Note de l’Auteur : Ce chapitre est narré selon la perspective du Pape
« Bonjour à tous ! »
Cette journée ne me dit rien qui vaille. Avant même que la rencontre à proprement parler n’ait pu commencer, mes espoirs se sont déjà retrouvés ébranlés. Et pas qu’un peu.
Je ne peux qu’incliner la tête en réponse au salut décontractée de la nouvelle venue. Je ne peux laisser personne, particulièrement mes hommes, voir l’expression que je fais en ce moment même. Même m’incliner face au dirigeant des démons, en public, reste préférable. J’ai le choix entre les laisser apercevoir l’expression de pure terreur ayant envahi mon visage, aussi rapidement a-t-elle disparue ou bien dissimuler ma réaction, quel qu’en soit le coût. De mon point de vue, le meilleur choix est évident.
« Cela fait bien longtemps. Maintenant que j’y pense, ‘comment vas-tu ?’ aurait sûrement été une salutation préférable. »
Ayant profité de cet instant de répit pour reprendre le contrôle de mon expression, je lui rend son salut, la tête maintenant relevée. Le sourire de la petite fille, non, du monstre devant moi est resté identique du début à la fin. N’a-t-elle pas remarqué ma terreur ou s’en est-elle aperçue mais préfère prétendre le contraire ? Je crains malheureusement que ma seconde hypothèse soit plus crédible.
« Tout cela revient au même de toute façon, j’ai pas raison ? Quoi qu’il en soit, c’est l’heure de se mettre au boulot. »
Son comportement est bien plus insouciant que dans mes souvenirs, me laissant perdu. Par le passé, derrière le sourire collé sur son visage, je pouvais sentir brûler une puissante haine qu’elle ne pouvait dissimuler, quels que soit ses efforts. Mais, les seules émotions que dégage la personne actuellement devant moi sont assez… calmes, presque douces ? Malgré tout, s’il y a une chose dont je peux être certain, c’est que, quoi que laisse penser la surface, les profondeurs de son cœur abriteront à jamais une flamme de haine pure à l’encontre du monde tout entier.
Il est sans doute anodin pour une telle différence de manière de parler ou même de se comporter d’apparaître chez un être ayant vécu déjà si longtemps. Il ne faut, après tout, pas oublier que cette personne est restée en vie depuis la mise en place du Système, et même avant, sans jamais profiter d’un instant de répit, contrairement à moi, que la mort frappe à intervalle régulier. Son titre est bien mérité, c’est effectivement… la plus ancienne Bête Divine.
Et oui, la plus ancienne Bête Divine, l’origine de toutes les araignées, Ariel-sama. Son ancienneté dépassant même celle du Système, elle est tout naturellement dotée d’une puissance sans pareille, à l’exception des Administrateurs. Après tout ce temps passé sans agir, je ne me serai jamais attendu à ce qu’elle choisisse de passer à l’action maintenant, d’autant plus en devenant Roi-Démon.
Je suis un tel idiot. Si j’avais pris ne serait-ce qu’un instant pour y réfléchir, les liens entre elle et Shiro-sama, le Cauchemar du Labyrinthe, m’auraient sauté aux yeux.
Si je devais me trouver une excuse, l’hostilité apparente entre Ariel-sama et le Cauchemar du Labyrinthe m’a sans doute influencé. D’après nos informations, le dernier mouvement de l’Araignée Sainte a été d’attaquer le nid du Cauchemar, à proximité de la plus grande ville du territoire de la famille Keren, du pays de Sariella. En se basant là-dessus, la seule conclusion logique est que, pour une raison encore inconnue, ces deux monstres araignées entretiennent ou, en tout cas, entretenaient une relation hostile malgré leur probable lien de parenté. Néanmoins, un segment de cette phrase possède une importance toute particulière : ‘D’après nos informations’. Comme nous n’avions plus par la suite eu vent de la Bête Divine, nous pensions qu’elle avait à nouveau quitté le devant de la scène.
Je ne peux que maudire ma sottise. Bien que la disparition du Cauchemar du Labyrinthe et celle d’Ariel-sama ne correspondent pas parfaitement, ces deux évènements restent malgré tout assez proche temporellement. Ce ne serait pas particulièrement étrange que ces deux aient profité de cette période de tranquillité pour se réconcilier.
En y repensant, de nombreux faits appuient cette hypothèse. La relation ambiguë entre le Cauchemar du Labyrinthe et l’Araignée Sainte. Ce nouveau Roi-Démon inconnu, à la politique d’expansion militaire totalement opposée à celle de ses prédécesseurs. Et, le point le plus important, que ce même Roi-Démon soit une existence suffisamment importante pour pousser Dragon Noir-sama lui-même, malgré son statut, à me prévenir de son caractère ‘impitoyable’. Une fois ces points reliés, tout devient clair. Pour vous donner un parallèle, c’est comme si je venais de me rendre compte qu’un livre indéchiffrable jusqu’alors était en vérité juste tenu à l’envers.
« Heho ? Allô la Lune, ici la Terre, est-ce que vous me recevez ? »
Et pour accompagner cette phrase, Ariel-sama tape dans ses mains, juste devant mon visage, comme pour me réveiller. Malgré toutes mes divagations, pas plus d’un instant ne s’est écoulé en réalité. Chose qui ne semble pas empêcher quelqu’un de son niveau de réaliser que son interlocuteur est perdu dans ses pensées.
« Excusez-moi. Cette mauvaise habitude est quelque chose dont je n’ai jamais pu me débarrasser, quel que soit mon nombre de réincarnation.
– Si tu veux mon avis, trop réfléchir comme tu le fais, c’est vraiment une mauvaise chose. Pourquoi ne pas te vider l’esprit quelques temps et, je ne sais pas moi, te détendre un peu ?
– Je donnerai tout ce que j’ai pour en être capable. »
Je me suis ensuite assis face à la Bête Divine, au menton soutenue d’une main posée sur le bureau. Bien que certains collèges n’ait pu s’empêcher de réagir face à cette grossièreté évidente, personne ne s’est exprimé à voix haute. Que je me sois incliné face à elle au premier regard n’y est probablement pas étranger. Sans oublier que, lors de notre précédente rencontre, à l’époque dirigée par Shiro-sama, tout le monde, sans exception, avait compris qui était en position dominante, chose que je peux garantir. Et cette même Shiro-sama vient aujourd’hui de céder le siège central à cette nouvelle-venue, aussi insolente soit elle. En cédant sa position précédente, la dame vêtue de blanc compte probablement faire d’Ariel-sama le cœur de cette nouvelle assemblée.
