Chapitre 298 – Maître et Disciple
Nie Li retourna au sein de sa cour et continua de raffiner des esprits démons de vitesse de croissance divine comme un forcené.
Après avoir absorbé les vestiges d’énergie des esprits démons, le taux de réussite du Pot Démon Cauchemar parut légèrement augmenter. À partir des six mille esprits démons qu’il avait reçus, il en produisit presque cent de niveau divin.
Le jeune homme entra dans la cour de Papi Bei seul et lui donna sa production. Ce dernier allait l’aider à la vendre auprès de ses cousins avant d’acquérir des esprits démons de lignée draconique à son intention.
Il repartit ensuite de la cour, activa sa forme du néant plusieurs fois pour éviter les regards inquisiteurs et se dirigea en fonction de ses souvenirs.
Il suivit ainsi un chemin tortueux s’étendant au loin, traversa une parcelle de forêt dense et atteignit une vallée paradisiaque jonchée de pêchers en fleurs.
Ce paysage était exactement comme dans ses souvenirs.
C’était une vallée calme traversée par un petit cours d’eau. Des scènes appartenant à sa vie passée traversèrent son esprit.
——
« Maîtresse, vous m’avez dit de ‘devenir vertueux comme l’eau car l’eau n’est en compétition avec personne’ mais comment dois-je m’y prendre ? Je suis né dans une ville appelée Bourg-Triomphe et ma famille, mes amis et même mon amour ont été tués. Devrais-je aller trouver mes ennemis et leur dire d’être vertueux comme l’eau ? Je ne crois qu’en la loi du Talion ! À la moindre occasion, je les tuerai tous ! »
Sa Maîtresse le regarda et sourit : « Disciple borné qui refuse d’être instruit. »
« Ce n’est pas que je ne peux rien apprendre… Tout le monde dans la Secte vous regarde avec dédain. Si j’étais assez fort, je les ferais tous s’agenouiller devant vous par vengeance ! Qu’y a-t-il de mal à ça ? »
Elle leva la tête vers le ciel. « Le monde est constamment sujet à des luttes amères alors qu’un instant après, tout n’est plus qu’histoire. L’eau, elle, peut couler indéfiniment et nourrir toutes les créatures vivantes. »‘
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Le petit prodige, même à ce moment, ne comprenait pas les paroles de sa Maîtresse et comme dans sa vie passée, il ne suivait qu’une règle : œil pour œil, dent pour dent. Même à présent que Bourg-Triomphe était sauve, il devait encore accomplir quelques vengeances : le Seigneur Démon et l’Empereur Vertueux vivaient encore.
Tant que ses ennemis n’étaient pas tous éliminés, il ne trouverait jamais la paix ; pas même un moment, pas même dans son sommeil…
Alors quoi, il était supposé réformer ces deux-là avec un cœur plein de miséricorde ? C’était parfaitement absurde…
Cependant, sa Maîtresse avait été véritablement bonne à son égard.
Il continua de marcher en se remémorant toute sa vie passée, et il ne put empêcher ses yeux de s’emplir de larmes. Sa Maîtresse était gentille et la personne qu’il respectait le plus mais comme on dit : « les gentils finissent toujours derniers » ; elle ne vécut pas longtemps… À l’époque, quand elle rendit l’âme, tout ce que le génie du Petit Monde voulut faire fut de tuer tout le monde dans la Secte des Plumes Divines.
Cependant, il n’alla pas à l’encontre de la dernière volonté de sa Maîtresse et ne commit aucun massacre. Au lieu de ça, il provoqua un tollé et tabassa tous les experts de la secte jusqu’à ce qu’ils ne puissent plus se relever.
Elle ne reviendrait pour autant jamais à la vie.
Cela étant, il était à présent dans une nouvelle vie. Tout devant lui paraissait si familier…
Son pas se fit plus rapide à l’approche de la cabane de paille. Il frappa à la porte et une voix aussi plaisante que familière lui répondit : « Entrez. »
Il s’exécuta et vit sa Maîtresse assise au sol ; son expression était sereine, sans le moindre trouble visible. Elle paraissait si détachée du monde qu’on aurait pu croire que son existence était illusoire. Le jeune rebelle la regarda et éprouva une sensation irréelle, comme si elle allait disparaître à tout moment.
