07. Chiot pendant une journée ⋄ Partie 01
« Les loups sont rusés et féroces. En plus, ils ont un sens aigu de la solidarité : si vous vous en prenez à l’un d’eux, toute la meute vous tombera dessus. Alors, ne cherchez pas à les contrarier. Inclinez-vous et adaptez-vous. »
C’était le conseil que Heeseong avait reçu de son frère au sujet du Clan des Loups.
Il l’avait pris très au sérieux, d’autant plus qu’il était essentiel, dans son travail à la maison de jeux, de connaître les spécificités de chaque type d’hommes-bêtes. Par exemple, les félins attachaient une grande importance à la propreté et préféraient jouer en solitaire, tandis que les ratons laveurs, persuadés d’être plus malins que tout le monde, se montraient particulièrement rentables lorsqu’on les mettait face à des adversaires plus naïfs.
Jusqu’à sa rencontre avec Yoon Chi-young, Heeseong avait toujours cru que ces traits étaient innés.
« Ce foutu cinglé… ! »
À cet instant, Heeseong mobilisait toute la force qu’il avait accumulée au fil des années. Il luttait de toutes ses forces contre le visage souriant de Yoon Chi-young, qui s’approchait dangereusement. Heeseong tendait désespérément ses pattes pour bloquer ces lèvres qui ne cessaient de vouloir l’atteindre.
Yoon Chi-young, éclatant d’un rire joyeux, le suppliait d’une voix enjôleuse, comme un maître capricieux réclamant un câlin à son chiot :
« Je t’ai donné des friandises… Tu ne peux pas me laisser t’embrasser ? »
Haa…
Enfin installé à table, Heeseong poussa un profond soupir. Sous sa forme de chiot, ce soupir ne fit qu’attendrir Yoon Chi-young, qui se mit à caresser son petit corps chaud et doux, le trouvant adorable.
Heeseong, lui, était à bout de nerfs.
Il aurait voulu que Yoon Chi-young le laisse tranquille.
Si seulement il était comme les autres loups, rusé et féroce, il aurait suffi à Heeseong de se soumettre pour que tout soit réglé.
Mais non.
Yoon Chi-young se comportait comme un maître amoureux de son chiot, refusant de le lâcher ne serait-ce qu’un instant. Il allait même jusqu’à l’emmener à des réunions importantes, où il demandait l’avis du chiot – qu’il n’écoutait évidemment pas.
Plus Yoon Chi-young agissait ainsi, plus Heeseong se sentait piégé. Il scrutait la moindre ouverture pour s’échapper de cette tanière de loup. Mais chaque fois, Yoon Chi-young, sous prétexte de le trouver trop mignon, l’empêchait de s’éloigner.
Comme s’il était sous étroite surveillance.
« Comme c’est étrange… »
Yoon Chi-young, le nez enfoui dans le ventre du chiot, murmura pensivement.
« Pourquoi quelqu’un abandonnerait-il une chose aussi mignonne ? »
Qui est abandonné ?
Le chiot lui asséna une tape vigoureuse sur la joue avec ses petites pattes. Cette remarque désinvolte était incroyablement irritante.
Abandonné.
Yoon Chi-young semblait convaincu qu’il s’agissait d’un chiot errant. Pourtant, ce mot seul provoquait chez Heeseong un malaise profond, une aversion difficile à expliquer.
Je n’ai pas été abandonné.
Furieux, il planta ses dents dans la main de Yoon Chi-young. Mais affaibli par ses blessures, il ne put même pas percer la peau comme avant. Voyant les petites marques à peine visibles, Yoon Chi-young éclata de rire, comme s’il trouvait cela adorable.
C’en était trop pour l’orgueil du fier homme-bête canin.
« Pourquoi ce chiot est-il en colère ? »
Sur le chemin du retour, assis sur les genoux de Yoon Chi-young dans la voiture, Heeseong refusa obstinément de lui accorder un regard, ignorant complètement ses caresses.
« Je t’achèterai un jouet. Calme-toi. »
Tu te fous de moi ?
Ces paroles, censées être réconfortantes, n’eurent pour effet que d’attiser sa frustration. Heeseong était un adulte, pleinement conscient de lui-même, et être traité comme un simple chiot était une humiliation insupportable.
Mais Yoon Chi-young, fidèle à lui-même, fit ce qu’il avait dit. À peine arrivé à la maison, il balança le jouet fraîchement acheté dans la machine à laver.
« Je vais laver le jouet, et après tu pourras jouer avec. »
… Ce type.
Bouillonnant de ressentiment, Heeseong suivit la gouvernante, échafaudant un plan vengeur. L’exécuter fut un jeu d’enfant : dès que Yoon Chi-young rentra, la gouvernante, pressée, mit le jouet dans la machine à laver avant de s’éclipser en vitesse.
Plus tard, après une bonne douche, Yoon Chi-young aperçut le chiot, fasciné, les yeux rivés sur la machine à laver à tambour.
À l’intérieur, un petit canard et un serpent en plastique tournaient joyeusement avec l’eau savonneuse. Attendri par cette scène, Yoon Chi-young s’accroupit devant la machine et suivit son regard.
« Ah… »
C’est alors qu’il réalisa que le chiot ne regardait pas les jouets avec tant d’ambition.
Ses écouteurs sans fil tournaient également dans le tambour.
08. Chiot pendant une journée ⋄ Partie 02
Heeseong fut puni pour avoir mis ses écouteurs sans fil dans la machine à laver. Sa punition ? Accompagner Yoon Chi-young à son dîner.
« Je suis désolé, mais notre restaurant n’autorise pas les animaux de compagnie. »
Ils rencontrèrent un petit obstacle, mais Yoon Chi-young se contenta de sourire puis hocha la tête avant de trouver une solution.
« Reste ici un instant. »
Espèce de sale fou !
Heeseong grogna et se débattit, mais il finit par atterrir dans la poche du manteau de Yoon Chi-young.
Celui-ci protégea le chiot niché contre lui d’une main. La taille de la poche était parfaite, et sa paume assez grande pour que le petit corps de Heeseong s’y installe confortablement.
Finalement, Heeseong abandonna et s’allongea dans la poche, le visage las.
C’est si chaud…
Était-ce à cause de sa blessure, de la torture infligée par les lèvres de Yoon Chi-young toute la journée, ou encore de la guerre qu’il avait menée contre ses doigts ? Quoi qu’il en soit, Heeseong sentait qu’il pouvait s’endormir d’un instant à l’autre. Pourtant, une tension sourde l’empêchait de sombrer. La tension d’être à côté d’un loup cannibale.
Je préférerais être dans la poche de mon frère…
Quand il était plus jeune, son frère le glissait dans un sac ou une poche après une longue journée. À cette époque, lui aussi peinait au sein de l’organisation, et c’était sa manière de prendre soin de Heeseong. C’était un souvenir précieux, car c’était le seul endroit où il pouvait dormir profondément et au chaud.
Mais avec Yoon Chi-young, c’était hors de question.
Est-ce qu’il joue avec moi juste pour m’engraisser avant de me manger après ?
Les rumeurs sur Yoon Chi-young le décrivaient comme un loup cannibale. S’il était capable de s’attaquer à des hommes-bêtes, pourquoi s’arrêterait-il à un simple chiot ? Soudain, sa gentillesse et les friandises qu’il lui offrait lui semblèrent suspectes.
Pendant ce temps, un employé conduisit Yoon Chi-young quelque part. À l’odeur de nourriture, il semblait s’agir d’un restaurant coréen traditionnel. Une porte coulissa, signe qu’il était mené vers une salle privée.
« Oh, c’est Yoon Chi-young ? »
Dès que la voix d’un jeune homme retentit, Heeseong, jusque-là alangui, dressa les oreilles. Elle lui semblait étrangement familière. Ses yeux noirs s’écarquillèrent.
Yoon Chi-young, lui, poursuivit la conversation sans broncher.
« À quel honneur dois-je cette visite ? »
« Depuis quand avons-nous besoin d’une excuse pour nous voir ? »
« Évidemment. »
D’un ton léger, Yoon Chi-young répondit avec désinvolture. Son amusement fut accueilli par un rire légèrement forcé de son interlocuteur. Malgré cette interaction détendue, il était évident que Yoon Chi-young occupait une position supérieure.
Puis l’autre homme reprit, plus confidentiel.
« Hé, Yoon Chi-young. Je prends l’addition ce soir. En échange, viens avec moi au casino des hommes-bêtes canins. »
« Ha… »
Yoon Chi-young soupira, visiblement agacé. À l’inverse, dans sa poche, Heeseong redressa brusquement la tête, plein d’espoir.
Un casino des hommes-bêtes canins ?
Si Yoon Chi-young acceptait cette proposition, ce serait peut-être l’occasion rêvée pour s’échapper.
L’homme tenta d’en rajouter une couche pour le convaincre.
« Si tu viens, ces types-là pourraient même déterrer un cadavre pour toi. Aide-moi, juste cette fois. »
« Quel est ton objectif ? »
Yoon Chi-young prit place, sans retirer son manteau. Ce qui eut pour effet d’écraser un peu plus Heeseong contre sa cuisse. Le chiot tenta de s’extirper, mais une main ferme l’immobilisa aussitôt.
« Je cherche quelqu’un. Il a disparu du casino récemment. J’ai essayé d’appeler, mais les hommes-bêtes canins ne me répondent plus. »
« On dirait que quelqu’un l’a kidnappé… » murmura l’homme, plus pour lui-même.
Curieux d’apercevoir son visage, Heeseong mordilla la main de Yoon Chi-young, en guise de supplication pour qu’il le laisse sortir.
Mais l’homme continua :
« J’ai même trouvé son nom. Il s’appelle Gyeon Heeseong. »
Sérieusement ? Quelqu’un me cherche ?
Heeseong attendait avec impatience. Quelques instants plus tôt, il voulait encore rester caché dans le manteau, mais à présent, il brûlait d’envie de sortir la tête. Peut-être que cette personne était un homme-bête canin inquiet pour lui ou une connaissance de son frère, quelqu’un capable de le sauver de ce loup cannibale.
Mais Yoon Chi-young, en sirotant sa boisson, marmonna d’un ton agacé :
« C’est fou le nombre de personnes qui cherchent ce chiot… »
« Ah, je n’arrête pas d’y penser. »
Écoute-moi ! Laisse-moi sortir !
Désespéré, Heeseong se tortilla de toutes ses forces dans la poche. Finalement, Yoon Chi-young le remarqua.
« Quoi ? Tu veux sortir ? »
D’un ton faussement conciliant, il céda à ses plaintes et le sortit de sa cachette. Pourtant, son attitude trahissait une certaine satisfaction, comme s’il s’amusait de la situation.
Heeseong, lui, n’y prêta aucune attention. Il releva la tête précipitamment, scrutant la pièce avec fébrilité. Sa fourrure était toute ébouriffée, mais l’urgence de reconnaître l’homme qui le cherchait surpassait tout le reste.
« Ah, quand je le verrai, la première chose que je lui ferai… »
Mais dès qu’il aperçut l’individu en question, ses yeux se teintèrent d’une rage pure.
Il le connaissait.
Il l’avait déjà rencontré.
Et il le haïssait tout autant que Yoon Chi-young.
« … Serait de lui mordre la bite. »*
… Merde…
Contrairement à Yoon Chi-young, qui était indéniablement beau, cet homme-bête cheval affichait une mine grossière. Et il était la raison même des ennuis de Heeseong avec son frère.
« Ils font tous ça parce qu’ils sont d’humeur. Pourquoi tu balances des jetons au visage d’un client ? »
Kwon Ki-hyuk.
Ce type qui avait reçu une poignée de jetons en pleine figure après avoir suggéré une fellation à Heeseong lors d’une partie de poker.
Heeseong oubliait facilement le visage des autres hommes-bêtes, mais Kwon Ki-hyuk faisait exception. Son souvenir était gravé au fer rouge dans sa mémoire.
« T’as quel âge, au fait ? T’as déjà couché avec un mec ? »
« Si je gagne cette manche, je l’achète en premier. »
« Moi, au moins, je chasse pas les hommes-bêtes pour les mettre dans mon lit, contrairement à certains. »
Ces mots, Heeseong s’en souvenait parfaitement. Lorsqu’il les avait entendus pour la première fois, ses poings s’étaient serrés par reflex. Pourtant, il avait ravaler sa colère en pensant à son frère. Déjà sous surveillance à cause d’un précédent incident, il devait éviter tout problème supplémentaire.
« La famille de Kwon Ki-hyuk, c’est des politiciens… Ils sont sur le déclin, mais ils ont encore du pouvoir. Alors, ne fais pas de vagues, d’accord ? »
Son frère l’avait mis en garde. Mais politicien ou pas, pour Heeseong, Kwon Ki-hyuk n’était rien d’autre qu’un pervers.
Et il se souvenait à présent que Yoon Chi-young était aussi présent ce soir-là.
« Moi, au moins, je chasse pas les hommes-bêtes pour les mettre dans mon lit, contrairement à certains. »
Ce commentaire, Kwon Ki-hyuk l’avait lancé en direction de Yoon Chi-young. À l’époque, Heeseong était trop aveuglé par sa rage pour y prêter attention. Mais en y repensant, cela expliquait pourquoi les rumeurs sur le loup cannibale étaient si répandues.
Malgré tout, entre un cannibale et un pervers, Heeseong savait exactement lequel il haïssait le plus.
« Qu’est-ce qu’il a, ce chiot ? » lâcha Kwon Ki-hyuk d’un ton dédaigneux.
Il scrutait Heeseong comme s’il n’était qu’un insecte insignifiant. Arrogant comme tous les membres du clan des chevaux, il retroussa les lèvres, dévoilant ses dents comme pour l’intimider.
Heeseong répondit immédiatement.
Un grondement sourd s’échappa de sa gorge tandis qu’il retroussait les babines, dévoilant ses crocs. Il s’agitait furieusement sur le bras de Yoon Chi-young, prêt à bondir.
Yoon Chi-young, toujours imperturbable, leva son verre et déclara d’un ton nonchalant :
« Mon chiot. »
« C’est pas un homme-bête, juste un vrai chien, non ? Regarde-moi ce caractère. À peine plus gros qu’une bite. »
WOOF !
Au rire moqueur de Kwon Ki-hyuk, Heeseong aboya vivement. Malgré la douleur qui parcourait encore son corps et le fait qu’il aurait dû éviter de se fatiguer, il sentait qu’il allait exploser s’il ne laissait pas éclater sa colère d’une manière ou d’une autre.
Yoon Chi-young, qui traitait le chiot minuscule avec un soin presque révérencieux, se leva en le caressant doucement, avant de s’approcher de Kwon Ki-hyuk, assis en face d’eux. Il approcha le chiot de son visage et demanda d’un ton léger :
« Qu’est-ce qui ne va pas ? Tu ne l’aimes pas ? »
Je le déteste. Il me répugne.
Comme s’il avait compris, le chiot hocha la tête. Dans ses yeux posés sur Kwon Ki-hyuk, il n’y avait que mépris et aversion.
Puis, d’une voix douce mais sérieuse, Yoon Chi-young posa une question inattendue :
« Alors… Tu veux le manger ? »
Quoi… ? !
Soudain, Heeseong sentit un frisson d’inquiétude et se pencha instinctivement en arrière. Son regard croisa celui de Yoon Chi-young, qui l’observait d’en haut. Son visage, digne d’une star de cinéma, était encadré de cheveux noirs soyeux. Ses traits étaient forts et séduisants, et ses yeux doux… Pourtant, au fond de ces pupilles grises légèrement dilatées, il y avait la lueur dérangeante d’un fou.
« Est-ce que notre chiot devrait jouer avec lui ? On pourrait même le mettre en laisse… Tu veux le promener ? »
« Qu’est-ce que tu racontes—ugh… ! »
D’un geste brusque, Yoon Chi-young agrippa les cheveux de Kwon Ki-hyuk et tira sa tête en arrière avec force, exposant son cou tendu où battait une veine saillante. Son souffle se fit court sous l’effet du choc.
L’atmosphère devint glaciale en un instant. Le sourire de Yoon Chi-young s’effaça, laissant place à une expression froide. Il caressait toujours le chiot avec une tendresse infinie, et pourtant, ses gestes envers Kwon Ki-hyuk étaient d’une cruauté évidente. C’est à cet instant que Heeseong se rappela la véritable nature du clan des loups de Yoon Chi-young : brutale et impitoyable.
