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Midsummer Murder Chapitre 5.2

Parfum d’une fleur ↡ Vers le bas

Chapitre 05.2 ⋄ Parfum d’une fleur ↡

Vers le bas

Toutes ses larmes étaient-elles épuisées ?

Liu An’an était étendue sur le sol froid de l’usine, son corps trempé et glacé. La femme se tenait devant elle, son regard brûlant d’une haine inextinguible. Le vent violent qui s’engouffrait par la porte battante amplifiait cette sensation de froid qui s’insinuait jusqu’à ses os.

Le fracas de la pluie, la nuit orageuse, les ombres menaçantes de l’usine délabrée… Tout semblait la ramener à ce passé qu’elle avait si soigneusement tenté d’enterrer. Son enfance, marquée par la douleur et les cris, se matérialisait sous les traits de cette femme : laide de haine, déformée par une fureur implacable. La douceur et la beauté d’autrefois avaient disparu, remplacées par une férocité presque inhumaine.

Dans un instant de vertige, une étrange lucidité s’imposa à Liu An’an. Elle voyait dans cette femme l’ombre d’elle-même, dix ans plus tôt. Une jeune fille qui avait été ravagé par sa propre haine en silence, l’avalant jusqu’à ce qu’elle devienne une part d’elle.

Le passé… Quand on évoque le passé.

Liu An’an donna doucement sa réponse : « … Vers le bas. »

La femme resta silencieuse, un long moment. Puis, soudain, Liu An’an l’entendit crier.

Ce cri n’avait rien d’humain : c’était un mélange de sanglots et de hurlements, un gémissement rauque, brut, presque bestial. Les larmes coulaient sur ce visage abîmé par la haine, et les cris de cette femme étaient misérables, hideux. Était-ce seulement possible qu’elle ait 32 ans ? Liu An’an sentit une étrange torpeur l’envahir, comme si ces hurlements résonnaient à l’intérieur de son crâne, réveillant des souvenirs qu’elle avait cru enfouis.

Elle se souvenait. De son seizième anniversaire. D’une nuit où tout avait basculé.

Ce soir-là, sa mère adoptive l’avait battue presque à mort pour une broutille. Les coups pleuvaient, si nombreux qu’ils semblaient sans fin. Même les voisins avaient crié à travers les murs, supplié que cela cesse. Mais sa mère, dans un accès de rage, avait claqué la porte en partant, abandonnant son corps brisé sur le sol froid. Liu An’an avait cru qu’elle allait mourir.

C’est sa sœur qui l’avait trouvée. Cette sœur de cinq ans son aînée, alors âgée de 21 ans, l’avait prise dans ses bras. Elle l’avait portée, son corps robuste et chaud enveloppant celui frêle et meurtri de Liu An’an. Dans cet instant suspendu, elle avait senti des odeurs qui resteraient gravées en elle : la poudre de jasmin pour bébé, la sueur légère de sa sœur, le sang séché sur sa propre peau. Et cette chaleur humaine, ce souffle tiède qui émanait de la poitrine de sa sœur.

Elle l’avait tenue contre elle, soignant doucement ses blessures, sans un mot. Liu An’an s’était accrochée à son cou, comme à une bouée dans une mer de douleur. Ses bras autour de son cou étaient faibles, mais son étreinte était désespérée, presque possessive. Et alors, dans un geste impulsif, elle avait levé la tête et pressé ses lèvres contre celles de sa sœur.

C’était un baiser maladroit, un mélange confus d’innocence et de quelque chose de plus sombre, plus profond. Elle n’était qu’une enfant, pourtant, dans son cœur, des sentiments naissants, étranges, incompréhensibles, s’agitaient. Elle se croyait brisée, anormale, incapable d’être aimée. Mais sa sœur était là, à la protéger, à lui offrir cet amour inconditionnel, cet abri qu’elle n’avait trouvé nulle part ailleurs.