Ying Yueru ouvrit les yeux et un léger sourire parcourut son visage. Elle dit : « Alors c’est toi ? Assieds-toi donc. »
Nie Li sentit vaguement que la Ying Yueru à laquelle il faisait face était exactement la même que celle de sa vie passée, et c’est confus qu’il s’assit devant elle.
Ils s’échangèrent des regards tandis que le jeune homme tenta de trouver par où commencer. Il resta assis silencieusement en regardant sa Maîtresse ; rien que ça le satisfit pleinement.
Les yeux clairs de la demoiselle le parcoururent et elle sourit doucement. « Je vais te dire certaines choses, à présent. Ne me demande pas comment ou pourquoi : il y a certaines choses que tu devrais simplement ignorer et même si tu me posais la question, je ne te répondrais pas. Si c’est quelque chose que tu dois savoir, je te le dirai sans que tu aies à me le demander ! »
L’adolescent sourit à ces paroles. « Que veut me dire grande-sœur Yin en ce cas ? » Il se souvint à nouveau du passé : à l’époque, il avait appelé sa Maîtresse « Grande-Sœur » à plusieurs occasions et avait à chaque fois fini avec une grosse bosse sur le crâne.
La jeune femme sourit à son tour et lui frappa la tête : « Mauvais disciple ! Comment oses-tu m’appeler grande-sœur Yin ? Tu ne montres pas le respect dû à ta Maîtresse ! » Elle avait beau le gronder, elle ne put s’empêcher de sourire.
Nie Li resta abasourdi un moment et la regarda d’un air choqué. Ce ‘mauvais disciple’ replongea sa mémoire dans sa vie passée et il eut très envie de pleurer sous la familiarité et la proximité que cette expression évoquait.
Il avait éprouvé tellement de chagrin dans sa vie précédente et s’était retrouvé tout seul au final… Son cœur tourmenté fut légèrement soigné sous le regard de sa Maîtresse.
Celle-ci sourit : « Ça te parait étrange que je sache tout cela, mais c’est le résultat de la technique de la Divination Céleste qui me permet de voir à travers toutes les illusions et de calculer les destins. Cependant, en calculant tout ça, j’ai épuisé cinquante années de ma vie. »
Le jeune homme fut peiné à cette nouvelle et la regarda : « Pourquoi avez vous dépensé cinquante années simplement pour calculer ça ? Vous auriez simplement pu me demander et je vous aurais tout raconté ! »
Ying Yueru dévoila un sourire magnifique : « Ça n’aurait pas été clair à moins que je le calcule par moi-même. Tu es au cœur des événements alors qu’à travers mes calculs, j’ai un point de vue extérieur. » Sa voix était aussi paisible qu’irréelle tandis qu’elle continua : « Il est inutile de dire quoi que ce soit d’autre. Selon mes calculs, tu vas concourir pour la position de Maître de la Secte des Plumes Divines. »
Sa Maîtresse était bien semblable à une déesse immortelle à pouvoir ainsi voir les ambitions qu’il arborait en son cœur. C’était effectivement son intention et ce depuis son arrivée au domaine des Ruines Draconiques. C’était la seule façon de s’assurer qu’aucun mal ne soit plus jamais fait à cette dernière.
L’adolescent avait démontré son talent stupéfiant pour obtenir des ressources de culture, mais aussi pour d’autres raisons. Il n’avait pas le temps d’attendre, il devait concevoir son plan dès à présent.
Pour les autres, devenir Maître de la Secte serait le plus grand accomplissement de toute leur vie mais pour lui, ce n’était que la première étape de son dessein.
La jeune femme lui sourit : « Si tu veux devenir Maître de la Secte, je veux te recommander quelqu’un qui sera ta plus grande aide. » En fait, elle avait également changé. Lorsqu’elle eut accompli ses calculs, elle trouva soudainement qu’elle était profondément liée à un disciple dans sa vie passée mais ce n’était pas sa vie actuelle, aussi ne put-elle se faire à cette idée. Elle trouvait cette situation extrêmement complexe.