« Eh bien, dans ce cas, bougeons-nous un peu et mettons-nous au travail. Enfin, je dis ça mais je ne suis même pas certaine de ce dont nous allons discuter aujourd’hui. De ce que j’ai entendu, nous avons conclu un accord mutuel avec comme objectif l’élimination conjointe des elfes, est-ce la vérité ? »
Alors même qu’elle pose cette question, son regard alterne entre les deux principaux concernés, Shiro-sama et moi. Après avoir vu la femme vêtue de blanc exprimer silencieusement son assentiment, j’ai immédiatement poursuivi la conversation, le confirmant à son tour.
« Vos informations sont bel et bien exactes. Éliminer les elfes est l’un de mes souhaits les plus chers. Si notre coopération rend cela possible, je n’hésiterai pas un instant à accepter cette alliance. »
Mettre hors d’état de nuire les elfes ou, pour être plus exact, leur meneur, Potimas, est assurément parmi les meilleures choses qui pourraient arriver à notre monde. Si cela permet son élimination définitive, joindre mes forces à celles des démons ne me posent absolument aucun problème.
« Bien, bien, excellent. Dans ce cas. Continuons sur ce sujet, tant qu’on y est. Pour être franche, nos préparations ont encore un bout de chemin à parcourir. Nous nous mobiliserons dès que la situation le permettra, je dirai. Un problème avec ça ?
– Non. »
Même si les démons souhaitaient que nous passions immédiatement à l’action, ce délai serait plus qu’insuffisant pour que nos forces puisse se mettre en marche. Compte tenu de cela, sa proposition est un véritable cadeau du ciel.
« Bon, sujet suivant. Les démons ont l’intention de prochainement livrer une guerre à grande échelle, quelle position prendra la Religion de la Parole Divine vis-à-vis de nos actions ? »
Non seulement Ariel-sama vient-elle de nous informer des plans futurs de ses forces comme s’il s’agissait de simples ragots, mais elle cherche également à en profiter pour nous soutirer des informations.
« C’est avec grand regret que je vous informe que cette demande dépasse la portée de notre accord. Nous n’avons aucune obligation de vous le révéler. »
Tout les personnes ici présentes doivent bien prendre conscience que notre coopération se limitent pour l’instant à l’annihilation des elfes. Les stratégies des démons et nos réactions n’y sont pas incluses. Voilà pourquoi nous ne pouvons pas seulement les leur dévoiler aussi simplement, au vu de leur valeur stratégique. Je suis certain que nos interlocuteurs le comprennent tout aussi bien que nous.
Quoi qu’il en soit, je pense au moins pouvoir expliquer pourquoi Shiro-sama nous en a informé à notre dernière rencontre. Se faisant, elle s’est assurée que les humains soient eux aussi préparés à la guerre. Naturellement, le nombre de victimes chez les deux belligérants n’en est qu’amplifié. Dans sa position, que les humains comme les démons désirent mener une guerre meurtrière est particulièrement désirable. Nous aurions tout aussi bien pu déclarer notre désir de participer à cette guerre prochaine à pleine puissance car refuser de répondre revient somme toute au même. Quoi qu’ait été notre décision, cela serait resté conforme aux désirs des dirigeants des démons. Ainsi, rien de tout ça ne devrait conduire à une violation de nos accords actuels.
« Très bien alors, si c’est votre réponse. »
Et, comme je le pensais, non seulement Ariel-sama ne perd pas une seconde avant d’exprimer son accord mais rein n’indique dans ses actions que son humeur ait été affecté par notre refus
« Hrm. Eh bien, ouais, même de notre côté, on ne peut pas distribuer des informations d’une telle importance comme de simples petits pains. J’ai juste quelque chose à ajouter, au cas où : Ni Shiro-chan, ni moi-même ne nous rendrons personnellement sur le champ de bataille, ne vous en faites pas. Nous comptons simplement tirer les ficelles derrière la scène pour attiser le conflit entre humains et démons. Si, de votre côté, vous désirez conserver au maximum votre potentiel de guerre, qui sommes-nous pour vous en empêcher. Je ne vais par contre pas vous cacher le grand impact que cela aura sur les pertes humaines. »
Malgré sa soi-disant incapacité à nous divulguer des informations d’importance, Ariel-sama vient de nous apprendre quelque chose d’une grande valeur. Que les deux superpuissances arachnéennes devant moi n’aient pas l’intention de participer directement au combat aura de grandes répercutions. Après tout, si, au contraire, elles combattaient aux premières lignes, je ne donne pas cher de la peau de l’humanité tout entière. Toutefois, tant que nous évitons ce scénario catastrophe, nous avons toutes nos chances
« Ahh, excusez-moi un instant ? Concernant cette guerre dont vous parlez, j’ai, de mon côté, bien l’intention de me rendre sur le champ de bataille sous l’étendard des démons. Je vous souhaite sincèrement bonne chance et que le meilleur gagne. »
Néanmoins, comme s’il se sentait obligé d’anéantir mes derniers espoirs, Wrath-dono a attendu cet instant pour faire une déclaration fracassante.
Note du Traducteur Anglais :
– Kuro qualifie le Roi-Démon actuel, et donc Ariel, d’impitoyable dans le chapitre ‘le Pape et l’Administrateur’ (le 212.5.6).
Note : Bien que l’Auteur ne l’a pas précisé comme il en a l’habitude, ce chapitre est narré du point de vue de Wrath.
En entendant mes paroles, les expressions des représentants humains se détériorent sans attendre. Je suppose que j’aurai du m’attendre à ce que le pape soit le seul à conserver son sang-froid face à une telle déclaration. Kusama, mon ancien camarade, est tout particulièrement abasourdi, au point de rester bouche ouverte sous l’effet de l’étonnement.
Toutefois, mon attention ne se porte pas vraiment sur le groupe d’humain mais plutôt sur mes collègues. Je profite de l’occasion pour jeter un coup d’œil à l’expression du reste des représentants des démons. Commençons par Sophia. Son expression est si facile à lire qu’elle aurait aussi bien pu marquer en toutes lettres ‘Qu’est-ce qu’il raconte encore, cet idiot, est-il suicidaire ?’ sur son front. Sa tendance à exprimer volontiers ses sentiments, que ce soit par son expression ou ses paroles, fait d’elle la plus facile à comprendre du lot. Le problème se pose chez les deux autres. Du côté de Shiro, sans surprise, il n’y a eu la plus petite réaction. Rien ne la déconcerte jamais, après tout. En revanche, le Roi-Démon, Ariel-san, laisse, elle, paraître un léger sourire du coin de ses lèvres.
Ce matin a marqué ma première rencontre avec l’actuel dirigeant des démons. Et bien que, à l’époque, les deux réincarnées m’avaient déjà parlé d’elle, cela reste malgré tout notre premier face-à-face. Enfin, parler d’elle est un bien grand mot dans le cas de Shiro-san, qui n’a fait qu’évoquer son existence en passant, Sophia-san ayant, elle, été bien moins avare en détails. D’après la vampire, c’est une douce et gentille personne venue à son secours lorsqu’elle était encore un nourrisson et faisait face à un danger mortel, ce bon samaritain ayant même pris soin d’elle au mieux de ses capacités par la suite.