Sa sœur était tout. Elle était la lumière dans un monde de ténèbres, une sorte de vierge Marie pour cet être qu’elle percevait comme monstrueux. Liu An’an avait murmuré, d’une voix tremblante mais sincère :

« Je t’aime. »

La femme pleurait, mais ses sanglots n’atteignaient pas les oreilles de Liu An’an. Tout ce qu’elle voyait, c’était le flou de ses traits, noyés dans les larmes et la pluie. Elle chercha dans ce visage une ombre familière, un écho du passé, mais il n’en restait rien. Ce qu’elle trouva à la place, c’était un mélange d’émotions indistinctes : de l’amour, peut-être ? De la haine ? Une joie hystérique ou un désespoir insondable ? Elle ne pouvait pas le dire.

Soudain, la femme parla, et sa voix perça la tempête :

« Xiao Liu, je t’aime tellement. Sans toi, je serais morte il y a des années. Chaque jour, je pensais à toi. Alors, pourquoi ? Pourquoi m’as-tu menti ? Regarde-moi, regarde mon visage, regarde ce que je suis devenue. J’ai vécu comme un animal, Xiao Liu ! Dix ans ! Dix ans de mensonges ! »

Le cœur de Liu An’an s’accéléra, un battement sourd et douloureux dans sa poitrine. Son corps était meurtri, mais c’était cette haine désespérée, cette rage emplie de tristesse dans les paroles de la femme, qui pesait le plus lourd.

La femme plongea une main tremblante dans sa poche, et en sortit une scie à corde. Son regard, chargé de dégoût et de détermination, se fixa sur Liu An’an.

« Je veux te mentir, moi aussi, Xiao Liu, une dernière fois. » Sa voix était basse, mais glaciale. « Je ne vais pas mourir avec toi. Non, je vais t’étrangler. Tu seras la seule à mourir. »

Les larmes avaient cessé de couler sur le visage de la femme. Une froide résolution remplaçait maintenant l’agitation. Elle murmura d’un ton presque tendre, presque brisé :

« Xiao Liu, dis-le à ta sœur. Pourquoi m’as-tu menti ? Est-ce que tu m’as aimée, au moins un peu ? »

Liu An’an resta figée, ses pensées envahies par ce souvenir qu’elle avait toujours tenté d’enterrer.

Ce jour-là, il y a dix ans. Le 28 mai, à midi.

Elle pensa, presque avec une distance irréelle : « C’était une décision impulsive. »

Sa sœur était venue lui rendre visite ce jour là.

Liu An’an vit cette silhouette frêle mais déterminée s’interposer dans le chaos. Sa sœur, celle qui avait toujours été son refuge, celle qui l’avait bercée dans ses pires moments, était maintenant devant elle. Malgré la crise qui la secouait encore, malgré son esprit en miettes, elle trouva la force de se jeter dans la mêlée.

Les mains de sa sœur, tremblantes mais résolues, saisirent le bras de leur mère adoptive, le repoussant avec une force inattendue.

La mère adoptive hurla, ses insultes se mêlant à la douleur et à la surprise. Son autre main, coincée dans la machine, était impuissante à la libérer complètement. Elle se débattait, hurlant des mots qu’An’an n’entendait plus. Tout était devenu flou.

Liu An’an restait figée, la scie à corde encore dans ses mains. Le sang qui s’écoulait entre ses doigts semblait brûler. Elle voulait agir, mais son corps ne répondait plus. Tout ce qu’elle voyait, c’était sa sœur, cette figure angélique et chaotique, qui se battait pour elle.

Sa sœur appuya de tout son poids sur le bras de leur mère.

Et puis, tout bascula.

La machine émit un bruit sinistre, une sorte de cri mécanique, alors que la main coincée glissa plus profondément dans ses rouages. Le hurlement de la mère adoptive déchira l’air, strident et inhumain.

Mais Liu An’an ne ressentit rien. Ni triomphe, ni peur, ni soulagement. Juste ce vide glacé qui s’emparait de tout son être.

Sa sœur se retourna enfin, ses yeux embués et hagards cherchant ceux de Liu An’an. Elle dit quelque chose, mais An’an n’entendit que le grondement de son propre cœur.

C’était terminé.

Mais pourquoi son corps continuait-elle de trembler ? Pourquoi ses jambes refusaient-elles de bouger ? Pourquoi, alors qu’elle tenait cette scie à corde, avait-elle l’impression d’être la vraie coupable ?