Kwon Ki-hyuk, tentant de reprendre son souffle, posa prudemment une main sur le bras musclé de Yoon Chi-young et rit maladroitement.
« Hé, Yoon Chi-young… Haha. T’as toujours eu un sens de l’humour pourri. »
« Ah… Tu n’aimes pas ? »
Mais peu importe ce que disait Kwon Ki-hyuk, Yoon Chi-young ne lui accordait même pas un regard. Son attention restait rivée sur le chiot qu’il tenait toujours dans ses bras.
Heeseong secoua vivement la tête. Il ne voulait pas s’approcher de Kwon Ki-hyuk. Cet homme était répugnant et indésirable. À vrai dire, Heeseong méprisait tous ces hommes-bêtes chevaux qui se vantaient constamment de leur prétendue virilité et de leur puissance. Dans la maison de jeux où il avait vécu, il avait vu trop souvent ces créatures faire des plaisanteries graveleuses, inconscientes des murmures méprisants qui les accompagnaient.
Après un instant, Yoon Chi-young hocha lentement la tête.
« C’est Vrai… Les chiots ne devrait pas manger des choses sales. »
« … Ah. »
Kwon Ki-hyuk laissa échapper un rire incrédule. Mais Yoon Chi-young se contenta de lâcher ses cheveux avec un air de profond dédain. La tête de Kwon Ki-hyuk retomba brusquement, son visage marqué par la tension et la frustration. Ses traits crispés étaient déformés par l’humiliation.
Avec un dédain nonchalant, Yoon Chi-young essuya distraitement sa main sur le costume hors de prix de Kwon Ki-hyuk. Heeseong, toujours dans ses bras, observait la scène, les yeux brillants d’un mélange de satisfaction et d’incompréhension.
Ils n’étaient pas amis ?
Jusqu’à présent, Heeseong avait cru qu’ils l’étaient. Pourtant, à voir la manière dont Yoon Chi-young traitait Kwon Ki-hyuk, ce dernier n’était rien de plus qu’un jouet à ses yeux.
« Je suis trop occupé à jouer avec le chiot. »
Dans un soupir ennuyé, Yoon Chi-young retourna s’asseoir et déposa soigneusement Heeseong sur la table, comme s’il manipulait un trésor inestimable. Le chiot se retrouva alors entouré d’un véritable festin de plats coréens raffinés.
Mais même face à des côtes grillées appétissantes, Heeseong ne s’intéressait qu’aux paroles de Yoon Chi-young.
« Je pensais que l’Assemblée Kwon allait bientôt faire la une des journaux… Je croyais qu’on se préparait à ça en se voyant. »
« Quoi ? »
« Il n’y avait pas besoin que tu viennes jusqu’ici. »
« De quoi tu parles, Yoon Chi-young ? »
Lui demanda Kwon Ki-hyuk sérieusement. Ses cheveux, autrefois soigneusement coiffés, étaient maintenant ébouriffés, lui donnant l’air d’un scientifique fou. Le sourire forcé sur son visage avait disparu.
En voyant la scène, l’humeur de Heeseong prit un tournant inattendu.
Il venait d’assister à la chute d’un homme qui l’avait tourmenté, et ce, avec une facilité déconcertante. C’était une victoire creuse, mais il ne pouvait s’empêcher d’éprouver une satisfaction teintée de dégoût. Cet homme ne méritait aucune pitié.
L’ordure qui, plus tôt, avait tenté de le coincer dans les toilettes attenantes à la pièce… Dans l’intention de le forcer.
Se remémorant cet instant, Heeseong n’hésita pas. Boitant sur ses pattes arrière, il traversa la table, évitant les plats, et se rapprocha de Kwon Ki-hyuk. Yoon Chi-young, qui observait clairement la scène, ne fit rien pour l’arrêter. Kwon Ki-hyuk, lui, était bien trop préoccupé pour remarquer le petit chiot.
Alors, Heeseong lui offrit exactement ce qu’il méritait.
« Pourquoi mon père ? Commence par me dire ce que c’est… Ugh, merde ! »
Heeseong fit exprès de renverser de la soupe brûlante juste devant Kwon Ki-hyuk.
Ce dernier poussa un cri étranglé en voyant le liquide se répandre sur son entrejambe. Il bondit de sa chaise, gesticulant frénétiquement pour tenter d’atténuer la brûlure. Sa détresse ridicule rappelait l’image d’un poney affolé.
« Ça va ? »
Yoon Chi-young, quant à lui, se désintéressa complètement de l’homme en panique. Il n’avait d’yeux que pour le chiot qu’il berçait contre lui. Heeseong le fixa avec malice, ses petits yeux pétillant de satisfaction.
« Tu voulais renverser ça ? Bon travail. »
Yoon Chi-young lui adressa un sourire amusé, à l’opposé de son frère, qui l’aurait sûrement grondé. Heeseong gonfla la poitrine, gonflé d’orgueil, son pelage encore hérissé d’excitation.
Alors que Yoon Chi-young s’apprêtait à quitter la pièce, Kwon Ki-hyuk le retint avec une série de jurons grossiers.
« Espèce de salaud, c’était quoi, tout à l’heure ? ! »
« Ah. »
Le sourire de Yoon Chi-young s’effaça aussitôt. Son regard, glacial, fit instinctivement dresser les oreilles de Heeseong. Un pur réflexe. Un avertissement silencieux que provoquer cet homme en cet instant était une grave erreur.
Yoon Chi-young ne sembla pourtant pas s’énerver. D’un geste presque tendre, il replaça Heeseong dans la poche de son manteau. Mais sa voix, lorsqu’il murmura, était d’une douceur terrifiante.
« Tu ne devrais pas voir des choses pareilles. Reste ici. »
Mais je veux voir aussi !
Heeseong s’agrippa désespérément au poignet de Yoon Chi-young avec ses pattes, tentant d’empêcher qu’on l’enferme, mais ce fut en vain.
Puis, un bruit sourd résonna dans la pièce. Le bas du manteau frémit violemment. Yoon Chi-young venait sans doute de donner un coup de pied.
Crac
C’était la première fois que Heeseong entendait distinctement le son d’un os qui se brisait. Un frisson lui parcourut l’échine.
Kwon Ki-hyuk suffoqua, peinant à respirer sous l’effet de la douleur. Il semblait souffrir au point de ne même pas pouvoir crier.
Les bruits brutaux s’estompèrent peu à peu, et la porte s’ouvrit, ne laissant plus que le tintement lointain des couverts dans la salle à manger.
Blotti dans la poche de Yoon Chi-young, Heeseong ressentit un étrange frisson d’euphorie. Son cœur battait à tout rompre.
C’était la première fois qu’il causait des ennuis sans être réprimandé.
Et surtout, c’était la première fois que quelqu’un prenait son parti.
09. Chiot pendant une journée ⋄ Partie 03
Yoon Chi-young retourna à la voiture et s’installa à l’arrière. Dès qu’il fut assis, le véhicule quitta le parking en douceur.
Même à cet instant, le cœur de Heeseong battait encore à toute vitesse. Il savourait pleinement la satisfaction d’avoir pris le dessus sur Kwon Ki-hyuk. Au fond, il devait bien l’admettre… Lui aussi était un véritable salaud.
Perdu dans ce sentiment grisant, il fut brusquement interrompu par une question totalement inutile de Yoon Chi-young.
« J’ai bien fait ? »
Heeseong l’ignora royalement. Il se contenta de s’allonger sur les cuisses de Yoon Chi-young et détourna le regard, l’air désinvolte. Il était d’excellente humeur et voulait simplement savourer, en paix, le doux souvenir du bruit des os de Kwon Ki-hyuk se brisant.
Mais il semblerait que l’autre n’ait pas l’intention de le laisser tranquille.
« Mais… Pourquoi tu lui as renversé de la soupe sur son truc, tout à l’heure ? Tu étais intéressé ? »
La voix de Yoon Chi-young s’était faite plus basse, comme s’il se sentait offensé.
Heeseong, lui, ne daigna toujours pas répondre. Ce type était peut-être beau, mais justement, c’était bien ça le problème. Il était tellement agaçant avec son fichu visage parfait.
« Le mien est plus gros que le sien, tu sais… »
Beurk !
Un frisson de dégoût lui parcourut l’échine. Il plaqua aussitôt ses pattes sur ses oreilles pour éviter d’entendre davantage… Mais elles étaient trop courtes pour être réellement efficaces. C’était une torture. Il ne voulait rien savoir. Ni de son truc, ni de quoique ce soit d’autre le concernant.
« Quoi ? Tu es jaloux ? »
Comme s’il y avait quoi que ce soit à envier ! À court de patience, Heeseong n’essaya même pas de répondre et se concentra uniquement sur sa mission : se boucher les oreilles. Mais Yoon Chi-young n’était pas du genre à abandonner simplement parce que l’autre refusait d’écouter.
« Je n’ai pas fait exprès de regarder. C’est lui qui passe son temps à demander à tout le monde de lui faire une pipe. »
Les petites canines de Heeseong claquèrent sous l’effet de la frustration.
Dès qu’il retrouverait son corps humain, il ferait en sorte de lui coudre la bouche.
Oui. Définitivement.
Le lien parmi les hommes-bêtesentre était bien plus crucial qu’entre les humains.
Cela s’expliquait par le fait qu’un homme-bête, une fois retourné à sa forme originelle due à une blessure, avait absolument besoin de l’aide de sa meute.
Ah, mon oreille me démange…
Redevenu un chiot, Heeseong ressentait encore plus le besoin du contact de ses semblables. Déjà incapable d’utiliser ses mains—ce qui était franchement agaçant—ses oreilles, à moitié repliées, étaient en plus sujettes aux infections et lui démangeaient sans arrêt. Et avec une patte arrière blessée, il ne pouvait même pas se gratter correctement.
Ne pouvant plus supporter l’irritation, Heeseong finit par chercher Yoon Chi-young. Dans le besoin, il faut bien emprunter même la main d’un loup cannibale…
Le chiot trottina jusqu’à la grande terrasse. Là, Yoon Chi-young fumait, apparemment insouciant du fait que son appartement se trouvait au dernier étage. Heeseong tira sur le bas de son pantalon. Yoon Chi-young, absorbé par les documents affichés sur sa tablette, baissa les yeux vers lui avec un sourire amusé.
« Hmm ? »
Mon oreille. Mes oreilles me démangent.
Heeseong frotta désespérément son oreille avec sa patte avant. C’était insupportable. Jusqu’à présent, son frère nettoyait régulièrement ses oreilles, alors ça restait gérable. Mais depuis qu’il était chez Yoon Chi-young, il n’avait pas pu les nettoyer une seule fois.
Le plus gros problème, c’était l’absence totale de communication.
« Tu veux que je te prenne dans mes bras ? »
Non, hé… ’
« Oh, tu veux une caresse ? Un bisou ? »
Boum !
Heeseong explosa de frustration. Il repoussa les lèvres de Yoon Chi-young avec sa patte avant voulant désespérément éviter le baiser.
C’était insupportable de ne pas pouvoir se faire comprendre.
Entre hommes-bêtes de la même espèce, une certaine forme de communication restait possible, même sous forme animale. Ils ne pouvaient pas aligner de vraies phrases, mais il était facile de transmettre deux ou trois mots clés avec le langage corporel.
Mais entre un chien et un loup… C’était comme essayer de parler avec un étranger dans une langue inconnue. Et chez les hommes-bêtes, les loups étaient particulièrement hermétiques à leur propre langage corporel, ce qui rendait toute tentative d’échange encore plus compliquée.
Yoon Chi-young, intrigué, passa un appel.
« Young-bae est là ? Dis-lui de monter. »
D’après Heeseong, aujourd’hui était un week-end… Mais apparemment, les gangsters n’avaient pas de jours de repos.
Quelques minutes plus tard, un homme robuste fit son entrée dans l’appartement de Yoon Chi-young. Il dégageait une aura imposante, avec son regard sévère et ses traits durs, mais Heeseong savait qu’il avait en réalité des mains étonnamment délicates. Il l’avait déjà vu lui attacher une épingle dans les cheveux—qu’il avait immédiatement enlevée, bien sûr.
Un sourire malicieux aux lèvres, Yoon Chi-young lança un regard en coin à Ji Young-bae avant de désigner le chiot sur la table de la terrasse.
« Tu es de la tribu canine, non ? »
« Oui. »
« Que dit le chiot ? »
Tu me comprends ?
Heeseong jeta un regard prudent à Ji Young-bae, sans trop d’espoir. Travailler sous les ordres des loups alors qu’il était de la tribu canine… C’était suspect.
En plus, en tant qu’homme-bête de la tribu canine, Ji Young-bae devait être capable de percevoir qu’il n’était pas un simple chiot, mais bien un homme-bête sous sa forme originelle. Les hommes-bêtes pouvaient communiquer jusqu’à un certain point avec les animaux de leur propre espèce, mais ces derniers ayant une intelligence inférieure, c’était comme essayer de parler avec un enfant de cinq ans. Si Heeseong se montrait trop expressif, il risquait de révéler sa véritable identité. Mieux valait rester sur ses gardes.
Mais à cet instant, son oreille se mit à le démanger violemment. Incapable de supporter l’irritation, Heeseong se frotta frénétiquement l’oreille avec sa patte avant et poussa un petit grognement.
S’il te plaît, nettoie mon oreille…
Cette fois, il fit un effort pour utiliser un langage corporel clair et précis.
Ji Young-bae l’observa avec sérieux, puis déclara d’un ton neutre :
« Merde ! »
Il y avait peut-être eu une erreur d’interprétation. Après tout, même entre hommes-bêtes sous leur forme originelle, la communication pouvait s’avérer difficile selon leur région d’origine. C’était un peu comme tenter de comprendre un dialecte aux sonorités trop épaisses.
Quoi qu’il en soit, Yoon Chi-young, loin de se soucier de la nuance, souleva Heeseong près de son visage avec un air attendri et plongea son regard dans le sien.
« Ah, tu veux qu’on te touche l’oreille ? Mon petit touto aime ça, hein ? »
« … »
Le chiot, résigné, abandonna à la fois l’idée de répondre et celle d’attaquer. Désormais, Heeseong aspirait à retrouver son frère pour une toute autre raison.
Après tout, Yoon Chi-young, avec ses oreilles de loup noires et dressées, n’avait jamais connu le calvaire des oreilles repliées. Il ne pouvait pas comprendre. Soupirant devant cette injustice génétique, Heeseong s’allongea sur la table, vaincu.
Puis, contre toute attente, Yoon Chi-young toucha doucement ses oreilles.
Et c’est là qu’il fit une découverte inattendue. En retournant machinalement les oreilles du chiot, il fronça légèrement les sourcils.
« N’est-ce pas une infection ? »
« Euh… »
Les regards de Ji Young-bae et de Yoon Chi-young convergèrent vers les oreilles du chiot, pas plus grandes que leurs poings. Heeseong sentit un frisson d’alerte parcourir son échine, mais il se força à rester immobile. Tant pis pour la dignité, il devait attirer l’attention sur ses oreilles sales.
C’était humiliant, mais il n’avait pas le choix.
« On doit lui nettoyer ça. »
Enfin, vous avez compris compris !
Peut-être parce qu’ils étaient tous deux de la tribu canine, Yoon Chi-young comprit immédiatement ce qu’il fallait faire.
Il se leva, prit le chiot sous son bras et se dirigea vers la salle de bain pour se laver les mains. Puis, de retour dans le salon, il vida un sac en papier posé dans un coin. Sur la table, une collection flambant neuve d’accessoires pour animaux s’étala sous les yeux de Heeseong.
… Vous n’allez pas m’emmener chez un vétérinaire ?
Il avait secrètement espéré qu’une gentille vétérinaire aux mains douces s’occuperait de lui. Mais au lieu de ça, c’était ce gangster qui s’apprêtait à lui trifouiller les oreilles avec ses grosses mains.
Il lui lança un regard inquiet.
Sentant son hésitation, Yoon Chi-young esquissa un sourire.
« On va vivre ensemble pour toujours, alors autant bien faire les choses dès maintenant. »
« … »
Un sourire radieux.
Enfin… En apparence.
Aux yeux de Heeseong, c’était clairement le sourire d’un tyran qui avait trouvé une nouvelle façon de le torturer. Ce type savait exactement ce qu’il détestait.
Puis, sans prévenir, un coton-tige imbibé de solution nettoyante s’enfonça dans son oreille.
Heeseong frissonna.