Cependant, après l’avoir finalement rencontrée en chair et en os, mon impression d’elle est pour ainsi dire tout l’opposé des termes qu’a utilisé la vampire. Ce n’est pas un ‘bon samaritain’, ni même une ‘douce et gentille’ personne, loin de là. Pour vous dire la vérité, elle ne mérite même pas d’être qualifiée de ’personne’.
« Salut, je suis vraiment, vraiment ravie de te rencontrer. Je suis Ariel, le Roi-Démon, ou bien peut-être le Seigneur-Démon… je ne sais plus trop. Quoi qu’il en soit, sens toi libre de m’appeler Ariel-chan, okay !
Malgré sa joyeuse présentation, jamais je n’aurai le courage d’utiliser le suffixe -chan, comme elle semble tant le désirer. Je devais déjà puiser dans mes dernières forces pour empêcher mes muscles faciaux de se contracter. Évaluation était cette fois inutile, un simple regard sur cette… créature se faisant passer pour une petite fille m’avait fait comprendre l’immense fossé nous séparant.
Et il ne m’a pas fallu plus longtemps pour découvrir qu’elle n’est absolument pas le genre de personne qu’a décrite Sophia-san. La raison en est très simple, son corps dégage une odeur de macchabée aussi dense que putride et qui, bien qu’intangible, indique à elle seule la quantité de vie que ses petites mains ont déjà prise. Bien sûr, ce n’est qu’une impression, elle ne dégage pas réellement une telle odeur. Toutefois, mon passé de meurtrier me permet d’une certaine façon de discerner ceux qui me ressemble. Et bien que je parle de ressemblance, ma propre odeur ne peut espérer se comparer un instant à cette puanteur, cette pestilence qui l’entoure.
Sophia-san, le dieu appelé Kuro et enfin Shiro-san. Voilà, jusqu’à présent, ceux que j’ai rencontré et qui me dépasse en puissance. Mais, même au sein de ce cercle restreint incluant une véritable divinité, personne ne m’a jamais infligé une terreur mortelle aussi intense. Il est très probable que, si un tournoi de pure puissance se voyait organisé entre eux, le grand vainqueur se déciderait entre Kuro et Shiro-san. Toutefois, Ariel possède une ‘qualité’ unique, elle ne dégage aucune hésitation. Aucune hésitation à tuer, je précise.
C’est une anxiété bien différente de celle que me fait ressentir Shiro-san. Ce qui me trouble chez la dame en blanc, c’est ma parfaite incapacité à déchiffrer ses pensées, ses sentiments. Toutefois, l’angoisse que provoque en moi Ariel-san est tout l’opposé. Ce qui me fait peur, c’est de savoir exactement ce à quoi elle pense. Le Roi-Démon possède un but clair et ne fait pas le moindre effort pour cacher son intention meurtrière. Si quiconque devait s’interposer entre elle et son objectif, je suis convaincu qu’elle s’en débarrassera sans la moindre hésitation.
Cela pris en compte, j’ai maintenant le choix entre deux attitudes. La première, observer attentivement la situation s’en agir ni m’impliquer de la moindre façon ou, dans le cas contraire, coopérer. Après de longues délibérations, j’ai finalement choisi de coopérer avec Ariel-san et, subséquemment, avec Shiro-san.
Ce serait mentir que de dire que je n’ai aucun doute. Après tout, Shiro-san me cache encore de nombreux secrets et je ne suis moi-même pas persuadé d’avoir fait le bon choix. Néanmoins, il serait peut-être temps de prendre une décision et de me mettre au travail. Comme l’a très bien dit le pape assis face à moi lors de notre dernière rencontre – je me dois d’être diligent si je veux éviter de créer inutilement des montagnes de cadavres. Je veux, tout comme lui, suivre une voie conférant un sens à la mort de toutes ces personnes dont le sang couvrira à jamais mes mains.
Bien entendu, ce n’est qu’un désir égoïste. Est-ce que mes victimes accepteraient un tel résonnement ? Rien n’est moins sûr. Mais, quelle que soit la réponse, cela reste toujours mieux que de me lamenter dans un coin. Et cela même si cette décision me conduit à me salir une fois de plus les mains.
« Eh bien, vous l’avez entendu – faites de votre mieux, humains. Évitez de vous montrer trop imprudent, vous savez, Wrath-kun pourrait très bien finir par tous vous anéantir à lui tout seul si vous ne le prenez pas au sérieux. Il en est parfaitement capable. »
L’air amusée, Ariel-san en rajoute une couche, provoquant les membres de la Religion de la Parole Divine dont les visages ont déjà perdus toute leurs couleur à ma déclaration. Bien que rien ne lui aurait permis de connaître à l’avance la déclaration que je comptais faire, elle en profite pour faire avancer les négociations dans la bonne direction sans rien révéler de sa propre réaction à ma proclamation surprise. Comme je le pensais, se laisser tromper par son apparence et son comportement enfantin serait une très grosse erreur, peut-être la dernière de ma vie.
« Eh bien, maintenant qu’on n’en a fini avec ce sujet, je suppose qu’il ne reste aucun point dont nous devons particulièrement discuter, pas vrai ? Pour être franche, en mettant de côté notre ennemi commun, les elfes, il est de toute façon naturel pour nos deux camps de s’entre-tuer. Ah, au cas où vous voudriez nous contacter, je suppose que je devrais laisser quelqu’un. Hum. Que dites-vous de cette enfant, si quoi que ce soit arrive, il vous suffira de lui en parler. Marché conclu ? »
Ce faisant, le Roi-Démon invoque un monstre. Je dis bien monstre car, même si au premier regard, il paraisse totalement identique à une fille humaine, un œil attentif s’apercevra rapidement qu’il ne s’agit que d’une marionette à l’apparence raffinée.
« Une… marionette Taratecte, si ma mémoire ne me joue pas des tours. Toutefois, si je ne fais pas erreur, comparée à celles que j’ai eu l’occasion de rencontrer, son apparence est bien plus élaborée. »
Tout en offrant à son créateur ce qui semble être des paroles de louanges ou encore d’étonnement, le pape saisi l’opportunité d’examiner attentivement la créature invoquée.
« Pas mal, hein ? Et je vais te dire un secret, Shiro-chan et moi avons travaillé ensemble pour la construire.
– Je vois, De notre côté, nous n’avons aucune objection.
– Bien, bien. S’il n’y a aucune opposition, je vais vous la laisser jusqu’au jour de l’attaque sur les elfes. Pendant ce temps, sentez-vous libre de l’utiliser comme vous voulez.