« Qui donc ? »
Elle lui adressa un regard abstrus : « Ma sœur apprentie junior, Long Yuyin. »
Nie Li refusa sur le champ : « N’importe qui d’autre, mais pas elle. J’ai envie de la tuer à chaque fois que je la fois. »
« La Famille Sceau du Dragon et elle avaient une raison de provoquer ma mort dans la vie passée. À leurs yeux, j’ai tué notre Maîtresse… Et c’est la vérité, je l’ai bel et bien tuée. » Elle soupira tandis que son regard se perdit au loin : « Les relations de cause à effet de ce monde sont complexes, et je ne peux pas te les expliquer en si peu de temps. Tu la hais, elle me hait et cette haine est devenu un nœud serré. Toi seul peut l’aider à lui faire perdre la haine qu’elle éprouve à mon égard. »
Le petit génie se souvint de bien des choses du passé et commença enfin à comprendre pourquoi Long Yuyin voulait la mort de sa Maîtresse. Cependant, il lui était impossible d’abandonner sa haine aussi rapidement même si elle le lui demandait. Il avait, après tout, personnellement assisté à sa mort et fait l’expérience du caractère autoritaire de la jeune femme, au point qu’il éprouvait de la rage à chaque fois qu’il pensait à elle. Maintenant qu’il connaissait la vérité, il voulait laisser sa haine derrière lui mais il ne pouvait pas vraiment s’en empêcher.
« Si tu veux lui faire abandonner sa haine à mon égard, tu devras abandonner celle que tu éprouves envers elle en premier lieu. » Ying Yueru regarda et lui dit : « C’est l’eau vertueuse dont je t’ai parlé. Tu ne veux pas oublier ta haine même après avoir vécu deux vies ? »
Le jeune homme voulut protester : « Mais… »
La voix de sa maîtresse était aussi apaisante que de l’eau de source et calma son cœur : « Je ne m’attends pas à ce que tu parviennes à atteindre l’état de l’eau vertueuse, mais puisqu’elle ne peut plus me menacer, pourquoi ne pas abandonner la haine que tu éprouves ? »
« Je… » Il y réfléchit un peu et hocha finalement la tête : « D’accord. »
Alors Long Yuying et elle étaient toutes deux disciples de la même maîtresse… L’adolescent réfléchit à nouveau à tout ça : sa maîtresse avait d’énormes connaissances et pouvait calculer les destinées. Par conséquent, elle devait avoir une raison de lui demander ça. Dans cette vie comme celle passée, il avait une confiance absolue en ses paroles.
Un sourire narquois apparut aux lèvres de la jeune femme. « La technique de Divination Céleste épuise une partie de ma longévité à chaque divination alors si tu veux que je vive vieille, ne me pose pas trop de questions. »
Nie Li fixa son sourire d’un air absent car elle souriait peu dans sa vie passée. Il se souvint alors qu’elle n’était qu’une jeune fille de seize ou dix-sept ans dans cette vie-ci. Elle avait beau avoir une capacité défiant les cieux, elle n’en était pas moins qu’une adolescent.
Sa Maîtresse le regarda et lui dit : « Une fois que tu seras parti, ne reviens pas avant un moment. Ta venue ici a attiré bien trop d’attention. » Elle ne savait plus comment se comporter avec lui depuis qu’elle avait accompli ses calculs. C’était vraiment étrange d’avoir tout d’un coup un disciple comme lui.
Le jeune homme la soupçonna vaguement de savoir plus qu’elle ne l’avouait mais vu tout ce qu’elle avait pu lui dire, il ne posa pas d’autres questions.
Il se sentait à l’aise maintenant qu’il avait vu sa Maîtresse vivre paisiblement. Il comprit qu’il valait mieux pour elle qu’il vienne la voir le moins possible ; il était après tout pris dans un tourbillon, aussi valait-il mieux ne pas troubler sa vie tranquille.
Ses yeux brillèrent de détermination : « Dans ce cas, attendez que je devienne Maître de la Secte des Plumes Divines ! » Ce n’était qu’en devenant maître de la secte qu’il pourrait la protéger.
Il s’inclina légèrement puis se leva et partit.
Ying Yueru le regarda s’en aller en soupirant doucement en son fort intérieur. Elle n’allait probablement pas pouvoir attendre jusque-là… Elle le regarda disparaître à l’entrée avant de détourner le regard.