Mais alors qu’il s’attendait au pire, il sentit un frottement doux, précis. Le bruit de succion à l’intérieur de son oreille lui arracha un frémissement incontrôlé.
Ah… Ha…
C’était…
C’était terriblement agréable.
Malgré lui, il devait admettre que Yoon Chi-young était bien meilleur que son frère pour ça. Son toucher était délicat, presque méticuleux, comme s’il s’occupait d’un objet précieux. Il prenait même plus de temps à nettoyer ses oreilles qu’à lire ses fichus documents.
Et comme si ça ne suffisait pas, il alla plus loin, essuyant soigneusement les petites crottes de yeux du chiot avant de lui offrir des éloges et… Des friandises.
« Bravo. Tiens, quelques friandises. »
« … »
Heeseong, toujours pétrifié, fixa les friandises.
Il venait de recevoir des récompenses pour quelque chose d’aussi insignifiant que se faire nettoyer les oreilles.
… Il refusait de l’admettre, mais ce type savait vraiment y faire.
Boum.
Le regard fixé sur Yoon Chi-young, Heeseong grignota lentement sa friandise à la patate douce séchée, comme s’il tentait d’évaluer la situation. Puis, sans un mot, l’homme posa le chiot sur le tapis moelleux du salon.
Boitant jusqu’au miroir en pied, Heeseong s’assit face à son reflet, submergé par des émotions contradictoires.
Merde. Je suis… Vraiment satisfait…
Quatre jours s’étaient écoulés depuis son arrivée ici, une semaine si l’on comptait les trois jours où il avait été inconscient. Et en ce laps de temps, Heeseong avait constaté un changement alarmant : il s’était laissé aller au luxe.
Son apparence en témoignait.
Dans le miroir, un chiot méconnaissable l’observait. Sa fourrure blanche, d’ordinaire terne et négligée, brillait d’une propreté éclatante. Son corps, autrefois émacié, avait repris quelques rondeurs. Ses yeux noirs, toujours emplis de fatigue, scintillaient à présent d’une lueur plus vive.
Il paraissait… En bonne santé.
Ce constat le frappa de plein fouet.
Il ne s’était jamais vu dans cet état auparavant.
Un pincement de culpabilité l’envahit aussitôt. Il pensait à son frère. À quel point ce dernier devait s’inquiéter. À quel point lui, Heeseong, s’était laissé aller à une situation qu’il n’aurait jamais dû apprécier.
Son frère lui manquait.
Et pourtant…
Depuis qu’il avait commencé à travailler, c’était la première fois qu’il dormait réellement à satiété, la première fois qu’il pouvait respirer sans redouter le lendemain.
L’idée même de rentrer lui laissait un goût amer.
Tu as perdu la tête, Heeseong ?
Il secoua la tête. Non. Il ne pouvait pas se laisser séduire par ce confort.
Qu’importaient les soins qu’il recevait ici, il ne pouvait pas oublier que Yoon Chi-young restait un loup cannibale.
Il appartenait à la tribu canine. Il avait une meute. Un endroit où il devait retourner, quelles qu’en soient les conséquences. Même si cela signifiait subir le châtiment réservé à ceux qui perdaient de la marchandise…
Ressaisis-toi. Ce n’est pas chez toi.
Les mâchoires serrées, il attrapa un jouet en peluche en forme de serpent, l’imaginant à l’effigie de Yoon Chi-young, et le mordit férocement. Il devait se rétablir au plus vite et retrouver son frère.
C’était sa seule priorité.
… Enfin, c’est ce qu’il se répétait.
Mais au fond, il se surprit à espérer que sa guérison prenne un peu plus de temps. Juste un peu.
10. Chiot pendant une journée ⋄ Partie 04
De retour sur la terrasse, Yoon Chi-young s’installa et prit sa tablette.
Sur l’écran défilaient des images de vidéosurveillance et des photos. En faisant glisser les fichiers, il fit apparaître des rapports et des notes rédigées par les membres de l’organisation.
Tous ces documents concernaient les événements survenus autour de la base du clan des loups le jour où le chiot avait été trouvé.
Perdu dans ses pensées, il scrutait les enregistrements lorsqu’il se tourna vers Ji Young-bae, resté debout derrière lui.
« Aucune organisation n’a empiété sur notre territoire ce jour-là, n’est-ce pas ? »
« Non, en effet. »
Un sourire narquois effleura les lèvres de Yoon Chi-young. Le chiot avait été découvert blessé, précisément dans un angle mort non couvert par les caméras. Pourtant, en recoupant les indices, il pouvait facilement deviner ce qui s’était passé.
Il paraissait absurde de déclencher une bagarre aux abords de la base du clan juste pour mettre la main sur quelques millions de wons de drogue. Même les petites frappes de la rue savaient qu’il valait mieux éviter de provoquer les loups sur leur propre territoire.
À moins que quelqu’un n’ait voulu se débarrasser d’un fardeau gênant… Tout en récoltant un peu d’argent au passage.
Et si le plus jeune membre d’une organisation disparaissait en plein territoire ennemi, personne ne se presserait pour lancer une enquête.
Son regard glissa vers l’intérieur de la maison. Sur le tapis noir, une boule de poils blanche dormait paisiblement, serrant un jouet en forme de serpent entre ses pattes.
« Que vais-je bien pouvoir faire de toi… »
Un sourire effleura ses lèvres.
La situation l’amusait presque.
Le manager du casino, Park Geon-tae, était déjà surveillé de près pour de bonnes raisons. Chaque fois qu’un produit passait entre ses mains, une partie semblait invariablement disparaître. Étant donné son obsession pour les femmes, il n’aurait pas hésité à vendre sa propre chair… Et cette fois, il semblait bien avoir effectivement sacrifié sa carte la plus précieuse.
« Si c’est le cas, notre chiot serait attristé en l’apprenant. »
Il avait beau prendre un ton préoccupé, une lueur d’excitation brillait dans ses yeux gris.
Sans perdre plus de temps, il donna une instruction simple à Ji Young-bae.
« Mets Park Geon-tae sous surveillance dès aujourd’hui. »
« Bien reçu. »
Se levant, Yoon Chi-young attrapa la petite boule de poils endormie et la posa près de son lit. Son regard s’attarda sur le chiot, une lueur d’excitation grandissant dans ses yeux, à une intensité qu’il ne s’expliquait pas encore.
Alors que le week-end s’écoulait, Yoon Chi-young resta contraire à ses habitude à la maison au lieu d’aller travailler. Heeseong, installé confortablement, regardait le dernier film que Yoon Chi-young avait lancé tout en dégustant des gambas grillées qu’il avait épluchées lui-même.
« Le chiot aime les gambas ? »
Je ne sais pas. C’est la première fois que j’en mange.
C’était en effet une découverte pour Heeseong. Il n’avait jamais imaginé que les crevettes puissent être aussi délicieuses. À tel point qu’il s’accrocha spontanément au poignet de Yoon Chi-young pour en recevoir une de plus, qu’il avala aussitôt. Voyant cela, Yoon Chi-young le contempla avec une fierté évidente.
« Ah, tu es tellement mignon que je pourrais en mourir. »
Quoi ?
« Mange bien et guéris vite. Comme ça, je pourrai te manger cet hiver. »
« … »
L’appétit de Heeseong chuta brutalement.
« D’un regard noir, il fixa Yoon Chi-young et, dans un accès de colère, renversa même une tasse d’eau. Mais loin de s’en offusquer, Yoon Chi-young, amusé, lui adressa un sourire avant d’éplucher d’autres gambas en guise de pot-de-vin. Après une brève hésitation, Heeseong finit par tout engloutir. »
L’idée d’être mangé en hiver lui avait brièvement coupé l’appétit, mais après tout, il comptait bien s’enfuir avant que cette saison n’arrive.
Le soir venu, un médecin à l’air hagard — qui donnait plus l’impression d’un toxicomane que d’un professionnel — se présenta pour examiner Heeseong, dont le ventre était maintenant bien gonflé.
« Les niveaux de phéromones sont à peine détectables à nouveau. C’est vraiment juste un chiot. »
Espèce de charlatan.
Le médecin, décidément pas très net, le diagnostiqua une fois de plus comme un simple chiot. Après avoir rebranché l’appareil de mesure des phéromones derrière sa nuque et confirmé les résultats, Yoon Chi-young esquissa un sourire subtil, sans faire de commentaire.
Néanmoins, malgré son apparence douteuse, le médecin semblait compétent. Il s’occupa du chiot avec attention et sans la moindre erreur, peut-être sous la pression du regard glacial et scrutateur de Yoon Chi-young.
« Heureusement, la blessure guérit vite. On peut retirer le plâtre aujourd’hui, et les points de suture la semaine prochaine. Marcher risque encore d’être compliqué, mais d’ici là, il pourra reprendre un peu d’activité. »
« … »
Heeseong ne fut pas ravi d’apprendre sa guérison rapide.
Il s’était laissé aller, profitant des repas complets et de la chaleur, ce qui lui semblait injuste en pensant à son frère. Frustré, il mordit la main de Yoon Chi-young qui le caressait, comme un enfant capricieux.
Il baissa ensuite les yeux sur ses pattes. Sa peau suturée avait un aspect grotesque, et des ecchymoses couvraient son petit corps.
Reprendre forme humaine risque d’être compliqué…
Les hommes-bêtes guérissaient plus vite sous leur apparence animale. Leur corps conservait instinctivement la forme la plus sécurisée lorsqu’ils étaient blessés. Ainsi, chaque fois que Heeseong tentait de redevenir humain, la douleur l’en empêchait. Une preuve que son organisme était encore en convalescence.
Malgré tout, il était déterminé à récupérer au plus vite. Il savait qu’une fois redevenu humain, il aurait bien plus de chances de s’échapper. Alors, en attendant, il se préparait à fuir.
À ce moment-là, Yoon Chi-young, dont la main venait d’être mordue, demanda au médecin :
« Quand pourra-t-il commencer à sortir se promener ? »
… Il me prend vraiment pour un chien ?
Des promenades, rien que ça. Heeseong n’avait aucune intention d’accepter la laisse que Yoon Chi-young finirait forcément par lui imposer. Il y avait déjà eu des incidents où, après avoir été attaché, il se laissait tomber au sol en signe de protestation, refusant de bouger jusqu’à ce qu’on le détache. Il avait même réussi à se débarrasser de plusieurs colliers et, par esprit de rébellion, il renversait tout ce qu’il trouvait sur son passage, café y compris.
Le pire, c’était que Yoon Chi-young semblait trouver ça amusant. Il allait même jusqu’à prendre des photos. Ce qui ne faisait qu’irriter davantage Heeseong. Mais refuser la laisse ou tout accessoire de ce genre n’était pas un simple caprice : c’était une question de fierté.
Le médecin hésita avant de répondre :
« Vu que nous sommes en novembre et qu’il est encore en convalescence, il vaudrait peut-être mieux éviter les promenades pour le moment… »
« Hmm… »
Yoon Chi-young ne sembla pas particulièrement déçu. Il observa attentivement les blessures du chiot, plissant légèrement les yeux. À croire que la guérison rapide de Heeseong n’était pas une si bonne nouvelle pour lui non plus.
Le médecin, cherchant à interpréter sa réaction, enchaîna avec prudence :
« Dans ce cas… »
Il sortit un appareil de mesure des phéromones et s’approcha prudemment. Yoon Chi-young hocha simplement la tête, sans montrer la moindre objection.
L’appareil émit un bourdonnement mécanique avant qu’un chiffre rouge s’affiche sur l’écran : 892.
C’était des centaines de fois plus élevé que les 4 ou 5 mesurés chez Heeseong.
Troublé, le médecin demanda :
« Le niveau normal est de 200… Vous n’êtes pas retourné à votre forme originelle récemment ? »
« J’étais occupé à élever un chiot. »
Yoon Chi-young répondit avec indifférence, continuant à caresser Heeseong comme si de rien n’était.
Le médecin, tâchant de rester professionnel, lui prodigua quelques conseils :
« Quand même… En tant qu’homme-bête, vous devriez soit revenir à votre forme originelle, soit réguler vos phéromones par une activité sexuelle. Avec une puissance comme la vôtre, vous devriez le faire au moins une fois toutes les deux semaines… »
… Toutes les deux semaines ?
Heeseong releva brusquement la tête, surpris.
Les hommes-bêtes, bien que proches des humains, n’avaient pas besoin de gérer leurs phéromones aussi fréquemment. D’ordinaire, une régulation tous les deux mois suffisait largement.
Mais une fois toutes les deux semaines… Cela signifiait que la lignée de Yoon Chi-young était particulièrement dominante.
Ce type… Est-il vraiment juste une bête ?
Ce pourrait-il que les rumeurs de cannibalisme soient vraies ?
Tandis que Heeseong se perdait dans ses pensées, Yoon Chi-young, visiblement épuisé, raccompagna le médecin à la porte.
Dès qu’il fut parti, il ouvrit grand les fenêtres. Heeseong remarqua qu’il avait toujours ce réflexe après une visite, comme s’il ne supportait pas certaines odeurs. Son odorat devait être particulièrement sensible. Il n’aimait même pas l’odeur de ses propres cigarettes, se lavant systématiquement les mains après en avoir fumé une et gardant toujours des bonbons à la menthe sur lui.
« … Pff. »
De retour dans la chambre, Yoon Chi-young s’allongea sur le lit, serrant machinalement le chiot contre lui.
Perché sur l’oreiller, Heeseong l’observa du coin de l’œil, songeant une fois de plus à la meilleure façon de gérer ce loup cannibale.
Mais aujourd’hui, quelque chose clochait.
… Est-ce qu’il est malade ?
Sa respiration était lourde, et bientôt, des oreilles de loup noires apparurent, accompagnées d’une petite queue frémissante. Intrigué, Heeseong posa une patte sur sa joue brûlante.
Idiot.
Son corps était en train de lutter. Il aurait dû gérer ses phéromones depuis longtemps, mais il s’obstinait à rester sous forme humaine. Peut-être pour ne pas l’effrayer ? Heeseong aperçut ses canines proéminentes et, instinctivement, enroula sa queue autour de lui.
Aujourd’hui, je ferais mieux de ne pas le chercher.
Heeseong était malin. Il avait grandi dans une maison de jeux et avait appris à lire les signes. Tout le monde savait qu’un homme-bête submergé par ses phéromones pouvait devenir plus agressif, voire sexuellement instable. Il valait mieux éviter de le provoquer.
C’était un fait bien connu…
Soudain, un souvenir lui revint.
« Ah, les loups sont moins actifs en hiver. On perd pas mal d’argent à cette saison. »
« Pourquoi ? Ils hibernent ou quoi ? »
« Non. »
Son frère avait ricané, moqueur.
« Les loups entrent en rut quand il fait froid. Dans la nature, c’est pour que leurs petits naissent au printemps. »
Un frisson parcourut le dos de Heeseong.
Nous étions en novembre. Le froid s’installait peu à peu.
Il savait que les loups, monogames par nature, passaient généralement cette période avec des médicaments ou en évitant tout contact jusqu’à trouver un partenaire.
Ce qui voulait dire que Yoon Chi-young approchait dangereusement de sa saison des amours.
Un loup cannibale en rut.
Heeseong sentit son cœur se serrer.
… Et en plus, son sang de loup est particulièrement fort.
Il descendit prudemment de l’oreiller et s’avança vers le torse solide de Yoon Chi-young. Ses jambes longues et musclées se détachaient nettement sous le tissu.
Et puis… Il vit ça.
Une énorme bosse sous ses vêtements.
Heeseong pria pour que ce soit juste une queue.
Mais au vu de la taille…
Un frisson incontrôlable lui parcourut l’échine.
Dormir à côté d’un loup à la veille de sa saison des amours.
S’il perd le contrôle, c’est moi qu’il attaquera en premier.
Après tout, il était aussi un chiot mâle. Être aussi proche risquait de réveiller son instinct territorial.
Heeseong oublia aussitôt ses lamentations sur sa guérison rapide. Il n’avait plus qu’une seule priorité : faire semblant d’être un chiot et s’enfuir au plus vite.
À cet instant, Yoon Chi-young, toujours allongé, le souleva et le rapprocha de son visage.
« … Chiot… »
Lâche-moi !
Pris de panique, Heeseong se débattit, mais c’était peine perdue face à ces grandes mains.
Yoon Chi-young le fixa d’un regard embrumé, ses pupilles à peine visibles. Puis, dans un geste paresseux, il frotta doucement son nez contre le ventre du chiot.