– Prenez bien soin de moi, je vous en prie. »
La soi-disant ‘Marionette Taratecte’ s’incline à presque 90°, offrant dans le même temps ses salutations à ses nouveaux collèges. N’ayant apparemment pas imaginé une seule seconde que la marionnette grandeur nature soit en mesure de parler, le vieil homme laisse cette fois paraître sa surprise, l’espace d’une fraction de seconde.
« Grâce au remodelage magique effectué par Shiro-chan, il est impossible de la distinguer d’une véritable personne en se basant uniquement sur ses paroles. De plus, grâce à son large répertoire de capacité, ce produit multi-usage peut aussi bien être employé au combat que comme domestique et tout ça pour la simple somme de… 0 pièces. Et oui, vous avez bien entendu !
– C’est un cadeau des plus… inattendus que vous avez là, cela ne fait aucun doute. »
Malgré la réponse du pape, il est évident que personne ne considère ce présent comme une simple preuve de bonne volonté. Après tout, Ariel-san vient d’ouvertement implanter un espion parmi leurs rangs. Si jamais l’Église devait préparer un quelconque coup fourré, les démons en seront immédiatement informés. Et d’après ce que j’ai pu voir, ce monstre possède un pouvoir considérable. Si les circonstances le demande, il ne serait probablement pas tiré par les cheveux qu’il prenne à lui seul le contrôle du quartier général où nous nous trouvons. S’il devait se produire un problème, ce pantin leur posera un danger plus que conséquent. Mais, même en le sachant, il est impossible pour la Religion de la Parole Divine de présenter la moindre objection. Après tout, qui sait ce à quoi ils s’exposeraient par ce refus.
« Dans ce cas, cette entrevue barbante est enfin terminée ! Dustin, j’aurai besoin que tu m’écoutes un moment. Il y a une affaire personnelle dont j’aimerai bien discuter avec toi. »
Saisissant immédiatement cette opportunité, elle invite le pape à se lever à son tour, un sourire rayonnant sur le visage. Un étranger aurait pu croire qu’elle ne faisait qu’inviter un ami à boire un verre. Néanmoins, le tic apparu sur le visage de son ‘ami’ réfute à lui seul une telle conclusion. Il y a que deux choses dont je suis certain, de un, le pape ne risque pas de mourir ici et, de deux, cela ne veut pas dire que ce tête-à-tête lui sera agréable, malgré la compagnie d’une ‘belle jeune fille’.
« Attendez-moi, Shiro-chan et compagnie, ce ne sera pas long. »
Sans même laisser le temps au vieil homme d’exprimer son accord, Ariel-san se lève et quitte la salle. Shiro-san lui offre un au-revoir silencieux alors que Sophia-san, elle, ne semble pas avoir plus idée de comment réagir que moi et se contente de rester immobile. Si j’ai un peu de temps libre, je suppose que je peux en profiter pour discuter un peu avec Kusama, histoire de rattraper le temps perdu. Je me lève à mon tour pour aborder l’ancien japonais avant de lui emboiter le pas hors de la salle de réunion.
Note de l’Auteur : Le chapitre est narré du point de vue du Pape
« Es-tu surpris que j’ai choisi de devenir le nouveau Roi-Démon ? »
Dès son entrée dans mon salon privé, Ariel-sama arrache une bouteille de vin de son présentoir comme si elle connaissait parfaitement les lieux, avant d’immédiatement commencer à boire au goulot. Je ne l’ai jusqu’aujoud’hui jamais invité dans cette salle mais, étant donné la vie qu’elle a menée, ce n’est pas si étonnant qu’elle soit habituée aux dispositions de cette nature. Quant au fait qu’elle ait, sans hésitation, avalé le contenu d’une bouteille ne lui appartenant pas n’est sans doute pas étranger à son statut d’être absolu régnant au sommet de notre monde et la fierté qui en découle. Bien que ce vin soit une boisson si précieuse que je ne pourrai probablement jamais plus m’en procurer, si l’Araignée Sainte la désire, que puis-je y faire ?
« Je ne peux pas dire le contraire. Je suis certaine que Shiro-sama a gardé le silence à ce sujet afin de me faire la surprise. Que c’est vilain de sa part. »
Je suis sérieux, je n’aurai jamais imaginé, même dans mes rêves les plus fous, qu’Ariel-sama accepterait un poste tel que celui de Roi-Démon. Pour vous donner un ordre d’idée, l’incident du Cauchemar du Labyrinthe, aussi important soit-il, ne m’est arrivé aux oreilles qu’après que nous ayons découvert les actions de la personne ici présente à son encontre. Cela seul indique à quel point ses actions ont de l’importance, d’autant plus lorsque celles-ci ont un tel impact.
« Oh. Pour te dire la vérité, Shiro-chan ne pense pas ainsi, elle ne l’a pas mentionné, soit parce qu’elle trouvait cela trop fatiguant, soit simplement parce qu’elle a oubliée. Je serai prête à parier là-dessus. Même moi, je ne comprends pas parfaitement son raisonnement mais je la connais suffisamment pour garantir qu’il n’y a probablement aucun sens profond derrière cet oubli. »
Si c’est ce que pense la Taratecte Originelle, je ferai mieux d’en rester là. J’aurai déjà dû découvrir depuis longtemps que Ariel-sama et le nouveau Roi-Démon ne sont qu’une seule et même personne, en m’appuyant sur les informations fragmentaires à ma disposition. Mon manque d’imagination est la seule chose à blâmer pour mon échec. Je suis un vrai idiot pour n’avoir pas pu déterminer la situation à partir des connaissances à ma disposition, et cela alors que je connais pertinemment l’importance de l’information.
Mon commentaire n’était pas une critique envers Shiro-sama. Après tout, elle est avant toute chose une personne haut placée du côté des démons. Elle n’a pas la moindre obligation de nous offrir la moindre information, à nous, les représentants de l’humanité, surtout en ce qui concerne les démons.
« Eh bien, je suis certain que tu ne t’es pas invitée ici pour discuter de la pluie et du beau temps. Je t’en prie, ne tourne pas autour du pot.
– Hmm. Bien que tu dises cela, j’aurai apprécié que nous parlions tout les deux du bon vieux temps, tu sais, en temps que deux des rares à avoir survécu depuis la création du Système. »
Ignorant ma tentative d’accélérer la conversation, le monstre, dissimulé sous une apparence de jeune fille, renverse la bouteille de vin. Le précieux liquide disparaît alors à grande vitesse dans sa gorge élancée, au rythme de ses déglutitions.
« Pwah ! Simplement délicieux !
– Après tout, c’est un objet d’une rare qualité, même au sein de ma collection.
– Je suis la Reine de la Gourmandise, comme tu le sais déjà. J’ai du flair, pour tout ce qui est bonne nourriture. »
De bonne humeur, elle continue d’agiter le contenu de la bouteille dans sa main.
« Dustin. Tu ne comptes vraiment pas changer d’avis ? »
Doucement, d’une petite voix presque inaudible, elle se renseigne sur ma décision. Ma réponse, cependant, est déjà gravée dans le marbre.
