, avait adopté une posture dramatique, semblable à celle d’un chevalier révélant une prophétie. Dohyun, légèrement agacé, intervint avec un commentaire sec :
« T’étais même pas dans le club à cette époque. »
Mais Garam ignora complètement l’interruption, continuant son récit comme si de rien n’était.
« Pour sauver ce club en perdition, le président de l’époque a fait venir un sauveur. »
Pour une raison obscure, Dohyun fronça les sourcils, clairement irrité. Il secoua la tête en lâchant un rire sarcastique. Garam, abaissant encore le ton pour instaurer une ambiance mystérieuse, déclara :
« Le dieu vivant du management. »
« … »
Le visage de Wooyeon se déforma instantanément. C’était encore pire que lorsqu’il avait été affublé des cache-oreilles plus tôt. Il n’arrivait même pas à demander confirmation tant l’absurdité de ce surnom le laissait sans voix. Dohyun, avec une sorte de résignation, expliqua d’un ton monotone :
« Oui, son surnom, c’était vraiment « le dieu vivant du management ». »
« … C’est sérieux ? »
Wooyeon sentit un frisson désagréable lui parcourir l’échine. Quel genre de surnom aussi ridicule pouvait exister ? Bien qu’il fasse chaud dans la pièce, il sentit sa peau se hérisser. Tout en frottant ses bras pour dissiper cette sensation, il vit Garam éclater de rire.
« Non mais je te jure, il ressemblait vraiment à un dieu vivant. Wooyeon, tu dois le voir en vrai. Son visage, ça rayonne littéralement ! »
« Un visage ne peut pas briller. »
Même s’il rejetait l’idée avec scepticisme, Wooyeon pensa instinctivement à Dohyun. À l’époque où il recevait des cours particuliers, il n’avait pas pu regarder son visage directement. Dohyun avait toujours ce sourire éclatant qui semblait illuminer tout autour de lui.
« C’est vrai ! La prochaine fois, demande à notre assistant de labo de te montrer une photo. »
« L’assistant ? »
« Oui, ils sortent ensemble. »
Wooyeon réalisa que les phéromones de l’assistant provenaient donc de ce fameux « dieu vivant du management ». Il repensa aussi à la bague que l’assistant portait, probablement une alliance assortie à celle de ce mystérieux personnage.
« De toute façon, après l’arrivée de ce sunbae, tout le monde s’est mis à remplir des formulaires d’inscription comme des fous, mais comme il ne participait pas aux activités, ils sont tous partis en masse. C’est à ce moment-là qu’ils ont commencé à demander d’écrire un titre pour la motivation d’inscription, pour trier les candidats. C’est là que j’ai rejoint le club. »
Garam se désigna d’un air gêné. Elle n’était pas parmi ceux qui étaient partis, mais parmi celles qui étaient restées.
« À cette époque, Kim Dohyun n’était pas là, mais ensuite, quand il a fini service militaire… »
Alors qu’elle poursuivait son récit, Garam inclina la tête, comme si elle essayait de se rappeler quelque chose. Après quelques hésitations, son visage se durcit légèrement. Tout à coup, sa voix devint sinistrement basse.
« Wooyeon. »
« Oui ? »
« Est-ce que par hasard, tu… »
Wooyeon fronça les sourcils en croisant son regard perçant. À chaque clignement des yeux, une sensation croissante semblait s’intensifier dans l’air. Puis, une pensée traversa soudainement son esprit.
Ah, mince.
Il avait oublié de contrôler ses phéromones. Sans même s’en rendre compte, Wooyeon en avait libéré dans la pièce. Les phéromones d’un oméga dominant s’étaient répandues dans l’air, réveillant tardivement la réaction de Garam.
« Attends un instant. »
Wooyeon leva la main calmement, puis se leva prudemment, essayant d’augmenter la distance pour mieux gérer la situation. Mais Garam, déjà submergée par ses instincts, ne l’écouta pas. D’un geste brusque, elle attrapa son poignet, et de puissantes phéromones d’alpha l’assaillirent.
« Toi, tu es un dominant… »
Bang !
Un grand bruit résonna, interrompant tout entre eux. Surpris, Wooyeon tourna la tête et vit Dohyun, les traits tendus. Il se tenait là, la main toujours posée sur la table qu’il venait de frapper. Puis, il prit la parole d’un ton bas.
« Hé. »
Wooyeon hésita un instant, se demandant à qui il s’adressait. Le regard de Dohyun n’était fixé ni sur lui ni sur Garam, mais sur le poignet que ce dernier tenait. Puis ses yeux glissèrent lentement jusqu’à Garam, qu’il fixa intensément.
« Ouvre la fenêtre. »
« … Ah. »
Garam sembla soudain retrouver ses esprits et se redressa. Lorsqu’il ouvrit la fenêtre, un courant d’air glacial envahit la pièce. Dohyun, sans même jeter un regard à Garam, s’adressa à Wooyeon d’un ton détaché.
« Tu dois avoir froid. Mets un manteau. »