« Je ne pense pas que je vais te manger. »
Dis-le avec un peu plus de conviction !
Indigné, Heeseong agita ses petites pattes dans le vide, mais son geste était dérisoire. Ce qui le déstabilisa encore plus, c’était l’étrange sérieux de Yoon Chi-young. Troublé, le chiot finit par cesser de se débattre et pencha la tête, perplexe.
« Non, attends… »
Dans la pénombre tamisée, les traits marqués de Yoon Chi-young se dessinaient sous des ombres profondes. Ses yeux gris reflétaient une lueur indéchiffrable, et pendant un instant, Heeseong ressentit un frisson d’appréhension.
Voyant le chiot se figer, Yoon Chi-young esquissa un léger sourire.
« Quoi qu’il arrive, je ne te mangerai pas. Vraiment. »
Quoi… ?
Sans lui laisser le temps de réagir, Yoon Chi-young le ramena contre sa poitrine. Enfoncé dans cette étreinte brûlante, Heeseong sentit le battement régulier de son cœur, la chaleur apaisante de son corps.
Toujours méfiant, il leva les yeux vers lui.
Est-ce qu’il a compris que je suis un homme-bête ?
Impossible. S’il le savait, pourquoi le traiter comme un simple chiot ? Ce serait insensé.
Ou bien… Est-ce qu’il s’est déjà autant attaché à moi ?
Troublé, Heeseong resta éveillé longtemps après que Yoon Chi-young se soit assoupi, cherchant désespérément à percer le mystère de ses intentions. Mais sous cette forme, il n’y avait rien qu’il puisse faire.
Finalement, la fatigue eut raison de lui. Dans un dernier mouvement inconscient, il se roula en boule sur le visage de Yoon Chi-young, tel un masque de sommeil improvisé, espérant au moins passer une nuit paisible.
Et, à défaut de réponses, il trouva un maigre réconfort dans la promesse que, quoi qu’il arrive… Yoon Chi-young ne le mangerait pas.
11. Chiot pendant une journée ⋄ Partie 05
Dix jours s’étaient écoulés depuis que Yoon Chi-young avait pris Heeseong sous son aile.
Désormais, chaque matin, il le toilettait soigneusement avant de l’emmener avec lui au travail. Son emploi du temps, en tant que gangster, était suffisamment souple pour qu’il puisse dorloter son chiot tout au long de la journée. Perché dans ses bras comme un accessoire luxueux, Heeseong se laissait choyer, bien malgré lui.
Durant cette période, une chose était devenue évidente pour Heeseong : Yoon Chi-young ne ressemblait en rien à l’image qu’il se faisait d’un chef de gang.
Parce que, franchement… Quel genre de patron passe son temps à parler à un chien qui ne peut même pas lui répondre ?
« Tu sais quel est mon type idéal, chiot ? »
Je m’en fiche. Je n’ai vraiment pas envie de savoir.
Sur le chemin du travail, installé dans la voiture, Yoon Chi-young se lançait dans ses bavardages habituels. Installé sur ses genoux, Heeseong l’ignorait royalement, absorbé par un film d’action diffusé sur un smartphone.
Loin d’être découragé par cette indifférence, Yoon Chi-young continua sur sa lancée, un sourire au coin des lèvres.
« Quelqu’un qui… Me procure toujours une excitation palpitante. »
J’ai dit que ça ne m’intéresse pas !
Agacé, Heeseong, sans quitter l’écran des yeux, mordit soudainement les doigts de Yoon Chi-young comme un prédateur. Mais peu importait la force de ses morsures ou l’intensité de ses caprices, l’homme se contentait de rire, manifestement amusé.
Après cette petite crise, Heeseong retourna à son film, tandis que Yoon Chi-young caressait doucement sa petite tête ronde, grosse comme une pomme de terre.
« Quand je vois quelqu’un à la fois mignon et sexy… Ah, tu connais cette sensation où un simple contact visuel suffit à te faire perdre le contrôle ? »
Ce type est irrécupérable.
Heeseong n’accordait généralement pas d’intérêt aux paroles des autres, et encore moins à celles de Yoon Chi-young, qu’il considérait uniquement comme un obstacle à son évasion.
Et pour être honnête, cet homme débitait souvent des absurdités.
« La première chose que j’ai ressentie en le voyant, c’était l’envie de le sucer. »
Putain !
Ferme-la !
Irrité, le chiot s’écroula sur le sol en agitant furieusement ses petites pattes. Mordre Yoon Chi-young ne servait à rien, alors il n’avait pas d’autre choix que de manifester son mécontentement de cette manière.
Finalement, lassé de ces trajets interminables pour le travail, Heeseong décida d’abandonner – pour l’instant – ses projets d’évasion et d’explorer une autre stratégie.
Noona, emmène-moi avec toi.
Les yeux brillants, il remua sa petite queue en direction de la femme assise sur le canapé, un membre du clan des loups. Se blottir contre Yoon Chi-young était humiliant, mais c’était une toute autre histoire lorsqu’il s’agissait d’une femme.
« Qu’est-ce qu’il a, ce chiot ? »
D’un geste nonchalant, Yoon Geon-young souleva la boule de poils d’une seule main avant de rire légèrement.
Elle était la sœur de Yoon Chi-young, et si leur ressemblance était indéniable, leur aura, en revanche, différait totalement. Issue elle aussi du clan des loups, elle dégageait une élégance raffinée et une acuité* rappelant celle d’un félin.
(N/T : « Acuité » signifie ici une perception aiguisée et une grande intelligence, donnant à la soeur une attitude affûtée et presque prédatrice.)
Ses longs cheveux noirs, soyeux et impeccablement coiffés, lui donnaient un air incroyablement séduisant et sophistiqué. En réponse, Heeseong se mit à battre frénétiquement de la queue, affichant son charme le plus irrésistible. Il sentit le regard amusé de Yoon Chi-young depuis le canapé d’en face, mais il s’en fichait éperdument.
Sa sœur doit être plus forte que lui, non ?
Dans ce cas, elle devrait pouvoir facilement lui prendre son chiot. Fort de cette logique, Heeseong redoubla d’efforts pour la séduire, sa queue frétillant avec enthousiasme.
C’est alors que Yoon Chi-young sortit une cigarette et murmura d’une voix basse :
« Maintenant, tu dragues carrément. »
« Je vois, donc c’est vrai que tu as un faible pour les bâtards*. »
(N/T : Dans ce contexte, « bâtards » fait référence à des chiens qui ne sont pas de race pure, ce qui rend la phrase moins péjorative qu’elle ne le serait dans un contexte humain.)
Avec un rictus moqueur, Yoon Geon-young reposa le chiot sur le sol.
La supériorité des sangs purs… Toujours aussi agaçante. Mais au moins, elle, elle est plus supportable que Yoon Chi-young.
Décidé à poursuivre son plan, Heeseong se roula sur le dos, usant de tous ses charmes. C’est alors qu’il remarqua un homme assis aux côtés de Yoon Geon-young.
Pourquoi il tremble comme ça en regardant Yoon Chi-young ?
Le blond, manifestement un autre membre du clan des loups, semblait tétanisé, incapable de soutenir le regard de Yoon Chi-young.
Pourtant, aux yeux du chiot, l’aura intimidante du gangster avait perdu de son efficacité, éclipsée par son obsession insupportable pour les câlins et les baisers.
Alors que Yoon Chi-young allumait tranquillement sa cigarette, il prit une bouffée et laissa échapper une volute de fumée avant de dire :
« Tu n’es pas venue juste pour me voir, pas vrai ? Tu veux impressionner ton mec, c’est ça ? »
À ces mots, le blond resserra sa prise sur la main de Yoon Geon-young, les dents crispées. Il avait l’air si fragile que Heeseong ressentit presque l’envie de le réconforter, comme pour lui dire de ne pas s’inquiéter.
« Yoon Chi-young. »
La voix de Yoon Geon-young se fit plus sèche, empreinte d’une sévérité tranchante.
« Père est mort. Évite les clubs et autres lieux de divertissement. »
« Sérieux, tu t’es déplacée jusqu’ici juste pour me dire ça ? »
« Je te conseille en tant que futur chef. Beaucoup d’yeux sont braqués sur toi. Comporte-toi avec un minimum de décence. »
« Ah… Donc c’était juste une leçon de morale. »
Yoon Chi-young exhala tranquillement la fumée et rit, agitant nonchalamment les orteils de ses jambes croisées. Même la mention de son futur rôle de leader ne semblait pas l’inquiéter le moins du monde. Au lieu de ça, il répondit avec un ricanement :
« Ça fait une semaine que je ne suis pas allé dans une maison de jeux… Tu es vraiment à côté de la plaque. »
« Maintenir la décence signifie aussi te débarrasser de ce bâtard. »
C’est dur, venant d’une sœur…
Se sentant offensé, le chiot abandonna l’idée de jouer les adorables créatures et se redressa brusquement. C’était comme si on venait de lui rappeler la fierté du clan des loups qu’il avait oubliée.
Il observa tour à tour les deux frères et sœurs, son expression soudainement sérieuse. L’atmosphère était lourde, presque menaçante, comme s’ils se faisaient face en ennemis. C’était la première fois que Heeseong voyait Yoon Chi-young afficher une hostilité aussi évidente.
« Tu m’élèves comme un chien de combat, et maintenant tu parles de décence ? »
Chien de combat ? Qu’est-ce que ça veut dire ?
Alors que Heeseong restait perplexe, Yoon Chi-young, dans un rire léger, fit tomber la cendre de sa cigarette qui pendait du bout de ses longs doigts avant de demander d’un ton narquois :
« C’est bien pour toi de jouer avec l’homme que ton frère fréquentait ? »
D’un regard acéré, il désigna l’homme blond du clan des loups. Celui-ci, visiblement terrifié, ne parvenait pas à masquer ses émotions, laissant échapper ses oreilles de loup jaunes sous le coup du stress.
Yoon Geon-young toisa son frère avec mépris avant de murmurer d’une voix glaciale :
« Tu avais probablement l’intention de le dévorer. »
Ses mots étaient prononcés avec une désinvolture tranchante, comme si elle ne s’adressait pas à un frère, mais à un simple adversaire. La froideur dans son regard fit frissonner Heeseong.
… Pourquoi regarde-t-elle son propre frère avec un tel dédain ?
Le frère de Heeseong, bien que sans lien de sang avec lui, accordait une grande importance à la loyauté. Jamais il ne traiterait un membre de sa famille avec autant d’hostilité. Pourtant, Heeseong avait toujours entendu dire que les loups possédaient un puissant esprit de meute, à l’image des chiens… Mais ceux qui se tenaient devant lui, ces loups de sang pur, semblaient prêts à s’entre-déchirer à tout moment.
Après une confrontation silencieuse mais pesante, Yoon Geon-young finit par se lever. Yoon Chi-young, lui, continua de fumer avec élégance, sans chercher à la retenir. Il se contenta de lui adresser un avertissement voilé, son sourire à peine esquissé.
« Mes félicitations pour être la prochaine cheffe, sœurette. »
« … »
« J’espère juste de ne pas avoir à te tuer. »
Yoon Geon-young ne répondit pas. L’hostilité entre eux était palpable, comme une menace suspendue dans l’air.
Au même moment, l’homme blond tenta de redresser son manteau, sur lequel Heeseong était assis. Distrait, le chiot se laissa déplacer sans opposer de résistance, tandis que l’homme ajustait sa posture.
C’est alors que les yeux noirs de Heeseong s’écarquillèrent.
Oh…
La main droite que l’homme blond dissimulait sous sa manche se révéla lorsqu’il déplaça maladroitement le chiot. La peau du dos de sa main était en lambeaux, comme si elle avait été déchiquetée par une bête sauvage.
De l’autre côté, Yoon Chi-young, qui observait la scène, éclata de rire.
« Elle te sert bien, cette main, maintenant ? »
« … »
À ces mots, le visage du blond devint livide, et il quitta précipitamment les lieux.
Le chiot le regarda s’éloigner, interloqué.
Est-ce qu’il a vraiment… Mordu l’homme avec qui il sortait ?
Même après leur départ, Heeseong resta fixé sur Yoon Chi-young.
Soudain, sa présence lui parut à nouveau étrangère.
Heeseong réfléchit profondément, même après être rentré du travail.
Pourquoi s’attaque-t-il aux siens ?
D’après ce qu’Heeseong avait observé jusqu’à présent, Yoon Chi-young avait agi avec brutalité, mais n’avait jamais semblé avoir l’intention de dévorer des hommes-bêtes. Bien sûr, il pouvait y avoir un autre côté à sa personnalité… Cependant, Heeseong, avec son intuition aiguë et son odorat sensible, ne croyait pas que Yoon Chi-young, le gourmet, se permettrait de goûter des créatures crues.
« Je ne savais pas que mon toutou avait un faible pour les femmes… »
Et dire qu’il bouderait pour de telles choses, sans parler d’être un cannibale.
Le chiot, allongé dans le lit avec Yoon Chi-young, soupira, agacé par cette pensée.
S’appuyant sur son bras, Yoon Chi-young joua avec la queue du chiot de façon un peu enfantine et demanda :
« Tu ne m’as jamais montré d’affection, pas vrai ? »
Et alors ?
« Je comptais t’acheter des crevettes demain… »
À ces mots, le chiot réagit enfin. Il jeta un regard distrait à Yoon Chi-young et agita paresseusement sa queue, une sorte de supplique pour la friandise.
Ravi de recevoir ne serait-ce qu’un léger signe d’intérêt, Yoon Chi-young esquissa un sourire malicieux avant d’approcher son visage de celui du chiot. Heeseong détourna la tête, anticipant déjà les remarques inutiles de Yoon Chi-young.
« Tu t’es déjà accouplé, chiot ? »
Il avait vu juste. Heeseong aurait bien voulu maudire l’absurdité de poser une telle question à un chiot, comme s’il allait répondre. Mais tout ce qu’il parvint à exprimer fut un regard empreint de dédain et de frustration envers Yoon Chi-young.
Ce dernier, imperturbable, insista.
« Ah… Tu ne l’as pas encore fait, pas vrai ? »
Qu’est-ce que ça peut te faire ? !
Irrité, le chiot repoussa brusquement le visage de Yoon Chi-young avec ses pattes avant. Grattant la peau de Yoon Chi-young avec ses petites griffes, ce dernier éclata de rire, comme s’il avait enfin compris, et cessa de caresser la queue du chiot.
« Ta réaction en dit long, tu ne l’as vraiment pas fait. »
Merde…
C’était précisément pour cette raison qu’Heeseong détestait converser avec cet homme : cela le laissait toujours exaspéré.
Il n’avait jamais eu de relations sexuelles. Trop jeune et bien trop occupé à travailler sous les ordres de son frère, il n’avait jamais vraiment eu le temps d’y penser. De plus, dans la société des hommes-bêtes, les femelles préféraient les mâles forts et imposants, ce qui excluait naturellement Heeseong de la compétition, avec son apparence pâle et délicate.
Cependant, il n’était pas pour autant impopulaire. Bien qu’il ressemble à un chien, il jouissait d’une certaine popularité auprès des hommes. À la maison de jeux où il travaillait, certains clients demandaient spécifiquement après lui, lui glissant de l’argent, déboutonnant leur ceinture, ou allant jusqu’à lui pincer furtivement les fesses en passant.
Bien sûr, Heeseong ne laissait jamais passer ce genre de choses.
À chaque fois qu’il entendait son frère hurler : « Heeseong, petit vaurien ! », le coup était déjà parti.
Même s’il avait l’apparence d’un petit chien de compagnie, Heeseong avait grandi parmi des éleveurs de chiens de combat liés au crime organisé. Autant dire que personne n’osait l’embêter sans en subir les conséquences.
Est-ce pour cela que je suis sensible au contact physique ?
Heeseong réalisa quelque chose de nouveau à propos de lui-même.
Les harcèlements qu’il avait subis dans la maison de jeux l’avaient rendu particulièrement sensible au toucher. Sans y réfléchir, il s’était emporté contre Yoon Chi-young, qui l’avait mordu.
« C’est un soulagement. »
C’est alors que la voix douce de Yoon Chi-young se fit entendre. Levant les yeux, Heeseong croisa son regard alors qu’il caressait doucement le cou du chiot avec un doigt.
« Cela aurait été légèrement décevant si j’étais le seul inexpérimenté. »
…
Tu… ?