« Il est déjà bien trop tard pour cela. Depuis le début, je n’ai jamais eu la moindre possibilité de choisir une autre réponse. L’imbécile a avoir abandonné la Déesse, tout cela afin d’assurer la survie de l’humanité, ne peux plus changer de voie, après tout ce temps. Je n’en ai simplement pas le droit.
– Je vois. »
Dans la pièce maintenant silencieuse, seul le son solitaire d’une ‘jeune’ fille se désaltérant à grande rasades de vin se fait encore entendre.
« Aujourd’hui, ceux qui connaissent le passé de ce monde ne sont plus que quatre : toi, moi, Gyuri et Potimas. Ceux que je connaissais se sont sacrifiés, tous jusqu’au dernier.
– C’est un comportement des plus admirables.
– Aussi admirable que soit leur mort, une fois disparu pour de bon, cela ne fait plus aucune différence. Sariel-sama n’aurait jamais voulu une telle chose.
– Même ainsi. Ces grands personnages, n’obéissant qu’à leurs propres convictions, ont continués de résister au monde jusqu’à la toute fin. Je les envie. Bien que, pour quelqu’un comme moi, penser ce genre de chose est un crime, un péché. »
Les anciens camarades de l’Araignée Sainte, étaient forts. Je ne parle pas simplement de leur puissance mais aussi de leur esprit, de leur cœur. Certains pourrait même considérer cette force de caractère comme étant justement la clé de leur force. Leur désir de sauver la Déesse, cette croyance était le moteur de leur croissance.
Néanmoins, ils ne sont plus avec nous, désormais. Ils ne peuvent même pas espérer se réincarner, ayant tout sacrifié dans leurs derniers moments, y compris leurs âmes.
« Enfin, comme je suis moi-aussi sur le point d’agir à l’encontre de la volonté de Sariel-sama, je suppose que je suis mal placée pour les juger. »
Ces paroles semblent contenir une grande solitude. Depuis la création du Système jusqu’à aujourd’hui, une seule personne a toujours respecté les désirs de la Déesse, se contentant d’observer le monde qui l’entoure, et c’est justement la plus ancienne Bête Divine qui me fait face. Quelle a bien pu être la violence du conflit dans son cœur lorsqu’elle a finalement décidé de s’opposer à la volonté de Sariel-sama ? C’est une chose que je ne peux pas commencer à imaginer.
« Je tuerai Potimas. »
Ce ton monocorde… Au cours de ma longue vie, j’ai eu l’occasion de découvrir qu’une fois que le désir de tuer quelqu’un dépasse un certain point, à contrario, toutes les émotions que l’on ressent à son encontre disparaissent, ne laissant derrière elle qu’un vide, une indifférence absolue. Potimas est allé trop loin. Alors même qu’il savait parfaitement qu’il s’était déjà attiré les foudres d’Ariel-sama, il a osé la provoquer encore davantage.
« Aucun de nous deux ne peux accepter un compromis de l’autre, hein.
– Évidement. »
Après tout ce temps, il est devenu impossible pour nous de simplement ignorer tout ce qui s’est produit jusqu’à aujourd’hui pour joindre nos forces. Nous avons tout deux dépassé le point de non retour sur nos chemins respectifs. Et autant il est possible pour nous d’accepter et de respecter la décision de l’autre, autant ces deux chemins ne peuvent partager une même conclusion. Malgré tout, nous avons désormais l’opportunité de coopérer une toute dernière fois, tout cela grâce à notre objectif commun. Devant cette situation, un certain dicton du monde de Sajin me revient à l’esprit :
‘L’ennemi de mon ennemi est mon ami’.
« Une fois notre objectif atteint, que va-t-on donc faire, s’entretuer ? Ce serait certainement grandiose, ça, je peux te l’assurer.
– Je souhaiterai humblement décliner cette offre. »
Ces mots n’étaient peut-être qu’une blague pour l’instant, néanmoins, c’est un futur tout à fait envisageable, une fois que les elfes ne seront plus de la partie. Cette occasion de coopérer ne change pas le fait que nous sommes des ennemis naturels. Quels que soit nos efforts, nous ne pourrons jamais nous allier. Dans ce cas, il nous faudra bien un jour ou l’autre régler nos différents.
Si Ariel-sama, après cette longue période d’inaction, a décidé de devenir Roi-Démon, cela ne peut vouloir dire qu’une chose. Elle compte en finir avec un problème bien précis. Une fois cela fait, je ne serai plus qu’un obstacle pour elle et, à ce stade le conflit deviendra inévitable. Maintenant que l’Araignée Sainte a décidé d’agir à l’encontre de la volonté de la Déesse, le concept même de prudence ne doit plus exister pour elle. Je suis sûr qu’elle serait prête à vendre son âme au Diable si cela lui permettrait d’atteindre son but.
C’est terrifiant. Nos chances de victoires sont, pour ainsi dire, … inexistantes. Mais, même dans une situation aussi désespérée, je me dois de m’opposer à elle. J’ai juré de protéger les humains quoi qu’il en coûte, même si je devais commettre un blasphème à l’encontre de la Déesse, dans l’objectif de continuer ce que j’ai commencé il y a déjà bien longtemps.
« Merci pour le verre, enfin, la bouteille. »
Ariel-sama repose alors la bouteille de vin, vide. Une bouteille dotée d’une magnifique étiquette mais dépourvue du moindre contenu. Devant ce reflet de moi-même, je ne peux empêcher un rire amer d’envahir ma gorge.
Note de l’Auteur : Ce chapitre adopte le point de vue de Wrath
Une fois la salle de conférence loin derrière nous, Kusama m’a mené jusqu’à ses quartiers. La taille de la chambre doit approcher les 6 tatamis, à vue d’œil. Toutefois, les piles de vêtements, entre autres objets à l’usage mystérieux, donne à l’endroit une impression d’étroitesse. Pour être franc, c’est un vrai dépotoir. Bon sang, je n’arrive même pas à voir le sol sous toutes ces couches de déchets.
« Kusama, essaie de ranger un peu tes affaires.
– Désolé, désolé. Tu es le premier à être entré ici, tu vois. Enfin, sans me compter. »
Face au petit rire décomplexé que laisse échapper l’ancien japonais, ma colère vole en éclats.
« Quoi qu’il en soit, pourquoi ne pas commencer par s’asseoir ? »
Après avoir balayé du revers de la main un tas d’ordures bonne à jeter, j’aperçois finalement un chaise. Celle-ci étant le seul endroit où s’asseoir, si l’on oublie le lit, je l’accepte de bonne grâce. Et, bien entendu, Kusama prend ce dernier. Ce n’est pas comme s’il avait vraiment le choix, il n’y a aucun autre endroit où s’asseoir.
« Quand même, ça fait un sacré moment.