La scie pressée contre son cou, les yeux de Liu An’an se fermèrent brièvement, juste assez pour revoir ce qu’elle avait voulu oublier.

Sa sœur, dans toute sa monstruosité et sa sainteté, était là, tremblante, hurlant des mots d’une douleur si crue qu’ils semblaient déchirer l’air.

C’est vrai, pensa Liu An’an, c’est ce que nous sommes. Deux corps façonnés par le sang, la haine, et cet amour insensé. Deux âmes reliées par un cordon ombilical de malheur, incapable de se rompre, même après dix ans.

« Xiao Liu, je te protégerai,  » criait encore sa sœur, le regard fou, les mains tremblant autour du manche de la scie.

Liu An’an n’entendait presque plus rien, mais elle comprenait chaque syllabe. Chaque mot était un écho du passé, de ce jour où tout avait changé. Le jour où elle avait abandonné son innocence, déposé l’arme du crime dans les mains de sa sœur, et enchaîné leurs destins ensemble.

Elle s’était persuadée de l’oublier, de l’effacer de sa mémoire, mais la vérité restait immuable. Elle n’avait jamais aimé quelqu’un d’autre. Pas vraiment. À quoi bon aimer, quand le seul amour qu’elle ait connu était entaché de tragédie ?

Ce jour-là, à seize ans, blottie dans les bras de sa sœur qui l’avait sauvée, elle avait confondu cet amour maternel et désespéré avec quelque chose de plus grand, quelque chose de pur. Mais aujourd’hui, face à cette femme, ce reflet brisé de sa propre âme, elle comprenait enfin.

L’amour qu’elle avait pour sa sœur n’était ni pur ni grand. C’était un monstre, un enfant né du désespoir et de la vengeance, nourri par dix ans de silence et de haine.

Mais même un monstre, pensa Liu An’an, a droit à la vie.

Elle ouvrit les yeux, fixant sa sœur. « Jiejie, » murmura-t-elle faiblement, sa voix étranglée par la douleur. « Tu m’as protégée, et je t’ai détruite. Mais c’est toi qui m’as appris à haïr, à aimer, à survivre. C’est toi qui m’as fait. »

Sa sœur trembla, les mots semblant pénétrer à travers le voile de folie qui enveloppait son esprit.

Dans cet instant suspendu, entre la vie et la mort, Liu An’an réalisa que leur histoire était un cercle, une boucle sans fin. Et qu’en brisant ce cercle, il n’y aurait ni salut ni rédemption. Seulement le vide.

Mais peut-être, pensa-t-elle, dans ce vide, elles pourraient enfin trouver la paix.

Liu An’an suffoquait, la douleur s’effaçant lentement pour laisser place à une étrange sérénité. Son esprit vacilla entre le présent et un passé lointain, comme un film qui se rejouait en boucle.

Elle vit sa sœur, plus jeune, tenant fermement le bras de leur mère adoptive ce jour-là, empêchant l’inévitable. Elle se souvint de la chaleur de ses doigts, de l’odeur familière de poudre pour bébé et de jasmin qui flottait autour d’elle.

Le métal froid de la scie contre son cou la ramenait au présent. Pourtant, dans son esprit, le temps semblait s’arrêter. Les souvenirs s’entremêlaient à la réalité, les cris, les pleurs, les silences.

Elle avait pris sa décision. Elle avait choisi de mentir une dernière fois, d’offrir à sa sœur la haine nécessaire pour survivre. Parce que, dans ce monde cruel, l’amour ne suffisait pas.

Ses yeux se voilèrent, mais elle souriait faiblement, presque imperceptiblement. « Jiejie, » pensa-t-elle, sans pouvoir le dire. « Si ma mort peut te sauver, alors je t’aime encore, malgré tout. »

La lumière du soleil semblait plus douce qu’elle ne l’avait jamais été, et la douleur disparut complètement. Dans cet instant final, Liu An’an sentit une étrange paix l’envelopper.

Les longs cheveux de sa sœur effleuraient encore son visage, comme une dernière caresse, et un parfum de jasmin resta suspendue dans l’air.

 

Ceci est la deuxième fin.

・.ʚ FIN ɞ .・

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