Le doute devait être évident dans les yeux sombres du chiot, car Heeseong inclina involontairement la tête—un geste que Yoon Chi-young trouva adorable. Ce dernier esquissa un large sourire, les coins de sa bouche se relevant avant qu’il n’enlace le chiot.
Pris au dépourvu dans cette étreinte soudaine, Heeseong écarquilla les yeux, incrédule.
Que devenait donc cet homme raffiné de la tribu des loups, celui qui s’était fait mordre au bras ?
D’autant plus que cet homme semblait craindre Yoon Chi-young. Il était si bouleversé qu’il ne parvenait même plus à contrôler ses émotions, laissant transparaître ses oreilles et sa queue, incapable d’établir un véritable contact visuel.
Serait-ce possible… ? Est-ce qu’il essaie de me séduire pour m’attirer dans son lit ?
C’était plausible. Yoon Chi-young avait un visage séduisant, une stature imposante pour un homme, et un charme indéniable.
De plus, les rumeurs ne naissent jamais de rien. D’après l’expérience de Heeseong à la maison de jeux, celles qui semblaient les plus probables étaient souvent fausses, tandis que celles qui paraissaient absurdes se révélaient, bien souvent, être la vérité.
Donc, les rumeurs sur le loup cannibale pourraient être vraies.
Étrangement pourtant, Heeseong ne ressentait plus aucune peur envers Yoon Chi-young.
Le fixant droit dans les yeux, il osa même poser effrontément sa joue contre son torse.
… Non, il a dit qu’il ne me mangerait pas.
L’espace d’un instant, il se surprit à se voir comme un simple petit chien hors de danger… Mais puisqu’il savait que Yoon Chi-young n’était pas un menteur, il se sentit aussitôt rassuré.
Et à bien y réfléchir, un loup cannibale valait peut-être mieux qu’une sœur qui méprisait sa propre famille par pur élitisme.
Si Heeseong avait eu une véritable famille, jamais il ne l’aurait traitée avec dédain.
12. Chiot pendant une journée ⋄ Partie 06
Heeseong ne pouvait même pas rêver de s’échapper, condamné à passer 24 heures sur 24 avec le loup cannibale. Pourtant, il n’abandonnait pas et préparait son évasion avec une minutie quasi obsessionnelle.
Cette maison est d’une taille indécente…
Durant son séjour, le chiot avait soigneusement mémorisé la disposition des lieux. La maison de Yoon Chi-young comptait cinq pièces, et la terrasse était aussi grand que le salon. Une fois, il s’était même retrouvé coincé dans la buanderie… Une humiliation absolue. Il avait dû aboyer pour appeler Yoon Chi-young à l’aide. Malgré sa patte boiteuse, il explorait sans relâche, traquant les meilleures cachettes et les voies d’évasion les plus sûres.
Le problème, c’est que le salon est plus éloigné de la chambre que je ne le pensais…
Chaque jour, Heeseong s’installait sur le tapis du salon et répétait mentalement son plan d’évasion. La distance entre le salon et la chambre était un désavantage certain pour un petit chiot qui devait s’enfuir discrètement. Cependant, il avait un atout : le salon était suffisamment éloigné pour que les bruits ne se propagent pas jusqu’à la chambre. De plus, Yoon Chi-young avalait chaque soir un mystérieux médicament avant de s’effondrer dans un sommeil profond—le moment idéal pour s’éclipser.
Mais parfois, en observant cette immense maison sombre et luxueusement décorée, Heeseong ressentait un étrange sentiment de vide.
Pourquoi ce type vit-il dans un endroit aussi inutilement grand alors qu’il est seul ?
Cette maison était bien trop grande… Et Yoon Chi-young, toujours seul. Parfois, le chiot se surprenait à penser qu’il avait l’air terriblement isolé dans cet espace silencieux. Sans lui, sans ses petites pattes fouinant un peu partout, la maison serait d’un calme mortel.
Heeseong jeta un coup d’œil à Yoon Chi-young, installé sur le canapé. Lorsque leurs regards se croisèrent, l’homme lui adressa un sourire doux. Aussitôt, Heeseong détourna la tête.
À quoi bon s’apitoyer sur son sort ? Il allait s’enfuir de toute façon.
Une fois la voie d’évasion trouvée, il se mit en quête de fonds pour financer son départ.
Yoon Chi-young avait la fâcheuse habitude de poser des liasses d’argent sur la table basse du salon tout en écoutant les rapports des membres de son organisation.
« Qui a contacté ce raton-laveur Soo-in ? Il doit y avoir plus que cet argent derrière tout ça… »
À chaque réunion, Heeseong recueillait des informations précieuses. Et parfois, il parvenait à subtiliser quelques billets de 50 000 won emportés par un courant d’air lorsque la fenêtre restait accidentellement ouverte.
Swoosh.
Tapie sous le canapé sombre, la petite ombre du chiot opérait discrètement. Il observait du coin de l’œil la clavicule inutilement parfaite de Yoon Chi-young, et dès qu’un billet tombait, il le ramassait avec une précision experte. Quand l’argent atterrissait juste devant lui, il tendait sa patte blanche et l’attrapait avec la délicatesse d’un voleur chevronné.
Franchement, n’est pas mieux que de trimer dans un casino ?
Il cachait son butin dans une cavité creusée sous le canapé, un petit coffre-fort que lui seul pouvait repérer. Rapidement, l’espace se remplit de billets froissés.
Certes, ce n’était qu’une infime poussière dans la fortune d’un homme riche, mais à bien y réfléchir, Heeseong gagnait plus ainsi qu’en travaillant au casino. L’idée lui laissa un goût amer, mais puisqu’il avait déjà mis le pied dans l’engrenage, autant pousser le vice plus loin. Après tout, il lui faudrait bien un peu d’argent pour compenser les drogues qu’il avait perdues avant de retourner au casino.
L’opportunité tomba du ciel.
Bam.
Avec un bruit sourd, une liasse de billets tomba juste devant le canapé. Les yeux noirs du chiot, qui guettait la moindre opportunité, s’illuminèrent face à l’argent étalé sous ses yeux.
Aussitôt, aveuglé par la tentation, Heeseong bondit hors de sa cachette et attrapa la liasse dans sa gueule. Son petit corps peinait à se mouvoir avec autant d’argent, mais l’idée de pouvoir vivre tranquillement pendant plusieurs mois lui donnait des ailes.
« … »
Mais à peine s’était-il retourné qu’il croisa le regard de Yoon Chi-young, qui arborait un large sourire amusé.
Pris de court, Heeseong écarquilla les yeux, relâchant immédiatement l’argent qu’il tenait entre ses crocs. Yoon Chi-young, lui, gardait la main levée, comme s’il avait volontairement laissé tomber la liasse. Voyant cela, le chiot, déconcerté, décida de jouer la comédie.
Wow, woof !
Faisant mine d’être un chien féroce, il se jeta sur le jouet en forme de serpent posé sur le tapis, mordillant frénétiquement le tissu. Il sentait les regards des membres de l’organisation des loups peser sur lui, mais, heureusement, l’attention se détourna vite de lui.
« Bon… Laissons ce raton-laveur tranquille pour l’instant. On l’attrapera à nouveau quand elle aura amassé un peu d’argent. »
Adossé au canapé, Yoon Chi-young prononça ces mots d’un ton désinvolte, comme s’il s’amusait. Heeseong ressentit un bref élan de compassion pour ce raton-laveur Soo-in, qu’il ne connaissait même pas, mais il n’oublia pas l’essentiel : il devait ramasser les miettes.
Profitant d’une brève ouverture, il se faufila sous le canapé, récupéra la liasse tombée au sol, puis la rangea soigneusement dans sa cachette secrète.
Ouf, c’était moins une.
Son cœur battait encore la chamade. Cette maison, toute en nuances sombres, faisait ressortir sa fourrure blanche, ce qui le rendait bien trop repérable. Il avait eu de la chance.
Je vais arrêter pour aujourd’hui.
Il savait que l’impatience menait à la perte. Au casino, il avait vu trop de clients tout perdre en voulant gagner plus. La clé, c’était la prudence. Alors, Heeseong se fit discret, attendant patiemment le bon moment pour agir.
Mais à peine était-il sorti de sous le canapé que Yoon Chi-young, après avoir congédié les membres de son organisation, le souleva chaleureusement dans ses bras.
« Tu est encore tout poussiéreux… On prend un bain ensemble ? »
… Merde.
Voler de l’argent était une chose, mais il y avait un prix à payer. Et ce prix, c’était ces bains humiliants qu’il devait endurer à chaque fois qu’il se couvrait de poussière.
Le visage crispé, il exprima tout son dégoût, mais cela ne changea rien à son sort. Il se retrouva rapidement assis dans un évier rempli d’eau tiède, transformé en baignoire de fortune. Un pansement étanche avait été appliqué avec soin sur sa patte blessée.
« Je devrais demander à la femme de ménage de nettoyer sous le canapé aussi. »
« … ? »
Les oreilles dressées, Heeseong tourna la tête vers Yoon Chi-young, un air paniqué sur le visage.
Il n’avait quand même pas découvert sa cachette, si ?
Si c’était le cas, il devait impérativement trouver une nouvelle planque pour son butin.
Sous son regard tendu, Yoon Chi-young esquissa un sourire subtil. Son geste, baissant la main sous ses épaules larges et bien dessinées, semblait particulièrement suspect.
« Non… On va juste prendre un bain ensemble. »
D’un mouvement fluide, Yoon Chi-young retira sa chemise de nuit.
Heeseong, pris de panique, détourna immédiatement la tête en poussant un cri.
Bien sûr, à force de vivre ensemble, il avait déjà vu Yoon Chi-young nu. Mais il y a voir et trop voir, c’était deux choses bien différentes.
Et là, c’était trop.
Merde… C’est énorme.
Le chiot fixa obstinément un coin du lavabo, refusant de regarder ailleurs.
La dernière fois, Yoon Chi-young avait plaisanté en disant que le sien était plus gros que celui d’un cerf d’eau. Heeseong avait cru que c’était un plaisanterie ridicule… Mais il commençait sérieusement à se poser des questions.
Le pire, c’était que sous cette forme de petit chiot, tout paraissait encore plus démesuré. Ce qui le rendait encore plus effrayant.
Après ça, Heeseong évita soigneusement de retourner sous le canapé.
Il ne voulait plus jamais revoir ça.
Mais plus que la gêne, un sentiment bien plus frustrant l’habitait : l’envie.
Le corps grand et sculpté de Yoon Chi-young contrastait cruellement avec sa propre silhouette frêle et délicate. Heeseong, qui avait toujours eu un complexe sur sa taille, ne pouvait s’empêcher de ressentir une profonde injustice.
Et, sans raison apparente, il se montra plus irritable que jamais envers Yoon Chi-young.
13. Chiot pendant une journée ⋄ Partie 07
Alors qu’Heeseong s’habituait peu à peu à faire la navette avec Yoon Chi-young, une opportunité inespérée se présenta enfin : il allait être seul pour la première fois.
« Euh… Non. J’arrive. »
D’un léger hochement de tête, Yoon Chi-young acquiesça à un murmure de son garde du corps. Puis, avec un soin inattendu, il déposa délicatement le chiot sur la chaise en cuir où il était assis.
« Attends-moi ici. Je reviens. »
Reviens tard.
Heeseong fixa Yoon Chi-young avec un regard faussement docile, tandis que ce dernier lui caressait distraitement la tête avant de quitter la pièce.
Dès que la porte se referma derrière lui, le chiot tendit l’oreille, écoutant attentivement le son des pas s’éloigner.
Bientôt, le bureau plongea dans un silence total.
Heeseong sentit une vague d’émotion monter.
C’est ma chance.
Enfin, il était libre de cet agaçant Yoon Chi-young. Cela faisait deux semaines qu’il était constamment sous sa surveillance. L’excitation se mêlait à la nervosité, mais il ne comptait pas laisser passer cette occasion.
Je dois juste me cacher quelque part.
Tout était déjà planifié. Une fois hors de vue, il se réfugierait dans un coin et attendrait la nuit pour fuir. Son seul avantage dans cette situation était sa petite taille : parfaite pour se faufiler et disparaître.
Je dois courir, même si mes pattes me lâchent.
Prenant une profonde inspiration, Heeseong se positionna soigneusement pour sauter de la chaise, ses pattes avant pendantes dans le vide. Ses pattes arrière, encore douloureuses, l’empêchaient de se déplacer normalement, mais il n’avait pas le choix.
Alors, sans hésiter, il sauta.
Sauf que…
Son corps resta suspendu en l’air.
Quelque chose n’allait pas.
Baissant les yeux, Heeseong réalisa qu’une large main venait d’attraper son ventre avec fermeté.
« C’est dangereux de sauter d’aussi haut. »
« … »
Avec une douceur presque ironique, Ji Young-bae le reposa sur la chaise.
Heeseong fulmina intérieurement.
Ji Young-bae… Ce membre de l’organisation qui avait le don d’interpréter ses réactions de travers, rendant Heeseong à la fois méfiant et exaspéré.
Ce n’est qu’à ce moment-là qu’il tourna la tête et aperçut ce qu’il n’avait pas pu voir jusqu’alors.
Derrière la chaise, haute comme une falaise à sa taille, se tenaient six membres adultes du clan des loups, tous affectés à sa surveillance.
Merde… Espèce de louveteau lâche.
Bien sûr que Yoon Chi-young était parti trop facilement…
Heeseong soupira, dégoûté. Son plan tombait à l’eau avant même d’avoir commencé.
Résigné, il abandonna toute tentative de fuite et se roula en boule sur la chaise, recroquevillé comme un bagel. Son esprit agité l’empêchait de se détendre, alors il se tassa encore plus sur lui-même.
Le règlement des jeux approche… Mon frère assumera-t-il aussi mes erreurs… ?
À mesure que le temps s’écoulait, son anxiété grandissait.
Physiquement, il était bien traité aux côtés de Yoon Chi-young. Mais son esprit, lui, était en perpétuelle tension.
Dans le Clan des Chiens, la loyauté était la valeur suprême. Leur devise était claire : Même si tu trahis ta famille, tu ne dois jamais trahir ta meute.
Et pour Heeseong, son frère—celui qui l’avait recueilli après son abandon—était celui envers qui il devait une dette éternelle.
Mon frère doit croire que je ne me suis pas enfui…
Mais si son retour tardait trop… Si son absence était perçue comme une trahison envers le Clan des Chiens… Alors il risquait d’être abandonné par sa meute aussi.
D’un regard inquiet, Heeseong observa l’horloge au loin.
S’il pouvait récupérer plus vite… S’il pouvait retrouver sa forme humaine… Il aurait une chance de s’échapper.
Mais pour l’instant, il était coincé dans ce corps de chiot fragile et misérable.
Et aujourd’hui plus que jamais, il haïssait cette faiblesse.
« Patron ! Ça fait longtemps. »
Lorsque Yoon Chi-young entra dans la salle de visite, Park Geon-tae se leva précipitamment pour le saluer. Vêtu d’un costume pour l’occasion, il s’était déplacé jusqu’au quartier général du Clan des Loups.
D’un simple hochement de tête, Yoon Chi-young répondit à la salutation avant de s’installer sur le canapé. Il ne prit même pas la peine d’inviter Park Geon-tae à s’asseoir, le laissant debout. D’un geste désinvolte, il jeta un coup d’œil à sa montre, affichant la même nonchalance qu’au casino.
« Il fallait vraiment que tu viennes jusqu’ici ? »
« Oui. J’avais quelque chose à vous dire… Vous êtes occupé ? »
« Très. »
Yoon Chi-young ne prit même pas la peine de dissimuler son agacement. Après tout, il avait un chiot qui l’attendait. Mais Park Geon-tae, ignorant cette raison, poursuivit en plaisantant sur son emploi du temps chargé, s’enquérant de la bonne marche de ses affaires. Puis, il aborda enfin le véritable sujet de sa visite.
« C’est au sujet de la marchandise que nous avons échangée la dernière fois… »
« Hm. La drogue ? »
« Oui… Oui, c’est ça. »
Pris au dépourvu par la franchise de Yoon Chi-young, Park Geon-tae hésita un instant. Lui qui savait si bien manipuler les mots, qui arborait toujours un air innocent en toutes circonstances, se retrouvait soudain à court d’arguments. C’était pour cette raison qu’il avait tant de mal à demander une faveur.