– Je suis bien d’accord. je veux dire, lors de la dernière rencontre, nous n’avons même pas eu l’occasion d’échanger quelques mots. »
La dernière fois, bien que nous nous soyons rencontré en chair et en os, nous nous sommes retirés avant même d’avoir l’occasion de discuter. Cela fait donc de cette conversation une première depuis ma dernière vie, ce qui mérite certainement d’être qualifié de ‘sacré moment’. D’autant plus que, en tant que réincarné masculin, c’est ma première rencontre avec quelqu’un que je peux considérer comme un ami. Que ce soit avec Shiro-san ou Sophia-san, non seulement je ne me souviens pas avoir particulièrement interagi avec elles au Japon, mais je n’ai pas non plus vraiment entretenu de conversation amicale avec elle depuis notre rencontre dans ce nouveau monde. Tout cela explique peut-être cette puissante émotion qui envahie mon cœur devant cette réunion.
« Ça fait un sacré moment, ouais. Qu’est-ce que tu deviens, après tout ce temps ?
– C’est une longue histoire. »
De nombreuses choses me sont arrivées depuis notre dernière réunion. Si je devais me lancer, cela me prendrait un bon moment pour finir l’histoire. Et, autant j’adorerai profiter d’une longue conversation entre deux amis, après tout ce temps, autant je ne peux pas passer l’éternité à discuter. Sans oublier que mon passé ferait un sujet de conversation des plus sinistres et je préfère ne pas gaspiller une occasion aussi rare en détruisant l’atmosphère.
« Ce que j’essaie de dire, ce que… tu comptes sérieusement participer à cette guerre avec les démons ?
– Je suis totalement sérieux.
– Ehh ? N’y vas pas, vraiment. Les guerres, les trucs de ce genre, c’est de la folie, t’es pas d’accord ? »
A la vue de l’expression de Kusama, qui semblent s’opposer du plus profond de son cœur à mon choix, je ne peux pas empêcher un sourire amer de me monter aux lèvres. Il semble avoir eu plus de chance dans sa réincarnation que moi, il n’aurait pas pu garder un tel état d’esprit s’il avait vécu une vie aussi dure que la mienne. Son attitude pacifiste me rend envieux, je suis comme aveuglé par sa pureté.
« Tu ne comptes pas participer, de ton côté ?
– Jamais ! Aller sur un champ de bataille, c’est pas si différent que de demander encore et encore à ses ennemis de te tuer. Si quiconque essaie de m’y forcer, je préfère encore m’enfuir. Ah, fais comme si tu n’as rien entendu, tu me comprends ? »
En dépit de son appartenance au noyau de la Religion de la Parole Divine, une organisation digne d’être considérée comme la représentante de l’humanité tout entière, cela ne semble lui poser aucun problème de parler de son refus de prendre part à la guerre à ce qui n’est qu’un ancien camarade de classe, un du côté des ennemis, qui plus est. Je suppose que ce doit être agréable d’être libre de tout soucis, comme lui.
Enfin, malgré toutes ces belles paroles, je suis prêt à parier que, le moment venu, il se laissera emporter par le courant et participera à l’effort de guerre. Kusama est juste ce genre de personne.
Vous savez, ceux qui adopte l’attitude ‘Si vous ne pouvez pas les battre, rejoignez-les’, dans le but de tirer leur épingle du jeu, tout ça pour à la fin se retrouver perdant. Ce genre de gens.
« Oublions ça. D’ailleurs, lors des deux rencontres précédentes, n’étais-tu pas un peu trop nerveux ?
– Imbécile ! Comment veux-tu que je ne me sente pas nerveux dans ce genre de situation ! Et pourquoi est-ce que je devais m’y rendre, d’ailleurs ? Je ressortais comme le nez au milieu de la figure, parmi tous ces gros poissons. »
Je suis soulagé de voir qu’il se comporte toujours comme une personne ordinaire. Il n’a vraiment pas changé. Comme l’admet Kusama lui-même, il lui arrivait de se sentir nerveux simplement pour s’être embarrassé en classe lorsque nous étions encore au lycée. Peut-être est-ce injuste de ma part que de m’attendre à ce qu’une telle personne puisse rester serein dans l’atmosphère tendue de ces réunions.
« C’est toi qui est incroyable, quand es-tu devenu assez courageux pour faire une telle déclaration, surtout dans un lieu aussi terrifiant ?
– Haha. Honnêtement, je pense simplement que ma peur avait atteint un tel niveau que j’en étais devenu engourdi. »
Peut-être ai-je aussi été motivé par une certaine forme de désespoir. Malgré l’impression que je donne, j’étais tout aussi nerveux que Kusama lorsque je me suis exprimé, bien que pour une raison différente. Mon anxiété prend racine dans la certitude qu’au moindre faux pas, je cours le risque d’être éliminé.
« Dis, Saya-yan. »
Que ce soit ici ou au Japon, mon ancien camarade de classe m’appelle toujours de la même façon, malheureusement…
« Ah, c’est vrai. Je préfère être appelé ‘Wrath’ désormais. »
C’est d’une certaine façon agréable d’entendre Kusama continuer de m’appeler de la même façon. Cependant, après tout ce qui s’est produit, je ne veux plus que l’on utilise mon ancien nom. Pour tout dire, aussi trivial que cela puisse paraître, je ne pense vraiment pas avoir le droit d’utiliser les noms que mes parents m’ont donnés, que ce soit ceux de l’ancien ou du nouveau monde.
« Saya-yan, quand es-tu devenu un chuunibyou ?
– Ce n’est pas ça, je t’assure. Mes raisons sont assez compliquées et je ne pense pas pouvoir les expliquer ici mais ce que tu dois retenir, c’est que, si possible, je préfère que tu n’utilises pas mon ancien nom.
– Hrmm. Si tu le dis. »
L’ancien japonais n’a pas vraiment l’air de m’avoir compris mais, quoi qu’il en soit, il semble avoir accepté ma demande. Mais quand même, un chuunibyou, huh ? D’abord Sophia-san et maintenant lui, ces accusations commencent à devenir déprimante.
« Ah, au passage, Saya, euh, Wrath, c’est bien ça ? J’espère vraiment me tromper mais toi et Wakaba-san, vous n’êtes pas en couple, hein ?
– Huh ?
– Donne-moi une vrai réponse ! Qu’est ce que tu faisais en compagnie de la charmante déesse de notre école, Wakaba, bon sang ! Si les autres l’apprennent, je ne donne pas cher de ta peau ! Et cela même si vous ne sortez pas vraiment ensemble !»
Er… ahhh ! On ne peut pas nier que, lorsque nous étions encore au Japon, Shiro-san ou pour être exact, Wakaba-san, était particulièrement populaire. Cependant, l’atmosphère qui l’entourait la rendait virtuellement impossible à approcher, c’est pourquoi je ne pense pas me souvenir de quiconque ayant eu le courage de se confesser. Voilà pourquoi elle s’est retrouvée admirée par un grand nombre de garçon, à une distance raisonnable.
Si qui que ce soit essaye de se rapprocher d’elle, aussi bien maintenant que sur Terre, il lui faudra d’abord se préparer à devenir l’ennemi public numéro 1 parmi ses adorateurs.
« Inutile de s’inquiéter. Notre relation est loin de ce que tu imagines. »
D’après ce que je sais actuellement sur elle, je ne pense pas, même dans le pire des scénarios, développer le moindre sentiment pour elle. Non, j’en suis même certain.
« Très bien, je te crois. Dans ce cas, c’est ton devoir de s’assurer qu’aucun vermisseau ne lui mette la main dessus ! Je peux compter sur toi, pas vrai !
– Oui, oui, bien sûr. »
Je ne vais pas mentir, je ne fais que suivre le mouvement ici. De toute façon, je suis prêt à parier que même si je ne fais rien, elle serait incapable de se trouver un petit ami, quels que soient ses efforts. Et pour que cela arrive, il faudrait déjà qu’elle soit intéressée par ce genre de relation.
« J’y pense, que ce soit Wakaba-san ou toi, Sasa, euh, Wrath, pourquoi avez-vous gardé le même visage ? Pour autant que j’en sache, votre réincarnation aurait du vous laisser avec un physique totalement différent.
– Moi-même, je ne suis pas sûr de le comprendre. »
Ce n’est pas comme si je désirais particulièrement conserver mon ancien visage, pour commencer.
« Si je devais nous trouver un point en commun, c’est que nous étions tous deux des monstres à l’origine. Peut-être qu’évoluer jusqu’à obtenir une forme humaine vous donne le visage de votre ancienne vie ? Enfin, c’est une simple théorie.
– En parlant de Wakaba-san, le vieil homme semblait insinuer qu’elle est un monstre appelé le Cauchemar du Labyrinthe.
– Le vieil homme ?
– Tu sais, le pape. »
Comment quelqu’un qu’une simple réunion rend nerveux peut-il appeler le dirigeant d’une des plus grandes organisations de ce monde, ‘vieil homme’ ? Je n’ai pas la moindre idée de comment peut-il considérer le premier comme pire que le second.
« J’en ai simplement entendu parler, rien de plus, mais est-ce vrai que Wakaba-san a fait quelque chose de, comment dire, … d’extrême ?
– C’est la vérité. Ses actions sont si extrêmes, comme tu le dis, que c’en est effrayant. »
Je me sens mal de détruire ainsi ses illusions au sujet de Shiro-san, mais personne ne peut nier qu’elle est impliquée dans toutes sortes d’affaires suspectes. J’ai entendu de sa propre bouche qu’elle a déjà commis un massacre et que ce ne serait probablement pas le dernier. Je n’ai d’ailleurs pas le moindre moyen de l’arrêter et je suis même bien parti pour l’y aider.
« Je ne l’aurai jamais imaginé agir ainsi. Enfin, ce n’est probablement pas bien grave. »
Comment ça, pas bien grave ?
« Tu ne penses pas que, quoi que fasse Wakaba-san, c’est probablement pour une bonne raison ?
– C’est vraiment ce que tu penses ? »
Il est vrai que, dans ce monde comme dans l’ancien, elle a toujours été enveloppée de mystères.
« Enfin, j’ai l’impression qu’elle a changée depuis sa réincarnation.
– C’est pourtant évident. Plus de 10 ans sont déjà passés, non ? Bien sûr qu’elle a changé.
– Malgré tes belles paroles, tu n’as pas beaucoup changé de ton côté, Kusama. »
Ayant réalisé qu’il venait de creuser sa tombe, le jeune homme se laisse tomber sur son lit. Personnellement, je considère plus cet absence de changement comme un soulagement mais ce n’est que mon avis.
« En parlant de changement, cette maudite Rihoko, n’est-elle pas devenue trop différente ?
– Oh ? Cela te dérangerait-il de me faire savoir de qui parles-tu ? »
En réponse aux paroles du réincarné s’élève une voix étrangère. Le jeune homme tourne ensuite lentement la tête vers sa source, mouvement accompagné d’un grincement presque audible, et, tout aussi apeuré, je jette un œil par dessus mon épaule. Dans l’encadrement de la porte se trouve Sophia, une expression incroyablement effrayante sur le visage.
Note du Traducteur Anglais :
– Au Japon, les salles sont souvent mesurées selon le nombre de tatamis nécessaires pour en couvrir le sol. Dans le cas d’une chambre de 6 tatamis, elle doit mesurer environ 2,70 par 3,60.
– ‘Saya-yan : L’ancien nom de Wrath est Sasajima Kyouka (笹島京也). Sasa-yan (笹やん) utilise le premier kanji de son nom. C’est assez courant de créer des surnoms de cette façon. Le -yan est une variante régionale au sens similaire à -kun ou -chan. Elle est principalement utilisée au Kansai.
– Rihoko est l’ancien surnom de Sophia. Il est composé de ‘Ri’ pour ‘real’ de ‘ho’ pour ‘horror et de ‘ko’, souvent utilisé en fin des noms de filles. Il se traduit donc littéralement par ‘vraie fille (de film) d’horreur’
Chapitre 265.5.5 : Le Vampire, l’Oni et le Ninja
Dans ma précédente incarnation, je sais que j’étais secrètement appelée Rihoko. La fille du film d’horreur. Je ne sais pas qui a commencé à m’appeler comme ça. Ce n’est pas du tout amusant et c’est juste pour me faire du mal.
C’est ce que le garçon devant moi vient d’expliquer. Pendant la conférence, il s’est également introduit comme un réincarné, donc ce n’est pas étonnant qu’il sache à propos de moi. Cependant, puisque je n’ai pas révélé mon nom de ma vie précédente, pourquoi est-ce qu’il le connaît ?
« Hey ? Si tu te paralyses, je ne vais pas comprendre. De qui est-ce que tu parles ? »
Quand j’ai commencé à l’interroger en étant un peu coercitive, le garçon qui s’appelle Kusama-kun, je crois, a semblé amusé par cela tout en se gelant sur place. Kyouya-kun qui regarde au-dessus de mon épaule dit « uh oh » de son côté.
« Si tu restes silencieux, je ne peux pas comprendre, d’accord ? Dépêche-toi et parle. »
Quand j’ai essayé, d’augmenter la menace un peu plus, le visage de Kusama-kun est devenu pâle avant qu’il ne semble devenir muet. Mince. Le menacer a eu l’effet inverse, il semble. J’ai bien l’impression que Kusama-kun est du genre à rester silencieux quand il est dans une situation désavantageuse.
Cela m’ennuie donc je vais juste utiliser Charme j’imagine ? Temporairement, m’en servir semble être la méthode la plus rapide pour qu’il confesse rapidement tout ce qu’il sait.