« Il semblerait que la personne chargée du transport, Kim Heeseong, se soit volatilisée avec la marchandise… »
« Ah… Ton benjamin ? »
« Oui. Donc… Si vous pouviez nous accorder un peu plus de temps pour régler le solde, le temps que nous le retrouvions… »
D’une voix hésitante, Park Geon-tae tentait de plaider sa cause. Il voulait faire comprendre que leur clan aussi était victime dans cette affaire et espérait obtenir un peu de clémence.
Yoon Chi-young lui adressa un sourire, mais ses yeux gris, eux, exprimaient un mépris glacial.
« Donc, si je résume la situation… Ton petit frère disparaît pile au moment où la marchandise s’évapore dans la nature, et par conséquent, tu viens me dire que vous n’êtes pas en mesure de payer le solde immédiatement ? »
« Ce n’est pas exactement ce que je voulais dire… Haha… »
Sous le regard perçant de Yoon Chi-young, Park Geon-tae se sentit exposé, comme mis à nu. L’homme en face de lui n’était pas seulement un VIP du casino ni un simple membre du Clan des Loups ; il détenait des sommes colossales d’argent sale et, surtout, il était totalement imprévisible. Difficile de lui plaire ou de le manipuler.
Intérieurement, Park Geon-tae maudit sa malchance, mais extérieurement, il s’efforça de conserver une attitude déconcertée, espérant ainsi gagner un peu de sympathie.
Mais contre toute attente, une question inattendue tomba.
« D’où vient ce benjamin ? »
« Oui. Kim Heeseong est… Hein ? »
Lorsqu’il releva les yeux, Park Geon-tae fut frappé par l’expression de Yoon Chi-young. Ce dernier semblait suspendu à sa réponse, comme si elle était la chose la plus fascinante du monde.
Troublé, Park Geon-tae sentit un frisson lui parcourir l’échine. Cet homme… Avait quelque chose d’effrayant. Mais il se força à répondre.
« Ça remonte à… Cinq ans, je crois ? On a trouvé un chiot vivant seul dans une maison abandonnée, dans une zone de réaménagement. »
« … Il a été abandonné par sa famille ? »
« Ce n’est pas certain, mais c’est probable. C’était un bidonville, après tout. Il était si maigre et faible qu’il était sur le point de mourir… Alors je suppose qu’on peut dire qu’il a été abandonné. »
« Ah… Je vois. »
Yoon Chi-young sembla affecté, comme s’il venait d’entendre un écho de sa propre histoire.
Park Geon-tae, qui connaissait bien les invités VIP du casino et leur psychologie, hocha la tête d’un air compatissant. Yoon Chi-young était plus sensible qu’il ne le laissait paraître. Il observait toujours les membres de l’organisation qui savaient bien parler, étudiant chacun de leurs mouvements.
Puis, sans transition, il lança une autre question.
« Alors, qu’est-ce qu’il aime ? »
« Hein ? »
« Qu’est-ce qu’il aime ? »
Le sourire de Yoon Chi-young s’affaissa légèrement. Ce n’était qu’un détail infime, à peine perceptible, mais Park Geon-tae, toujours alerte, le remarqua aussitôt et s’empressa de répondre.
« Eh bien… Ce que Heeseong aime, c’est… »
« Oui ? »
« Euh… Il n’est pas difficile… Il mange un peu de tout, je dirais… »
Un silence pesant s’installa.
Même tandis que Park Geon-tae hésitait, bafouillait, Yoon Chi-young ne le quittait pas des yeux. Son regard gris, froid et perçant, l’observait comme s’il assistait à un spectacle médiocre. Lorsqu’une chose est ennuyeuse, on détourne le regard. Mais quand elle est pitoyable, on reste pour voir jusqu’où elle ira avant de s’effondrer.
Puis, d’un ton neutre, Yoon Chi-young inclina légèrement la tête.
« Tu ne sais pas ? »
« Non, non ! Je sais ! » se corrigea précipitamment Park Geon-tae. « Il adorait les ramens. »
« Ah… Les ramens. »
Yoon Chi-young hocha lentement la tête, un sourire indéchiffrable flottant sur ses lèvres. Son regard dériva distraitement vers le canapé, là où, d’ordinaire, une certaine masse blanche et turbulente aurait dû se trouver.
« Et son anniversaire ? »
« C’était en été… Vers juillet, je crois. » Park Geon-tae marqua une pause, repensant à ce détail. « Il était du genre à toujours fêter mon anniversaire, même en retard. »
« Hm… Je vois. »
Malgré cette explication supplémentaire, Yoon Chi-young paraissait à peine intéressé. Son sourire s’était effacé, et il agita distraitement ses orteils, visiblement lassé. Puis il marmonna, presque pour lui-même :
« Cinq ans. Tu l’as eu pendant cinq ans… Sans savoir ce qu’il aime vraiment, ni même la date exacte de son anniversaire. Et maintenant, tu te fais poignarder dans le dos et tu n’as aucune idée d’où il est passé… »
« … Oui. »
Un frisson parcourut l’échine de Park Geon-tae. Il n’avait rien fait de mal, et pourtant, il avait l’étrange impression d’avoir commis une erreur.
Ce qui le perturbait encore plus, c’était l’impression d’être manipulé. Il était presque certain que Yoon Chi-young s’amusait à ses dépens. Et lorsqu’il vit ce dernier éclater soudainement de rire, comme s’il venait de penser à quelque chose de particulièrement divertissant, il en eut la confirmation.
Ce type avait un plan derrière la tête.
« D’accord, j’ai compris. »
Puis, sans la moindre hésitation, Yoon Chi-young se leva.
« Je m’en vais. Ne t’inquiète pas pour le paiement du solde tant que votre benjamin n’aura pas été retrouvé. »
« Vraiment ? Merci pour votre compréhension ! » s’exclama Park Geon-tae, soulagé. « La prochaine fois que vous passerez au casino, nous… »
« Mon bébé m’attend. »
Yoon Chi-young esquissa un sourire amusé et se détourna, mettant fin à la conversation sans la moindre hésitation.
Park Geon-tae le suivit, lui emboîtant le pas avec entrain.
« Oh, c’est donc pour ça qu’on ne vous voit plus au casino ? La prochaine fois, amenez votre compagnon avec vous. »
« Bien sûr. »
Impassible, Yoon Chi-young s’arrêta devant la porte. Les membres du Clan des Loups, postés en sentinelles, l’ouvrirent immédiatement. L’atmosphère était lourde, pesante, mais lui seul paraissait indifférent à cette tension.
Puis, soudain, il s’arrêta net.
« Ah. »
Comme s’il venait de se souvenir de quelque chose, il expira lentement et se tourna légèrement.
« Ton petit frère… Il aime l’anguille grillée, non ? »
Un sourire narquois étira ses lèvres.
Park Geon-tae eut un temps d’arrêt.
« Hein ? »
Mais avant qu’il ne puisse poser la moindre question, Yoon Chi-young avait déjà disparu dans le couloir.
Tout ce que Park Geon-tae aperçut avant qu’il ne disparaisse complètement fut l’ourlet de son long manteau noir qui ondulait à chacun de ses pas.
Même après son départ, Park Geon-tae resta figé sur place, troublé. Une sensation désagréable lui tordait les entrailles.
Il jura à voix basse.
« … C’est quoi ce bordel ? Ce foutu gamin… »
Les derniers mots de Yoon Chi-young résonnaient encore dans sa tête.
Peut-être que ce n’était rien. Juste une remarque en l’air.
Mais venant de lui… Non.
Park Geon-tae n’était pas rassuré.
Le visage fermé, il quitta rapidement le territoire du Clan des Loups.
Quelque chose clochait.
14. Chiot pendant une journée ⋄ Partie 08
Pourquoi t’es si en retard !
Aboya le chien dès que Yoon Chi-young franchit la porte.
Sous le regard perçant des six membres de l’organisation, Heeseong sentit son corps tout entier brûler. Chaque mouvement, aussi infime soit-il, était suivi par ces yeux de loups, rendant même le simple fait de remuer la queue laborieux.
À l’aboiement, Yoon Chi-young s’approcha tranquillement et souleva la boule de poils dans ses bras, le cajolant doucement.
« Tu m’as attendu ? »
Le chien détourna immédiatement la tête, montrant les dents. Une manière claire de dire : Ne me parle pas si c’est pour dire des bêtises.
Malgré tout, être entouré de six loups restait préférable à être seul avec Yoon Chi-young. Enfin… Normalement. Parce qu’en vérité, cette logique le dérangeait au plus haut point. Il ne voulait pas admettre qu’il avait attendu.
Comme s’il le comprenait, Yoon Chi-young berça Heeseong contre lui, le caressant avec une tendresse exagérée.
« C’est ma faute, d’accord ? Juste cette fois-ci, pardonne-moi. »
« … »
« Je te promets que je ne partirai plus jamais. »
Ne fais pas le mignon !
Si seulement il l’avait ignoré, ça serait passé. Il se serait calmé tout seul. Mais non, il fallait qu’il le provoque avec ce visage parfait et cet air faussement contrit. C’en était trop. Heeseong grogna et aboya furieusement, tentant d’attraper la main de Yoon Chi-young.
« Qu’est-ce que tu racontes ? Que je suis trop bien ? Que tu veux rentrer vite à la maison ? »
Tout en le caressant, Yoon Chi-young se tourna vers son subordonné canin, Ji Young-bae, avec un sourire amusé. Il continuait à laisser Heeseong mordiller sa main, visiblement ravi. Ji Young-bae, lui, resta fidèle à son rôle de traducteur.
« Hm… Non, monsieur. Il dit plutôt : ‘Espèce de salaud.’ »
« Il est trop mignon… »
Insensible aux insultes, Yoon Chi-young hocha la tête, satisfait.
« Très bien, rentrons vite. Juste toi et moi. »
Ji Young-bae ne comprenait que la moitié des paroles de Heeseong, mais il saisissait toujours parfaitement les insultes. Après tout, il n’y avait pas de dialecte dans les jurons.
C’était déjà un peu moins frustrant pour Heeseong. Le vrai problème, c’était que Yoon Chi-young, lui, ne semblait absolument pas affecté.
Fatigué, Heeseong abandonna la lutte et se tut lorsqu’ils montèrent à l’arrière de la voiture. Il n’avait même plus envie de voir son visage. Il enfouit donc la tête dans l’abdomen ferme de Yoon Chi-young et se concentra sur sa mission : l’ignorer.
Tout en lui caressant la tête – aussi ronde qu’une pomme de terre – Yoon Chi-young demanda soudain :
« Tu aimes les ramens ? »
Est-ce que j’aime ça ?
D’où sortait cette question ? Heeseong ne voyait même pas l’intérêt d’y répondre et resta immobile.
Il détestait les ramens. Il en avait trop mangé au casino. Rien ne valait un bon bol de riz chaud avec un filet de sauce soja.
Voyant qu’il ne réagissait pas, Yoon Chi-young posa une autre question, cette fois avec une douceur exagérée.
« Et l’anguille grillée ? »
Silence.
Il ne voulait pas répondre. Vraiment.
Mais sa queue, elle, décida autrement.
Au début, seul le bout trembla. Puis, malgré lui, elle se mit à remuer frénétiquement contre la cuisse de Yoon Chi-young.
Ce dernier éclata de rire devant cette réaction bien trop honnête et s’allongea tranquillement sur la banquette arrière, le chien toujours dans ses bras.
Heeseong, lui, aurait voulu disparaître.
… J’aime seulement l’anguille grillée. Juste l’anguille.
Il se le répéta intérieurement, obstiné, et tenta de plaquer sa queue contre lui avec sa patte avant.
Mais rien à faire.
Cette fichue queue remuait toujours, comme si elle appartenait à une autre créature.
15. Chiot pendant une journée ⋄ Partie 09
Ils rentrèrent à la maison, dont l’intérieur était entièrement noir. Un somptueux repas coréen les attendait déjà. Au centre de la table trônait une anguille grillée à la perfection, son arôme irrésistible emplissant la pièce.
L’estomac de Heeseong se tordit aussitôt sous l’effet de la faim, et il se mit à gémir devant la table, quémandant désespérément. Mais au lieu de lui donner ce qu’il voulait, Yoon Chi-young prit tout son temps. Il alla d’abord se laver les mains, s’installa tranquillement… Avant de poser finalement devant lui un bol de bouillie.
De la bouillie.
De la nourriture pour bébé.
« Je n’ai jamais nourri quelqu’un de toute ma vie », fit remarquer Yoon Chi-young en le regardant avec amusement.
Tu penses qu’un autre chef de gang ferait ça ?
Heeseong ne savait pas pourquoi il continuait à se parler à lui-même. Peut-être parce que cette situation était trop absurde. Et puis, Yoon Chi-young faisait de même. Il lui parlait avec une douceur troublante, comme si c’était la chose la plus naturelle au monde. Tout en épluchant soigneusement l’anguille de ses longs doigts, il reprit d’un ton léger :
« Chiot. Demain, je dois aller quelque part où je n’ai aucune envie d’aller… Ça te dis de venir avec moi ? »
Non.
Heeseong n’avait aucune envie de l’accompagner. Peu importait l’endroit, tout ce qu’il voulait, c’était s’éloigner de Yoon Chi-young. Trouver un moyen pour s’échapper, ou mieux encore, retrouver son apparence humaine.
Et surtout, il voulait un peu de répit. Yoon Chi-young était bien trop tactile. Il le touchait tellement qu’il en faisait des cauchemars où son corps était pétri comme une pâte à modeler. Un peu de solitude ne lui ferait pas de mal.
Mais il resta silencieux, les yeux fixés sur l’anguille fumante.
Yoon Chi-young, voyant son manque d’enthousiasme, prit un air faussement peiné.
« Tu ne veux pas ? Je ne peux aller nulle part sans toi… »
… Merde.
L’anguille se balançait devant ses yeux comme un piège diabolique.
Dans un dernier effort pour ne pas céder, Heeseong se dressa sur ses pattes arrière, tentant de s’éloigner de la tentation. Mais son regard restait irrémédiablement accroché à la viande juteuse, et sa résolution commença dangereusement à vaciller.
Le chiot lança un regard assassin à Yoon Chi-young. Mais plus encore que son sourire insupportablement charmant, c’était l’anguille qui captait toute son attention. La chair tendre et juteuse, encore fumante, était grillée à la perfection.
Au final, ce fut sa propre queue qui le trahit en premier.
Malgré toute sa résistance, Heeseong, dont la queue battait furieusement l’air, finit par céder et happa le morceau d’anguille avec résignation.
« Donc, tu viens avec moi ? » demanda Yoon Chi-young en souriant.
Comme si j’avais le choix. Tu m’aurais embarqué de toute façon.
Peu importe combien il râlait, Yoon Chi-young n’était pas du genre à négocier. Depuis trois semaines, il le traînait partout avec lui comme s’il était un accessoire indispensable.
« Demain, on va à la cérémonie d’investiture de ma sœur aînée. Elle devient chef de famille. »
L’ambiance était étrangement paisible. Tandis qu’il parlait, Yoon Chi-young continuait de découper soigneusement l’anguille, en mettant de côté les morceaux les plus tendres pour Heeseong.
« J’ai deux frères aînés, une sœur aînée et une petite sœur… »
Cinq loups dans la même meute ? Ça a l’air plus brutal qu’un conte de fées.
« Quand j’étais gamin, je voulais être chef de famille, moi aussi. »
Ouais, bien sûr.
Distrait, le chiot engloutit un autre morceau d’anguille. Mais dans son élan, il laissa tomber un bout sur le pantalon de Yoon Chi-young. Il s’attendait presque à une réprimande, mais au lieu de ça, Yoon Chi-young se contenta de l’empêcher de manger la nourriture tombée, essuya calmement la tâche et lui tendit un autre morceau, tout fraîchement épluché.
« Mais ce n’est pas quelque chose qui m’est accessible. »
… ?
L’amertume dans sa voix surprit le chiot.
Pourquoi ?
Il inclina légèrement la tête, curieux, mais n’obtint aucune réponse. Yoon Chi-young se contenta d’éplucher l’anguille avec soin avant de déposer un morceau dans l’assiette du chiot.
L’atmosphère s’était assombrie.
Gêné par cette soudaine mélancolie, Heeseong repoussa l’assiette du bout de la patte.
Il se plaint à moi, maintenant ?
Ce n’était pas un geste pour le réconforter. Il était simplement rassasié… Et il trouvait agaçant que l’homme qui le taquinait sans relâche soit, tout à coup, aussi apathique.