Peut-être qu’il a compris ce à quoi je pense puisque Kusama-kun s’est aussitôt prosterné. Un dogeza.
« Désolé, excuse-moi, s’il te plaît pardon ! »
Tout en faisant un dogeza sur le lit, Kusama-kun me donne des excuses complètes sans même faire de pause. Étrangement et après avoir vu sa grimace pitoyable, j’ai perdu toute envie de faire un contre-interrogatoire. Cela dit, je suis encore en colère donc si je ne fais rien maintenant je ne serais pas capable de me calmer.
Je me déplace pour me tenir en face de Kusama-kun prostré par terre et je le force à me regarder. Quand nos yeux se rencontrent, je commence à sourire amicalement.
« Ehe ? »
Quand Kusama-kun répond avec un léger sourire inquiet, je commence aussitôt à le mordre dans le creux de son cou où il y a des sueurs froides qui coulent.
« Hogeh ?! »
J’aspire le sang qui coule avec mes crocs. Cependant, ce ne fut que pour un court instant puisque pratiquement tout de suite on attrape mon épaule pour me tirer en arrière. Comme je m’y attendais, quand je me suis retournée j’ai pu voir Kyouya-kun qui semblait maussade.
« Ooh? OoohhN Oohhhh… »
Kusama-kun ouvre sa bouche et la referme comme un poisson rouge tout en gémissant. Je lèche le sang qui coule contre ma bouche et tourne mon regard en direction de Kyouya-kun.
« J’ai juste pris un peu de sang. De cette façon, je peux le pardonner pour son insulte. Ça te pose un problème ? »
Kyouya-kun semble sur le point de dire quelque chose, mais peut-être qu’il pense aussi que Kusama-kun est en tort. Il retire sa main de mon épaule en soupirant silencieusement.
« Sasa-yan, étrangement je peux voir une porte s’ouvrir devant moi. »
« Non. N’ouvre pas cette porte. »
Tout en pressant une main contre sa nuque où je l’ai mordu, ce pervers commence à dire des idioties. Bon, apparemment c’est agréable d’être mordu par un vampire donc ce n’est pas une erreur de l’appeler un pervers.
« Donc ? Comment savais-tu que c’était moi ? »
« Ah, oui. Nous avons conservé des écrits sur tout ce qui concerne les réincarnés après avoir établi une liste des camarades de classe. En nous servant de ça et par élimination, nous avons confirmé qui est qui. »
« Ce qui veut dire que, la plupart des autres ont été trouvés dans ce cas ? »
À la réponse de Kusama-kun, Kyouya-kun pose sa propre question. Contrairement à moi, Kyouya-kun avait des amis et peut-être même quelqu’un qu’il souhaite revoir.
« Oui. La majorité est dans le village des elfes cela dit, mais Ogi l’a infiltré et a été capable de déterminer l’identité de ceux qui sont présents. Il y en a aussi plusieurs dans une académie du pays d’à côté et nous les avons aussi identifiés. Et à la dernière conférence, il y avait trois réincarnés, pas vrai ? Nous ne t’avons pas identifié et la liste est encore incomplète, mais je savais qui était Sasa, er, Wrath à ton visage et c’est la même chose pour Wakaba-san. Ensuite, puisqu’il semble que la seule fille qui n’a pas encore été trouvée est Negishi-san, par élimination, j’ai déduit que c’était elle. »
« Ogi a fait ça ? »
« Ah, je n’aurais pas dû dire ça. »
Je me demande si tout va bien chez ce type ? J’ai l’impression qu’il vient de dévoiler une information très importante sans même s’en rendre compte.
« S, s’il vous plaît, faites comme si je n’avais rien dit, d’accord ? D’accord ? »
« Bien sûr, bon, nous sommes en coopération en ce qui concerne les elfes donc ce n’est probablement pas un souci ? »
« Oui ! Pas un problème ! »
C’est un souci. Même si Kyouya-kun a bien dit que ce n’était pas un problème, il n’a rien dit à propos de faire croire qu’il n’avait rien entendu. Il pourrait y avoir un problème.
« Par hasard, est-ce que c’est possible de me montrer cette liste ? »
« Bien sûr, pas de problème. J’ai une copie donc attends une seconde. »
En disant cela, Kusama-kun déplace une pile de papiers. Est-ce que c’est vraiment ok ? N’est-ce pas une espèce de papier secret ? Juste parce que nous sommes des réincarnés ici, cela ne veut pas dire que c’est normal de le donner si facilement, pas vrai ?
« Trouvé, je l’ai trouvé. J’ai du papier et un crayon donc tu es libre d’en faire une copie. »
Je ne suis pas particulièrement intéressée, mais Kyouya-kun fait une copie en ayant un air très sérieux. Il est complètement différent de moi qui n’a plus aucun attachement avec ma vie précédente.
« Merci. Cela m’aide beaucoup. »
« Je t’en prie ! »
Kyouya-kun rend ensuite la feuille d’origine à Kusama-kun.
« Il faudra que je montre cela à Shiro-san ensuite. »
Étrangement, cela me surprend toujours quand j’entends ce nom. Ah, c’est vrai. Goshujin-sama m’a dit que nous devrions revenir donc je dois m’assurer que Kyouya-kun revienne avec moi. C’est mauvais. Avec tout ce qui vient de se produire, beaucoup de temps est passé. Goshujin-sama pourrait être irritée d’avoir attendu tout ce temps.
« Kyouya-kun, si tu as fini ici, il est temps de revenir. Ariel-san et les autres nous attendent déjà. »
« Sophia-san, combien de fois dois-je te dire que je n’aime pas être appelé par ce nom ? »
J’ignore Kyouya-kun en grimaçant. Puisque je l’appelle délibérément Kyouya-kun pour l’embêter, ce n’est pas comme si j’allais arrêter s’il me le demande.
« Allons-y. Si tu ne viens pas, tu resteras ici. »
Je me tourne pour revenir dans la salle de conférence. Juste dehors, il y a la personne de l’église qui m’a guidée ici. En plus de lui, je peux sentir la présence de ce qui a l’air d’être des forces spéciales qui se cachent dans l’ombre et nous observent, mais je vais les ignorer à moins qu’ils décident d’agir. Il n’y a aucune chance qu’ils laissent un étranger, ou plutôt quelqu’un qui est pratiquement un ennemi, se promener tranquillement sans surveillance. Je suis certaine qu’ils ont entendu la conversation dans la pièce de Kusama-kun. Est-ce que ça va aller pour lui ? Je suis certaine qu’il ne sera pas tué, mais il va probablement être sévèrement réprimandé. Bon, cela n’a rien à voir avec moi.
Je sors la situation de Kusama-kun de mon esprit avant de partir en direction de goshujin-sama.
*
Pape : « Notre ninja est tellement naze qu’il en est dangereux. »