Ce fut seulement alors que Yoon Chi-young esquissa un sourire attendri. Il éclata d’un rire léger en voyant le chiot pousser l’assiette, puis mangea tranquillement l’anguille qu’il lui avait cédée. Dans la foulée, il tenta même de l’embrasser sur la joue, mais Heeseong se détourna avec une grimace dégoûtée.
Et pourtant… Il ne pouvait s’empêcher de s’inquiéter pour lui.
… Ce type n’a donc personne à qui parler ? Juste moi ?
Même Mal Su-in, ce qui s’apparentait le plus à un ami pour lui, lui avait brisé des os de ses propres mains. Et maintenant, il se contentait de discuter avec un chiot et de lui prodiguer de l’affection. Quant à sa famille… D’après ce qu’il avait vu, sa sœur le méprisait, et ses subordonnés le craignaient plus qu’ils ne l’admiraient.
Heeseong, lui, avait au moins quelques amis dans l’organisation. Il ressentit soudain un pincement au cœur pour Yoon Chi-young, qui semblait toujours seul.
Puis il frissonna.
Pourquoi est-ce que je ressens de la pitié pour ce type ?
Franchement, quel intérêt ? Il était immensément riche.
Le chiot plissa les yeux, reprenant aussitôt ses distances.
Il savait combien d’argent Yoon Chi-young était capable de perdre en une nuit au casino. Des sommes qui lui prendraient des années de travail à accumuler, jetées négligemment sur une table de jeu.
« Allez, prends encore une bouchée. »
D’un ton doux, Yoon Chi-young lui tendit un morceau de tteokgalbi* soigneusement découpé à la taille de l’ongle d’un bébé, avec quelques grains de riz collés dessus.
(N/T : côtelette courte marinée grillée. )
Le chiot le fixa un instant avant de saisir la bouchée et de l’engloutir. Puis son regard balaya la pièce.
L’immense table en marbre débordait de mets raffinés, un véritable festin.
Et pourtant… Ils n’étaient que deux.
… Pourtant, ce n’est pas quelque chose qui s’achète avec de l’argent.
Une pensée amère traversa l’esprit de Heeseong. Après un instant d’hésitation, il traversa la table et sauta directement sur les genoux de Yoon Chi-young. C’était la première fois qu’il allait vers lui de son propre chef. Yoon Chi-young le remarqua aussitôt. Délaissant son repas, il le serra doucement dans ses bras.
Soudain, une voix résonna dans la tête de Heeseong. Celle de son frère.
« Heeseong, idiot. Qu’est-ce que tu feras si tu es si faible face à l’affection ? Ce n’est pas parce que quelqu’un est gentil avec toi que c’est une bonne personne. »
Il savait qu’il avait raison.
Mais en voyant le visage heureux et lumineux de Yoon Chi-young, il ne put se résoudre à s’éloigner.
… Si mon frère me voyait comme ça, il me ferait encore la leçon…
Heeseong se sentit pathétique, mais il ne bougea pas. Il se contenta de rester là, niché dans les bras de Yoon Chi-young.
Celui-ci reprit tranquillement son repas, le chiot blotti contre lui.
Jusqu’à ce qu’une goutte de sauce vienne atterrir sur sa tête blanche.
Fronçant les sourcils, Heeseong dressa les oreilles, mécontent.
16. Chiot pendant une journée ⋄ Partie 10
L’événement organisé par le Clan des Loups était aussi élégant que grandiose. Il avait lieu dans un hôtel au plafond si haut que Heeseong n’en avait jamais vu de semblable auparavant. Là, le chiot à la tache de condiment sur la tête – la fameuse tache qui refusait de partir, même après l’avoir nettoyée un nombre incalculable de fois – s’accrocha à la main de Yoon Chi-young et observa les loups de race pure. Il y avait des joueurs de baseball et de football célèbres, des figures influentes de l’industrie et même des acteurs de cinéma.
Ce qui était étrange, c’était que tout le monde, sans exception, venait saluer Yoon Chi-young, au moins en apparence.
« Ça fait longtemps, Directeur. Comment allez-vous ? »
La réponse de Yoon Chi-young variait selon la personne. Naturellement, les réactions des loups changeaient à chaque fois.
S’il répondait : « J’ai été un peu occupé, grâce à vous. » Les loups pâlissaient et s’agitaient.
S’il disait : « Je suis le même qu’avant. » Ils le trouvaient toujours aussi difficile à gérer et souriaient maladroitement.
Il semblait que la seule façon de détendre l’atmosphère était de répondre : « Je m’ennuie un peu, ces derniers temps. » Dès que les loups entendaient cette phrase, leurs expressions s’éclairaient légèrement.
Est-ce qu’ils redoutent tous d’être remarqués par Yoon Chi-young ?
Après l’avoir observé interagir ainsi à maintes reprises, le chiot avait fini par comprendre le schéma. Tous trouvaient Yoon Chi-young difficile à gérer, voire intimidant, et dans le fond de leurs regards subsistait une pointe de mépris. En revanche, ce qui était plus troublant encore, c’était que lui ne semblait impressionné par personne, qu’ils soient âgés ou célèbres.
Peu à peu, la cérémonie d’investiture du nouveau leader commença.
Les loups de race pure prirent place avec des visages solennels, prêts pour l’événement. Les alentours, somptueusement décorés, brillaient sous les lumières, mais Heeseong percevait une tension subtile dans l’air. Peut-être était-ce à cause des phéromones qui s’échappaient faiblement des loups nerveux.
« Tu n’aimes pas l’odeur qu’il y a ici ? Reste un peu là-bas. »
Pour une raison quelconque, Yoon Chi-young semblait inquiet pour le chiot et demanda à Heeseong de l’emmener ailleurs. Son expression était empreinte de mécontentement. Heeseong, qui n’était pas particulièrement sensible aux phéromones, ne se souciait pas vraiment de l’endroit où il se trouvait, mais il finit par être confié à Ji Young-bae, un membre de l’organisation posté près du mur de la salle.
« Fais tous ce que le chiot veut. »
Ji Young-bae, qui avait lui aussi reçu l’ordre spécial, hocha la tête avec sérieux. Dès que Yoon Chi-young retourna à sa place, Heeseong murmura ce qu’il voulait.
Fais-moi sortir d’ici.
« Tu veux aller aux toilettes ? »
« … »
Le chiot abandonna aussitôt. Puisqu’ils ne se comprenaient qu’à moitié, discuter avec Ji Young-bae l’épuisait rapidement. Il préférait encore Yoon Chi-young, qui avait l’habitude de marmonner tout seul.
Fixant l’assemblée, Heeseong remarqua soudain quelque chose d’étrange.
Qu’est-ce que c’est ?
Les loups de race pure étaient assis autour de tables rondes, formant des groupes de trois à cinq.
Cependant, à la table de Yoon Chi-young, tout à l’avant, une seule personne siégeait avec grâce : lui.
Intrigué, Heeseong pointa Yoon Chi-young de sa patte et demanda à Ji Young-bae :
Est-ce qu’il est un paria ?
« Non. »
Oh, tu as compris ce que je viens de dire ?
Les yeux noirs du chiot brillèrent de surprise tandis qu’il levait la tête vers Ji Young-bae, dont le visage restait impassible et sérieux.
« Le Directeur n’est pas une pomme de terre, c’est un loup. »
Tu es vraiment ennuyant, toi aussi.
Frustré, Heeseong donna un coup de patte sur la main de Ji Young-bae avant d’abandonner la conversation.
Mais sa curiosité ne s’éteignit pas pour autant. Cette fois, il fit un effort pour rendre son langage corporel plus précis.
Pourquoi. Est-il. Seul ?
Heureusement, Ji Young-bae sembla comprendre.
« Ah. C’est un traitement spécial. Le Directeur est le gardien du clan, c’est pour ça. »
Gardien ?
Incapable de traduire ce mot avec des gestes, Heeseong inclina délibérément la tête, espérant que Ji Young-bae saisirait son incompréhension. Ce dernier hocha la tête avant d’expliquer :
« Le Clan des Loups valorise la pureté et la dignité. Il est donc strict sur les conflits internes et la trahison. »
C’est quoi ce truc…
« C’est pourquoi le clan a un gardien dédié, chargé de gérer directement les fauteurs de troubles et les traîtres. »
… Quoi ?
Le chiot resta figé, le regard vide. Dans ses yeux sombres se reflétait la silhouette imposante de Yoon Chi-young, assis seul à sa table.
Donc, le gardien… Est celui qui surveille les siens et les élimine de ses propres mains s’ils les trahissent ?
Cette pensée lui glaça le sang.
Il se rappela alors ce que Yoon Chi-young avait dit à Yoon Geon-young la dernière fois.
« Je ne veux pas que ma sœur meure. »
S’il réfléchissait au poids de ces mots… Cela signifiait sûrement que Yoon Chi-young avait déjà dû s’occuper lui-même d’un membre de sa famille.
« Mais ce n’est pas une position que n’importe qui peut occuper… »
Cependant, il ne semblait pas que Yoon Chi-young soit devenu gardien de son propre chef. Quelque chose clochait.
Le chiot agita à nouveau ses pattes avant et sa queue avec vigueur, cherchant à communiquer avec Ji Young-bae.
Qu’est-ce qui se passe après ?
Qui devient le gardien ?
Pourquoi lui ? Pourquoi est-il devenu ça ? !
Après plusieurs tentatives et quelques incompréhensions, Heeseong parvint enfin à obtenir une réponse satisfaisante.
« Ah… Le gardien a toujours été le plus fort, celui dont le sang de loup est le plus pur. Mais en contrepartie, il est séparé de sa famille dès l’enfance et soumis à un entraînement spécial. »
Si c’est lui le plus fort, pourquoi n’est-il pas le leader ?
Intrigué, Heeseong pointa du bout de la patte Yoon Geon-young, qui se tenait sur l’estrade. Il ne comprenait pas pourquoi le futur chef du clan n’était pas Yoon Chi-young, celui qui possédait la force la plus grande.
Ji Young-bae, comme s’il s’attendait à cette question, répondit d’une voix grave :
« Le Chef du Clan des Loups est choisi parmi les plus sages. »
… Ces fous.
Cela voulait donc dire que Yoon Chi-young avait été séparé de sa famille dès l’enfance et entraîné à gérer les conflits internes uniquement parce qu’il possédait le sang le plus pur ?
« … C’est pourquoi tous les membres du clan craignent le gardien. »
Et pourtant, malgré tout, ils le craignaient. Même s’il faisait partie de leur famille.
Heeseong fixa longuement le dos de Yoon Chi-young, une sensation étrange lui serrant la poitrine.
Quel genre de famille pouvait bien rejeter ainsi son propre enfant ?
Il n’arrivait pas à mettre le doigt sur ce qui l’agaçait autant, mais il sentait une colère sourde monter en lui. Au moins, les chasseurs qui l’avaient élevé ne l’avaient jamais isolé sous prétexte de le préparer à un rôle aussi cruel. Dans une meute soudée par la loyauté, une telle absurdité n’aurait même pas été envisageable.
Je veux aller vers lui.
« Hein ? »
Vers lui. Moi. Je vais.
Heeseong accompagna ses gestes d’un regard suppliant, ses yeux noirs brillant d’une détermination farouche. Mais Ji Young-bae hésita, jetant un regard incertain entre le chiot et Yoon Chi-young.
« Mais… »
Le chiot le fixa sévèrement, les yeux plissés, l’air de dire : Oserais-tu vraiment me refuser ça ?
Finalement, incapable de résister à cette supplication muette, Ji Young-bae céda et s’avança prudemment dans la salle solennelle. Après tout, il avait reçu un ordre clair : Fais tous ce que le chiot veut.
« Directeur. »
Ji Young-bae était le seul à parler et à bouger au milieu de la cérémonie d’investiture. Sous les regards silencieux des loups de race pure, il s’approcha prudemment et tendit le chiot furieux à Yoon Chi-young, qui tourna la tête avec une expression lasse.
« Le chiot a insisté pour pour venir vers vous, monsieur le directeur… »
« Ah… D’accord. Viens ici. »
Pour la première fois, Yoon Chi-young sourit. Il attrapa le chiot, qui affichait un air féroce, et le tint calmement dans ses bras. Quelques regards mécontents s’attardèrent sur eux, mais personne n’osa adresser le moindre reproche à Yoon Chi-young.
Avant de repartir, Ji Young-bae s’acquitta d’une dernière mission.
« Et le chiot a dit… Qu’il ne faillait pas se décourager. »
Gloups, kof kof !
Pris de court en buvant son vin, Yoon Chi-young s’étouffa violemment. Un filet de liquide rouge coula du coin de ses lèvres et vint tacher le dos blanc du chiot, laissant une marque écarlate, semblable à des pétales de rose dispersés sur la neige.
Hé, ça…
Heeseong, désormais aspergé de vin sans raison, fronça les sourcils avec colère. Il tourna la tête, regarda son dos taché, puis fixa Yoon Chi-young d’un air accusateur. Il était déjà agacé par l’odeur persistante du condiment qu’on avait laissé sur sa tête plus tôt, et voilà qu’il devait maintenant supporter celle du vin.
Mais Yoon Chi-young n’était pas en état de s’inquiéter du chiot mécontent. D’une main, il se couvrait le visage, secouant les épaules en tentant de réprimer un rire incontrôlable.
Tu renverses du vin sur mon dos et tu oses en rire ? !
Bien qu’il boude, le chiot ne bougea pas de ses bras jusqu’à la fin de l’événement. Lorsqu’il sentit les regards désagréables des membres du clan, il les fixa férocement, défiant chacun de son regard noir.
Après la cérémonie, Heeseong passa aussi à l’action.
Tu es un chiot aussi.
Toi aussi, merde !
Chaque fois qu’un loup de race pure s’approchait de Yoon Chi-young avec difficulté, Heeseong montrait les dents et tentait de mordre leurs mains. Les loups, visiblement irrités par cette boule de poils effrontée, semblaient prêts à le réduire en miettes. Mais dès qu’ils croisaient le regard glacial de Yoon Chi-young, ils battaient en retraite.
« Ha, notre chiot se débarrasse de tous les loups ennuyeux. »
Yoon Chi-young éclata de rire, un rire franc qui résonna dans la grande salle.
Son regard glissa vers un reflet sur le marbre poli. Il se vit, sous la lumière du grand lustre doré, en train de rire librement. À ses bras, le chiot, toujours boudeur, complétait la scène à la perfection.
C’était une image qu’il n’avait jamais vue lors d’un événement familial. Et un sentiment qu’il n’avait jamais ressenti auparavant.
17. Chiot pendant une journée ⋄ Partie 11
Le casino du Clan des Chiens ouvrait ses portes à la nuit tombée. Park Geon-tae, qui est arrivé tard dans la soirée, s’était assit dans son bureau, le visage fermé, perdu dans ses pensées.
« Ton petit frère aime l’anguille grillée. »
Yoon Chi-young avait bien dit ça la dernière fois. Une simple remarque, peut-être, mais Park Geon-tae ne pouvait pas l’ignorer.
Il n’y a aucun moyen que ce gamin ait mangé quelque chose d’aussi cher que de l’anguille.
Heeseong travaillait six jours et demi par semaine et dormait dès qu’il avait un jour de congé. Ce type préférait le sommeil à la nourriture, un véritable démon du repos. Son corps était faible, et en plus de ça, il ne gagnait pas grand-chose. Park Geon-tae s’occupait de gérer son salaire, alors il était certain qu’Heeseong n’avait pas d’argent à dépenser pour ce genre de plat.
C’est précisément pour cette raison que les paroles de Yoon Chi-young l’inquiétaient. Cela pourrait signifier que le Clan des Loups le cachait.
Si Gyeon Heeseong est en vie… Mon patron finira par découvrir que j’ai détourné l’argent.
Cette fois, Park Geon-tae avait volé la drogue fournie par le Clan des Loups pour son propre profit… Et il avait tout mis sur le dos d’Heeseong.
Les produits qu’Hyeon Heeseong avait récupérés ce jour-là valaient environ cent millions de wons*.
(N/T : Cela fait environ 69 000 en euro et 73 000 en dollar américain.)
Dans le casino, l’argent entrait et sortait sans que cela ne fasse grande différence. Mais pour Park Geon-tae, cette somme représentait bien plus qu’une simple transaction : il en avait personnellement besoin.
Je pensais que je commençais enfin à comprendre ce monde… Merde.
Dans sa jeunesse, il avait contracté une énorme dette en jouant au casino et avait fini par y travailler pour la rembourser. Après des années d’efforts acharnés, il était enfin parvenu à s’acquitter de ce fardeau et avait même grimpé jusqu’au poste de manager. Et juste au moment où il pensait pouvoir s’en sortir, un autre rêve était né.
Il avait rencontré une femme qu’il voulait épouser. Lui qui avait grandi seul, orphelin, aspirait à fonder une famille. Pour cela, il devait régler ses dettes une bonne fois pour toutes et quitter ce monde clandestin avant que cette femme ne découvre qui il était vraiment… Et ne prenne la fuite.
« Faisons ce dernier coup, et ensuite on s’en va. »
Ce qu’il avait dit à Heeseong, en réalité, il se le disait à lui-même.
Pourtant, il ne se sentait pas particulièrement coupable de l’avoir trahi.
J’ai recueilli ce gamin abandonné, je l’ai nourri, logé, l’ai souvent sorti du pétrin et l’ai élevé, merde.
Il avait utilisé les gains d’Heeseong pour payer ses propres dettes, mais il estimait que c’était son droit. Après tout, il avait pris soin de lui pendant cinq ans. Et il l’avait fait seul.
Sans remords, il avait planifié son coup avec audace. Les loups n’oseraient pas toucher au leader du clan Gyeon. Sur leur territoire, ils se contenteraient de garder Heeseong sous surveillance et de sortir la marchandise en contrebande.
En retardant le paiement final et en jouant la comédie du « frère désespéré à la recherche de son petit frère disparu », il s’attendait à ce que les loups, avec leur instinct territorial exacerbé, réagissent violemment à toute intrusion. Même le chef du Clan des Chiens finirait par maudire le plus jeune pour s’être enfui avec la marchandise et passerait à autre chose.
« Mais si… Si Yoon Chi-young gardait Heeseong en vie et l’emmenait avec lui… »
… Est-ce que ce louveteau cannibale est en train de me menacer ?
En tout cas, il pouvait être sérieusement en colère d’avoir vu son territoire souillé par une telle trahison.
« Mais enfin, il n’y a aucun moyen que ce psychopathe joue avec un chien, si ? »
Park Geon-tae n’imaginait pas une seule seconde que Yoon Chi-young puisse ressentir de l’affection pour Heeseong. S’il l’avait pris avec lui, c’était sûrement par pur caprice. Il jouerait avec lui un moment, puis le jetterait sans aucun état d’âme. De toute façon, Heeseong avait une personnalité de merde, ce n’était pas le genre de gars qui pouvait nouer une relation normale avec qui que ce soit.
Cependant, même si ce n’était pas une question de sentiments, la situation restait dangereuse. Si Yoon Chi-young décidait de garder Heeseong avec lui, son plan risquait de s’effondrer. Et si ça arrivait, il deviendrait la cible des loups-garous.
Park Geon-tae tenta alors d’obtenir des informations par ses contacts. Heureusement, il y avait un type complètement fou qui cherchait encore Heeseong.
« Merde, pourquoi tu me parles de Yoon Chi-young ? Amène-moi Heeseong ! »
Kwon Ki-hyuk.
Un bavard insupportable.
Il s’était récemment retrouvé avec son bras droit dans le plâtre et ne venait au casino que pour boire et crier après Heeseong. Chaque fois, ses yeux s’injectaient de sang, brûlant d’une rage démente, comme s’il poursuivait l’assassin de ses parents.
« Président Kwon. Je suis aussi très frustré… »
D’un ton mielleux, Park Geon-tae tenta de l’amadouer dans une pièce attenante au casino.
Après tout, Kwon Ki-hyuk était proche de Yoon Chi-young. En plus de ça, il cherchait Heeseong comme un fou. Si on lui soufflait un indice, il pourrait peut-être lâcher quelques informations en retour.
« En fait, cette fois, Heeseong a disparu sur le territoire des loups-garous. Mais on a beau le chercher, on ne trouve aucune trace de lui… »
« Heeseong… Sur le territoire de Yoon Chi-young ? »
« Oui. Un petit chien blanc. »
« … »
Les sourcils de Kwon Ki-hyuk se froncèrent, comme si quelque chose clochait. Il resta silencieux un instant, avala une nouvelle gorgée d’alcool, puis demanda d’une voix incertaine :
« Un adulte peut vraiment avoir la forme d’un chiot ? »
« Oui. Gyeon Heeseong était particulièrement petit. Son père était un chien Jindo*, mais j’ai entendu dire que sa mère était une Maltaise*… Minuscule. »
(N/T : Le jindo coréen est originaire de l’île coréenne de Jindo et ressemble au shiba japonais. Le Bichon Maltais est un chien de petit format, calme et très intelligent qui possède un tronc étroit et long, avec un long poil blanc et soyeux.)
Park Geon-tae révéla sans hésitation ce secret qu’il avait pourtant gardé toute sa vie. À ce stade, il n’avait plus le choix. Il devait lâcher quelques infos s’il voulait avancer.
Kwon Ki-hyuk éclata alors de rire.
« Cette histoire est putain d’hilarante… Passe-moi un stylo. »
Il attrapa un stylo et gribouilla quelque chose sur un bout de papier avec sa main gauche. Le dessin était… Douteux. Deux patates collées l’une à l’autre, avec des oreilles pliées par-dessus. Il tendit fièrement son œuvre à Park Geon-tae.
« Sa forme réelle est vraiment aussi petite que ça ? »
« … Oui. »
« Ha, merde. Alors c’est vrai. »
Kwon Ki-hyuk ricana, comme s’il n’avait jamais envisagé cette possibilité.
« Yoon Chi-young traîne récemment avec un chiot blanc. Un qui boite de la patte arrière. »
« … ! »
Un frisson parcourut Park Geon-tae.
Les types qu’il avait envoyés avaient bel et bien poignardé Gyeon Heeseong à la cuisse.
Ce chiot… C’était sûrement lui.
Il ignorait ce que Yoon Chi-young avait derrière la tête, mais une chose était sûre : son propre plan ne devait surtout pas être découvert.
« Patron. Si vous pouviez donner plus de détails, on pourrait… »
« Je vais te le dire. »
L’attitude de Kwon Ki-hyuk était des plus insupportables. Il s’étala nonchalamment sur son siège, affichant un sourire suffisant, et jeta le papier froissé d’un geste désinvolte.
« Quand tu retrouveras Gyeon Heeseong, tu devras me le vendre. »
« … »
« Je te donnerai tout, informations ou autre, si tu me le promets. »
Le regard de Park Geon-tae tomba sur le papier froissé. Même ainsi malmené, on pouvait encore distinguer le croquis grossier du chiot.
C’était un sujet inconfortable. Mais son frère bien-aimé ne valait pas sa propre vie.
Il voulait mettre un point final à cette histoire et s’en débarrasser au plus vite. Pourtant, malgré lui, une dernière hésitation le retint.
« Qu’as-tu l’intention de faire de Gyeon Heeseong ? »
« Pourquoi ? »
D’un air nonchalant, Kwon Ki-hyuk porta un morceau de nourriture à sa bouche, le mâcha lentement, puis inclina la tête.
Ses yeux rouges brillaient dans leurs orbites injectées de sang.
« Je vais jouer avec ce trou jusqu’à ce qu’il se déchire. Le prix change-t-il selon l’utilisation ? Combien tu veux ? »
« … Non. Nous te le remettrons dès que nous en aurons fini avec lui. »
Park Geon-tae avait besoin de son aide.
Obtenir des informations sur Yoon Chi-young était déjà une tâche ardue en soi. Et vu que ce bavard était aussi obsédé par Heeseong, autant en tirer profit.
Combien dois-je vendre Heeseong pour compenser mes pertes ?
Si Kwon Ki-hyuk voulait Heeseong à ce point, il serait sûrement prêt à y mettre le prix fort.
Cette nuit-là, en écoutant attentivement tout ce que Kwon Ki-hyuk avait à lui dire, Park Geon-tae réfléchit soigneusement.
Il devait comprendre ce que manigançait ce loup-garou rusé.
18. Chiot pendant une journée ⋄ Partie 12
Après l’incident avec le clan des loups-garous, Yoon Chi-young ne rentra pas immédiatement chez lui.
« Petit chiot, attends-moi un instant, d’accord ? »
Au lieu de cela, il confia le chiot à Ji Young-bae avant de disparaître précipitamment. Heeseong observa son dos s’éloigner, perplexe.
Est-ce qu’il me donne une chance de m’échapper ?
Sinon, pourquoi ce garçon, si avide de contacts physiques, agirait-il ainsi ? C’était étrange.
Dans la salle d’attente silencieuse, seuls trois membres de l’organisation restaient pour surveiller le chiot. C’était un soulagement : ils étaient six, la dernière fois. Somnolent, le chiot s’endormit et s’affaissa doucement dans la paume de Ji Young-bae. Ce dernier, avec des gestes délicats, le recouvrit soigneusement d’une couverture – qui était en réalité le mouchoir de Yoon Chi-young. C’était confortable.
Après un moment, le chiot se réveilla et se mit à toiletter ses pattes comme un chat. Il ouvrit rapidement les yeux, sans doute parce que l’endroit n’était pas aussi confortable qu’un lit.
Ça n’a même pas duré une heure, si ?
Curieux, il posa sa patte sur la montre de Ji Young-bae et constata qu’une heure s’était écoulée. Encore ensommeillé, il frotta sa tête – encore imprégnée d’assaisonnement – contre le mouchoir.
C’est alors que la porte s’ouvrit, laissant entrer une voix douce.
« Je suis là. Tu as attendu ? »
Yoon Chi-young apparut, s’avançant rapidement. Heeseong grimaça. Il l’avait attendu pendant une heure entière. Il était si fatigué qu’il aurait pu en mourir.
Je t’ai attendu… Et en plus, tu as changé de vêtements ?
Yoon Chi-young portait même un costume flambant neuf. Dès que le chiot aperçut sa silhouette, il lui lança un regard noir. Yoon Chi-young, pourtant, interpréta ce regard comme une simple moue boudeuse et lui adressa un sourire éclatant.
« Désolé, j’ai essayé de faire vite… »
Tu ferais mieux de me laisser tranquille. Pourquoi es-tu parti avec les loups-garous ? !
Alors qu’il grognait intérieurement, le corps du chiot se figea brusquement.
Une odeur de sang forte et âcre émanait de Yoon Chi-young, qui venait de s’approcher. Il avait visiblement tenté de masquer cette odeur en se lavant et en mettant du parfum, mais l’odorat aiguisé du chiot n’était pas si facile à tromper.
Il n’y avait pas cette odeur avant… ? Pourquoi tu as mis du parfum, alors que tu as un odorat si sensible ?
La colère du chiot se mua en perplexité. Même lorsque Yoon Chi-young lui annonça qu’il était temps de rentrer, il ne réagit pas et huma une nouvelle fois son odeur.
Il renifla les mains qui s’approchaient de lui. C’était discret, mais il sentait bien l’odeur du sang.
De qui as-tu reglé le compte ?
Dans ce repaire de loups-garous de sang pur, Yoon Chi-young devait remplir son rôle de gardien.
Soudain, un souvenir violent traversa l’esprit de Heeseong : celui d’un homme en sang, effondré devant Yoon Chi-young. Une vague de frissons parcourut son échine, ramenant avec elle la peur qu’il avait ressentie ce jour-là.
« Je suis venu dès que j’ai pu… Tu es en colère ? »
« … »
Même lorsque Yoon Chi-young souleva le chiot à hauteur de son visage pour lui parler, Heeseong ne parvint pas à croiser son regard.
Ce n’était pas vraiment de la peur. Ou peut-être que si, mais il refusait d’avoir peur de lui. Il ne voulait pas être comme ces loups-garous de sang pur qui l’avaient élevé comme un soldat, lui avaient confié les tâches les plus sales, avant de le mépriser et de le craindre.
Pourtant, il ne pouvait s’empêcher de se raidir. Heeseong avait grandi au sein d’une meute où la loyauté primait avant tout. Et maintenant, Yoon Chi-young, qui venait de s’en prendre aux siens, lui paraissait soudainement très lointain.
« As-tu déjà été comme ça, petit chiot ? »
Ignorant les battements affolés du cœur de Heeseong, Yoon Chi-young le serra dans ses bras et déposa un baiser sur son dos duveteux. Ses gestes étaient d’une infinie douceur, comme s’il manipulait un joyau précieux. Mais plus il s’approchait, plus l’odeur de sang devenait oppressante.
Hic
Le chiot sursauta et se mit à hoqueter nerveusement.
Yoon Chi-young le caressa tendrement tout en murmurant :
« Au début, honnêtement… Ce n’était qu’un garçon que j’aimais bien… »
… Hic.
« Mais maintenant, je veux lui plaire. Alors, je me mets même à faire des choses que je ne faisais pas avant. »
Yoon Chi-young effleura son propre visage, puis laissa échapper un rire gêné. Avec son expression timide, il ressemblait à un acteur au début d’une romance. Mais le chiot, lui, ne pouvait penser qu’à une seule chose.
… À qui essaie-t-il de plaire ?
Il ne parlait sûrement pas de lui sous cette forme. Alors… Était-ce sa famille au banquet ? Ou quelqu’un d’autre ?
Puis il sursauta.
Submergé par l’angoisse, le chiot eut un nouveau hoquet bruyant. Son petit corps se contracta avant de se détendre à nouveau. Mais il ne pouvait toujours pas affronter les yeux gris de Yoon Chi-young.
Un peu plus tôt, il lui avait dit de ne pas se laisser intimider… Et pourtant, il avait honte d’être aussi effrayé. Ce n’était pas comme si Yoon Chi-young avait voulu en arriver là.
Tu n’es pas censé être un chien de garde ? Fais juste quelque chose comme une patate…
C’était ce que Heeseong avait envie de dire sans raison, sans même savoir pourquoi. Mais le fratricide était un truc qu’il avait du mal à accepter.
« Pourquoi mon toutou a-t-il autant le hoquet ? »
Yoon Chi-young regarda le chiot avec une expression inquiète, rapprochant son visage de lui. Il le prit dans ses bras et lui caressa doucement le dos. Ce geste, visiblement affectueux, ne parvint pourtant pas à apaiser Heeseong, qui continuait de hoqueter, nerveux.
« Petit chiot… »
Sensing quelque chose d’étrange, Yoon Chi-young murmura en maintenant le chiot contre son épaule.
« Je n’ai rien fait de mal. »
« … »
« Vraiment. Je lui ai juste donné un avertissement aujourd’hui. »
Est-ce que c’est ça le problème ?
Heeseong avait envie de répondre, mais il ressentit une légère détente.
Après tout, il avait grandi dans un monde où la violence et le sang étaient omniprésents. Les accidents se produisaient presque chaque nuit dans le repaire des jeux. Il connaissait bien les règles de ce monde et savait ignorer ce que faisait Yoon Chi-young.
« Tu as dû être très surpris… Dès qu’on rentre, je vais te donner quelque chose de délicieux et te mettre au lit. »
Peu après, Yoon Chi-young traversa le grand hall avec le chiot dans ses bras. Les membres de l’organisation le suivaient, tandis que les loups-garous de sang pur, au visage fermé, se poussaient pour lui laisser le passage.
Heeseong observait la scène avec étonnement. Lui aussi, grâce à son odorat développé, devait sentir l’odeur du sang qui émanait de Yoon Chi-young. Et il devinait que les autres ressentaient la même peur que lui, après avoir compris ce que Yoon Chi-young venait de faire. Même si c’était un rôle qu’on leur avait attribué.
… Je ne vais pas avoir peur de toi.
Heeseong se fit cette promesse intérieure. Il était déterminé à ne pas succomber à la peur, même si elle lui paraissait bien étrange après avoir pris la mesure des circonstances de Yoon Chi-young.
Je suis un chien de garde. Je ne vais pas me comporter comme un lâche, comme ces loups.
Après avoir un peu cogité dans ses pensées, le chiot fixa Yoon Chi-young, comme à son habitude.
« Tu vas juste me regarder maintenant ? »
Yoon Chi-young croisa enfin ses yeux noirs et rond, et lui offrit un magnifique sourire. Il prit même une vidéo du chiot qui avait encore le hoquet, trouvant cela mignon. Bien que la vidéo ne contînt aucune intention particulière, les yeux du chiot, pleins de pensées fermes, furent parfaitement capturés.
La détermination de ce petit chien rond à juger ce qu’il voyait et ce qu’il vivait de ses propres yeux.